« Les chercheurs n'ont pas vu arriver le cyclone » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2554 du 23/10/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2554 du 23/10/2004
 

SIDA

Actualité

Enquête

Le Dr Marc Gentilini est président de la Croix-Rouge française. Spécialisé dans les maladies infectieuses et tropicales, il a participé avec son équipe de chercheurs à la découverte du VIH. En tant que clinicien et homme de terrain, il jette un regard rétrospectif sur une maladie vieille de vingt-trois ans. Avec un constat amer : dans le sida, l'homme est aussi responsable que le virus.

« Le Moniteur » : En 2004, 40 millions de personnes vivent avec le virus du sida. Comment en est-on arrivé là ?

Marc Gentilini : Le sida est une pandémie. Cela a débuté en 1981 avec les premiers cas découverts aux Etats-Unis. Il y avait de bons observatoires de santé qui ont permis de dépister tôt des alertes : la surconsommation d'un médicament spécifique d'un germe rare, le Pneumocystis carinii, la fréquence élevée de cette épidémie de pneumonie chez les homosexuels... Mais il ne s'agissait là que d'un aspect fragmentaire de la maladie. Le sida se développait déjà depuis quelques années dans la région des Grands Lacs, en Afrique, à bas bruit car il n'y avait là-bas ni observateur ni observatoire pour cette maladie jusqu'alors inconnue. La gravité du sida n'a pas été admise suffisamment tôt. Elle a même été niée. Au début de l'épidémie, beaucoup d'homosexuels ont été atteints dans les milieux artistiques. Cela a frappé les esprits. Mais, paradoxalement, quand on demandait des crédits, il était opposé des réponses du style « laisse-nous tranquilles avec ta maladie pour Paris-Match ». C'était terrible de voir l'incrédulité de certains grands chercheurs, qui n'ont pas vu arriver le cyclone.

Quand est venue la prise de conscience par les organisations internationales de l'ampleur de la maladie dans les pays pauvres ?

Il a fallu attendre 1992, et c'est paradoxalement l'UNESCO, et non l'OMS, qui a tiré la sonnette d'alarme. L'OMS de l'époque devrait d'ailleurs être mise en examen : par son attitude négative, elle a occulté le message d'alerte que certains - trop rares - voulaient faire passer. Nous avons essayé de réagir à cela. Nous, un certain nombre de médecins et d'hommes politiques. La France a ce mérite d'avoir tiré la sonnette d'alarme très tôt. Elle a été le premier pays à dire qu'il fallait se mobiliser pour l'Afrique.

Est-ce qu'en voulant rattraper cette erreur initiale, on n'a pas délaissé d'autres problèmes, comme le paludisme ?

J'avais un slogan, issu de mai 1968, « Sida, malaria, même combat ». Ce n'est pas parce qu'il y une maladie traditionnelle du monde tropical pauvre (dont on s'occupe mal) que la survenue de nouvelles affections ne doit pas être prise en compte. J'en veux beaucoup aux organisations internationales comme l'Organisation mondiale de la santé, pour avoir dit aux responsables de la sécurité sanitaire en Afrique : « Ne vous en laissez pas conter par les chercheurs des pays riches qui vous disent que le sida est important, vos priorités sont ailleurs ; elles s'appellent : paludisme, rougeole, méningites, tuberculose, etc. » Sans voir que la tuberculose était en partie liée au sida !

En 2003, l'Organisation mondiale de la santé a initié la stratégie « 3by5 » : traiter par antirétroviraux trois millions de malades d'ici à 2005. Est-ce réalisable ?

L'OMS a lancé cette initiative sans se rendre compte que c'était irréaliste puisqu'il existe peu de structures capables de traiter trois millions de personnes en Afrique. On peut distribuer les traitements à tout-va, mais c'est irrationnel. Cette déclaration « 3par5 » est verbeuse, ostentatoire et provient d'une organisation internationale déjà accusée de ne pas avoir fait grand-chose au début et qui ne veut pas être accusée de n'avoir pas fait mieux par la suite. C'est martelé comme si cela devait résoudre les problèmes de santé du tiers-monde. C'est peu crédible.

Quelles directions doivent emprunter les politiques de santé internationales ?

La santé ne se « saucissonne » pas, c'est un tout. Les vertueuses déclarations des organisations internationales - que l'on pourrait résumer par « un peu pour tous plutôt que tout pour quelques-uns » - sont louables mais « un peu pour tous », ce n'est pas la santé pour autant. C'est juste un peu de bonne conscience pour nous. Le « droit à la santé » n'est pas reconnu partout, alors qu'il fait partie des droits de l'homme élémentaires. Tout se tient : il n'y a pas de maladies infectieuses conçues isolément. Les facteurs amplificateurs de toutes les maladies transmissibles sont la malnutrition et les désordres politiques : une guerre civile en Sierra Leone, au Liberia, au Congo ou dans la région des Grands Lacs rend impossible la gestion des problèmes de santé. Et un calme de quelques mois ne suffit pas, il faut que ce soit durable.

L'homme est-il responsable des épidémies ?

En grande partie, oui. Et pour prendre un autre exemple d'actualité, les inondations à Haïti n'auraient pas été catastrophiques si le désordre politique qui caractérise ce pays depuis tant de décennies n'avait créé une situation désastreuse où un déluge emporte deux mille personnes et menace les survivants d'épidémies !

CHIFFRES

Le SIDA en chiffres

- Le SIDA tue 8 000 personnes chaque jour.

- 40 millions de personnes vivent avec le VIH en 2004.

- 75 % des séropositifs vivent sur le continent africain.

- Le nombre de séropositifs en Russie a augmenté de 60 % en deux ans.

- L'Inde compte 5,1 millions de cas de VIH/sida.

Le sida n'avance pas seul

Outre le virus HHV-8, responsable du sarcome de Kaposi, la syphilis ou les virus HSV de l'herpès, d'autres infections profitent de la sidération de l'immunité des malades. « Le sida multiplie par cent voire par mille le risque de leishmaniose viscérale dans les zones d'endémie », rappelle l'Organisation mondiale de la santé.

En outre, l'OMS estime qu'en Afrique, 8 millions de malades sont coïnfectés par le VIH et le bacille tuberculeux. 5 % à 10 % d'entre eux développeront la maladie.

Selon l'Institut Pasteur, tous les ans, le sida tue 3 millions de personnes dans le monde et la tuberculose 2 millions. 8 % à 80 % de ces décès, selon les pays, sont liés à l'épidémie de sida.

Même en France, les coïnfections existent : si la tuberculose est plus rare (6 714 malades en 2000), l'Institut national de veille sanitaire estime par contre que 10 % à 30 % des patients infectés par le VIH le sont également par le virus de l'hépatite C.

La coïnfection VIH-VHC augmente le risque de transmission du VHC entre partenaires sexuels et de la mère à l'enfant.

Le problème est identique pour l'hépatite B, mais les statistiques sont encore absentes.

Les épidémiologies du VIH et des hépatites virales se recoupent largement. A un tel point que l'ancienne Agence nationale de recherche sur le sida va être rebaptisée Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


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