Viva la opinión ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2557 du 13/11/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2557 du 13/11/2004
 

Actualité

Enquête

Les pharmaciens espagnols ont élaboré des protocoles de dispensation pour valoriser leur rôle auprès des patients et des pouvoirs publics. En misant ainsi sur l'opinion pharmaceutique, ils entendent protéger leur monopole.

Depuis près de dix ans, le Conseil général des pharmaciens espagnols, l'équivalent de notre Ordre, souhaite faire évoluer l'exercice professionnel de la pharmacie. Sa stratégie ? Implanter le concept d'opinion pharmaceutique afin de recentrer l'activité du pharmacien sur le patient, améliorer la qualité du service et promouvoir un exercice multidisciplinaire en concertation avec le prescripteur et les autres professionnels de santé. Pour y parvenir, le seul moyen est de standardiser des protocoles de dispensation. Les officinaux pourront rendre traçables, évaluables et communicables leurs interventions quotidiennes. Et ainsi valoriser leur rôle auprès des patients et des pouvoirs publics.

Comme en France, les officinaux espagnols sont en quête d'une reconnaissance de leur valeur ajoutée en tant que professionnels de santé. « Le pharmacien n'est pas qu'un simple distributeur de médicaments. Son analyse en amont de la dispensation est irremplaçable. Mais ce travail est aujourd'hui totalement transparent », admet Jaume Casas, du Collège des pharmaciens de Barcelone. En pratique, l'opinion pharmaceutique se déclinera selon trois cas de figure. Le premier concerne la « dispensation active ». Elle s'applique lorsque le patient demande, avec ou sans ordonnance, un médicament précis. Le deuxième cas de figure est l'« indication thérapeutique » : le patient a un problème de santé et en réfère à son pharmacien. Ne sont donc concernés que les médicaments sans prescription. Enfin, dernier volet, le « suivi pharmacothérapeutique » du patient.

Des volontaires en test.

Pour chacune de ces situations, le pharmacien devra suivre un rigoureux protocole. Cette standardisation du travail au comptoir a été élaborée grâce à la collaboration d'un réseau de pharmaciens qui ont participé à un essai pilote clôturé en 2003. La dispensation active et l'indication thérapeutique ont été développées en Catalogne et le suivi pharmaceutique à Grenade, en Andalousie. Un énorme travail d'investigation pour détecter tout mésusage du médicament par le patient.

Aujourd'hui, seule la dispensation active fait l'objet d'un protocole abouti et d'un questionnaire standardisé. Pour vérifier que le patient a une connaissance suffisante du médicament qui lui a été prescrit, le pharmacien lui fait passer un petit examen oral pour savoir s'il connaît son utilité, s'il sait comment le prendre, quand, avec combien d'unités à chaque prise, pour quelle durée, les conditions de conservation (voir page 22)... Si le patient répond correctement, le pharmacien se contentera de lui délivrer le médicament. « Dans le cas contraire, il remplira son rôle d'éducateur thérapeutique », explique Pilar Gascón, pharmacienne à Barcelone, pionnière de l'opinion pharmaceutique pour avoir participé à l'élaboration et au développement des protocoles standardisés de dispensation. « L'enseignement du patient comprend la sensibilisation, l'information et éventuellement l'apprentissage du traitement, par exemple la bonne utilisation d'un aérosol pour un asthmatique, détaille Pilar Gascón. Pour une prise efficiente du médicament, le pharmacien va discuter avec le patient et établir un plan thérapeutique extrêmement clair et détaillé. » Le pharmacien gardera la trace de ce travail en le consignant (mauvaise connaissance par le patient du médicament demandé...) dans un formulaire spécifique de dispensation active.

« Pour le moment, cette transcription n'existe que sur papier, en attendant que soit développé un support informatique adéquat. Il existe déjà une base de données sur les médicaments et la pharmacovigilance, mais son module d'opinion pharmaceutique, très complexe, est inapplicable aujourd'hui au comptoir », regrette Pilar Gascón.

Cette procédure de dispensation active, loin d'être généralisée, est fondée sur le volontariat. A Barcelone, elle concerne aujourd'hui environ 400 pharmaciens volontaires qui ont testé ce protocole entre le 11 octobre et le 11 novembre 2004, à chaque délivrance d'une statine. Les données vont être ensuite transmises au Collège des pharmaciens pour être exploitées.

Problèmes de concurrence.

Le protocole final concernant l'indication thérapeutique n'existe toujours pas. Schématiquement, il consistera pour le pharmacien à obtenir la description précise du problème de santé qui motive le patient à consulter, les éventuelles autres pathologies existantes et le ou les traitements en cours, et à l'inviter, le cas échéant, à contacter son pharmacien habituel (voir page 24). Mais selon Javier March, rédacteur en chef d'El Farmacéutico, ceci est « utopique » : « Certes, éviter tout incident lié à la prise d'un médicament est un objectif salutaire. Mais inviter un patient à aller chez le concurrent, c'est occulter que le pharmacien est également un commerçant. Sans compter qu'il n'a pas le temps au comptoir de tenir un vrai carnet de bord de son activité. »

Par ailleurs, certains médecins considèrent l'opinion pharmaceutique comme une forme de concurrence. « Ceux qui le pensent n'ont pas saisi ce dont il s'agit réellement. Le médecin est du côté de la maladie et le pharmacien se place du côté du traitement. En tant que professionnels du médicament, il est de notre responsabilité de s'assurer que les patients utilisent les médicaments selon leurs indications et dans des conditions optimales en termes d'efficience et de sécurité. »

Un plan de formation associé.

Dernier volet de l'opinion pharmaceutique à l'espagnole, le suivi pharmacothérapeutique personnalisé. Au lieu de se réduire à un échange ponctuel isolé, la dispensation devient globale et « sur mesure », prenant en compte les spécificités du patient. Grâce à l'ensemble des données collectées à chaque dispensation, le pharmacien définira un plan thérapeutique opérationnel avec lui pour une meilleure observance.

Le suivi pharmacothérapeutique personnalisé est aussi un bon moyen pour promouvoir une collaboration entre les médecins et les pharmaciens. Sa mise en place s'accompagne d'un plan de formation, que la faculté de pharmacie de Grenade propose depuis l'an dernier. Un mastère y a été créé pour aguerrir les pharmaciens aux méthodologies de dispensation et à la communication avec les patients.

En filigrane de l'opinion pharmaceutique, est-ce aussi un premier pas vers la constitution par le pharmacien d'un dossier patient ? « Pas pour le moment. Seule la dispensation active donne lieu à un enregistrement d'informations. Les données consignées concernent la tranche d'âge et le sexe du patient, son niveau de méconnaissance du médicament demandé et l'intervention du pharmacien. Mais nous n'enregistrons pas le nom du patient ! », déplore Pilar Gascón. Il faut donc attendre que soit développé un outil informatique performant.

+ 115 % de dépenses pharmaceutiques en dix ans.

En revanche, la prescription électronique est en marche. Un essai pilote a lieu actuellement à Séville. « La consultation médicale ne se termine plus par la traditionnelle remise au patient d'une ordonnance. Le médecin envoie directement sa prescription dans un ordinateur central auquel ont accès tous les pharmaciens », explique Jaume Casas. Le pharmacien n'a donc qu'à aller rechercher l'ordonnance électronique lorsque le patient se présente à l'officine. « Ainsi, il n'y a plus d'erreurs de délivrance liées à un mauvais déchiffrage, le contrôle des prescriptions permet une baisse des dépenses publiques, et nous avons la possibilité d'extraire des informations épidémiologiques et thérapeutiques utiles pour la collectivité », poursuit Jaume Casas.

L'intention du gouvernement est de généraliser la prescription électronique d'ici 2006. Car si le coût moyen des dépenses pharmaceutiques par habitant n'est que 260 euros par an (contre 480 euros en France !), les dépenses ne cessent pas pour autant de progresser : + 115 % en dix ans (entre 1992 et 2002) ! Cette inflation des dépenses résulte du vieillissement de la population (le pays a l'une des espérances de vie les plus élevées d'Europe), de la faible participation des assurés aux dépenses (gratuité pour les retraités) et de la hausse des prix moyens des médicaments.

Pour réaliser des économies, le gouvernement a pris un ensemble de mesures déjà essayées ailleurs comme une baisse du prix des médicaments, une réduction des marges des pharmaciens et des grossistes (9,6 % depuis 1999, et une nouvelle baisse est prévue) ou des déremboursements de médicaments au faible service médical rendu (des listes négatives ont été créées en 1993 et en 1998).

Les autorités espagnoles ont également misé sur les génériques, avec notamment l'élaboration, en 2000, d'un système de prix de référence. En 2001, les génériques pesaient moins de 2 % en volume comme en valeur du marché total des médicaments. Aujourd'hui, ils représentent 14,65 % des prescriptions en volume et 8,40 % en valeur. L'Espagne était pourtant partie avec un sérieux handicap. Jusqu'en 1992, elle ne reconnaissait pas de brevets de protection pour les médicaments. Et ce n'est qu'en 1997 que les premiers génériques ont été introduits.

Cette première pierre posée à la « généricalisation » s'est appuyée sur la reconnaissance d'un droit de substitution relatif. Les pharmaciens bénéficient d'une marge avantageuse de 33 % versus 27,9 % pour les spécialités de référence. Le système de prix de référence permet de responsabiliser le patient. En cas de prescription d'un médicament plus onéreux que le prix de référence, il devait payer la différence ou accepter la substitution. Et depuis le 1er janvier 2004, s'il refuse la substitution, ce n'est plus la différence qu'il doit payer mais la totalité du prix du médicament le plus cher. Cette mesure concerne les médicaments sur le marché depuis plus de dix ans, soit 20 % des spécialités remboursées.

Le gouvernement attend de ces nouvelles mesures sur le générique une baisse moyenne de 20 % du prix de plus de 2 000 médicaments.

CHIFFRES

Une marge de 27,9 % sur le médicament remboursable

- Avec un marché de 7,6 milliards d'euros, l'Espagne est le 5e marché européen du médicament et le 9e mondial.

- Les médicaments représentent près de 25 % des dépenses de santé.

- Les génériques représentent 14,65 % des prescriptions en volume et 8,40 % en valeur.

- Le prix moyen des spécialités est de 10 euros.

- L'Espagne compte plus de 20 000 officines, soit 1 pour 2 080 habitants. C'est le pays européen où se sont ouvertes le plus de pharmacies ces dix dernières années (+ 10,13 %) alors que l'augmentation de la population est de 1,61 %. Chaque province a son propre quorum.

- Sur les 54 710 pharmaciens inscrits au Collège, 32 000 exercent en officine (dont 20 100 titulaires). Six titulaires sur dix sont des femmes.

- La marge moyenne sur les spécialités est de 27,9 % (33 % sur les génériques). Pour celles dont le prix public est supérieur ou égal à 78,34 Euro(s), la marge est plafonnée à 33,54 Euro(s).

- 6 000 pharmaciens ont un revenu mensuel inférieur à 1 200 Euro(s).

- 1 personne sur 4 entrant dans une pharmacie recherche seulement un conseil et n'achète pas de médicaments.

Du cannabis en pharmacie

Acheter du cannabis en pharmacie ? Ce sera possible dès le 1er janvier 2005, date à laquelle commencera un essai pilote en Catalogne. Une décision motivée par les résultats probants d'une étude menée sur 2 250 malades souffrant d'un cancer, du sida ou d'une sclérose en plaques. Le ministère de la Santé a d'ores et déjà averti que le cannabis pourra être prescrit uniquement aux malades qui ne disposent d'aucun autre traitement efficace contre la douleur.

Pour éviter les effets nocifs pulmonaires du « joint », le cannabis sera administré par inhalation ou en infusion. Enfin, ce n'est pas la plante qui sera utilisée, mais des dérivés pharmacologiques du tétrahydrocannabinol afin de contrôler la dose administrée au patient.

Cette distribution s'aligne sur le modèle néerlandais où, depuis le 2 septembre 2003, il est possible d'acheter sur prescription du cannabis à usage thérapeutique au prix de 50 euros les 5 grammes.

A savoir

La définition espagnole de l'opinion pharmaceutique correspond à la « participation active du pharmacien pour assurer au patient la meilleure adéquation possible entre son traitement et sa pathologie. Cela implique une coopération entre les pharmaciens et les médecins. L'objectif poursuivi est l'amélioration de la qualité de vie des patients ».

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