Collaborateur addictif : Boire et déboires au comptoir - Le Moniteur des Pharmacies n° 2562 du 18/12/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2562 du 18/12/2004
 

JURIDIQUE

Entreprise

Que faire lorsqu'un collaborateur est dépendant de l'alcool, d'un psychotrope ou d'une drogue ? Le Code du travail permet de se protéger contre des comportements qui seraient préjudiciables pour l'entreprise. Conseils.

Le Code du travail le confirme, vie privée et vie professionnelle ne se confondent pas. En dehors de l'entreprise (hors du temps et du lieu de travail), le salarié n'est plus « sous la coupe » de son employeur. Ce dernier n'a donc aucun droit de regard sur les agissements privés de ses salariés. Mais le titulaire ne peut pour autant rester passif devant un comportement à risque pouvant porter préjudice à la bonne marche de l'entreprise (absentéisme, baisse de productivité, altercations avec l'équipe, etc.) ou, pire, à un client. Car il est difficile de ne pas commettre d'erreurs au comptoir avec une vigilance et une lucidité amoindries ! Sans parler de la réputation de l'officine.

Ouvrir le dialogue.

Alors que faire ? Lever le tabou et aborder le problème avec le collaborateur ? Ou être intransigeant et le licencier ? « L'employeur ne peut pas être dupe et ignorer la conduite addictive d'un collaborateur. La prise d'alcool ou de drogue entraîne des manifestations caractéristiques identifiables par un professionnel de santé. Mais il n'est pas question d'agir à la hâte et d'exclure de l'officine le salarié sur-le-champ. Il faut lui donner sa chance, explique Alain Fallourd, avocat. Si le règlement intérieur de l'entreprise est clairement rappelé, le salarié ne pourra qu'adhérer, sinon il met en péril, en toute connaissance de cause, son contrat de travail. »

La première étape, vis-à-vis d'un salarié addictif, consistera donc à amorcer une discussion constructive avec lui. Ce sera le moment également de lui proposer un soutien médical avec l'aide du médecin du travail (voir ci-dessous).

Réunir toutes les preuves.

Si le salarié nie en bloc son problème de dépendance, l'employeur ne peut bien sûr pas le faire passer de force aux aveux. En revanche, il sera tout à fait possible d'utiliser les témoignages des autres salariés voire les plaintes des clients. Si la preuve objective est établie par un ensemble d'éléments concordants, le salarié pourra difficilement maintenir sa position de négation.

Quant à effectuer un contrôle d'alcoolémie, la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mai 2002, a précisé les conditions dans lesquelles un employeur peut le faire. Les trois conditions suivantes devront être réunies : le contrôle est prévu par le règlement intérieur, les modalités de contrôle permettent au salarié de contester, et un tel test ne peut concerner qu'un salarié dont l'état d'ébriété expose les personnes (ou les biens) à un danger. Il n'y a pas de taux légal d'alcoolémie au travail. C'est généralement le taux légal fixé en matière de circulation routière (0,5 g/l) qui est retenu dans le règlement intérieur des entreprises.

Passer à l'action.

« Si le salarié ne retrouve pas le droit chemin, il s'expose à un licenciement pour faute grave », indique Alain Fallourd. Le motif ? Le danger que représente sa dépendance alcoolique ou toxicomaniaque. « Même si l'acte fondateur (la prise d'alcool ou de drogue) a lieu au cours de sa vie personnelle, c'est son comportement et le trouble caractérisé au sein de l'entreprise qui seront retenus », explique encore Alain Fallourd.

Il est en effet difficile de travailler avec un collaborateur qui ne se contrôle plus. Et cela peut s'avérer dangereux s'il est en contact avec la clientèle et s'il dispense des médicaments. Car le moindre écart d'attention lors de l'acte de dispensation pourra avoir des conséquences dramatiques. Et le titulaire serait également mis en cause.

Face à une telle menace, mieux vaut éloigner le salarié du comptoir, voire de l'entreprise. Alain Fallourd préconise « la mise à pied conservatoire, le temps de mettre en oeuvre la procédure de licenciement ». En cas de rupture du contrat pour faute grave, le salarié sera privé de ses indemnités de licenciement et de préavis. La lettre de licenciement devra être suffisamment explicite quant aux faits reprochés. Mais il n'est pas question d'y inscrire la mention « alcoolique » ou « drogué ».

Par la suite, si un hypothétique futur employeur de ce salarié demande quelques informations à son sujet, l'ex-employeur doit observer la plus stricte confidentialité. Une absence de neutralité pourrait en effet être assimilée, en droit pénal, à un propos injurieux. En public il s'agit d'un délit, en privé ce comportement est passible d'une contravention.

Conseils

Brigitte Defoulny, société Héliotrope.

- Amener le collaborateur à se confier

L'employeur s'exprimera à partir de faits précis, par exemple un incident avec un client ou avec un autre salarié, des erreurs répétées, etc. Attention aux jugements hâtifs ! Dire au collaborateur qu'il est alcoolique est à proscrire. Il faut d'abord évoquer son comportement inhabituel et le trouble que cela provoque dans l'entreprise. Puis il faut se placer dans une position d'écoute voire d'aide, sans tomber dans le management affectif (« J'aimerais comprendre ce qui ne va pas. Peut-on en parler ? »...). Enfin, il proposer au salarié de l'orienter vers une personne compétente.

- Durcir le ton

Si le collaborateur ne modifie pas son attitude, il est alors temps d'être plus directif. L'employeur exprimera la perte de confiance qu'entraîne l'état anormal du salarié dans l'entreprise. L'inadéquation entre le comportement du salarié et son poste amènera l'employeur à poser un ultimatum, éventuellement assorti d'une lettre recommandée.

« Il faut prendre rendez-vous avec le médecin du travail »

Les conseils de Marie-Pierre Pirlot, médecin du travail : « Face à une telle situation, l'employeur doit avant tout rester dans son rôle d'employeur. Il fera part au salarié de ce qui lui pose problème, un comportement anormal dans l'entreprise, sans préjuger de la cause. Centrer le dialogue sur la suspicion d'une prise d'alcool ou de drogue n'est pas de son ressort. D'ailleurs, les signes évoquant l'ivresse peuvent parfois être sources d'erreurs. Certaines pathologies peuvent provoquer des symptômes semblables. En revanche, la responsabilité de l'employeur est de ne pas laisser travailler un salarié qui présente un comportement à risque pour lui-même et pour son environnement. Il faut prendre rendez-vous avec le médecin du travail, sous couvert du secret médical. Ce qui se passe et ce qui est échangé dans le cabinet entre le médecin et le salarié ne seront pas communiqués à l'employeur. Si la situation le requiert, le médecin émettra un avis d'inaptitude temporaire et enclenchera la prise en charge du salarié via des réseaux spécialisés. »

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