La ligne de vie - Le Moniteur des Pharmacies n° 2532 du 17/04/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2532 du 17/04/2004
 

CENTRES ANTIPOISON

Actualité

Enquête

Les dix centres antipoison de France font chaque jour des prouesses au téléphone pour venir en aide à nos concitoyens et conseiller les professionnels de santé. Pour nous en convaincre, celui de Marseille nous a ouvert ses portes.

La moitié des intoxications surviennent chez les enfants avant douze ans et elles sont alors accidentelles dans 90 % des cas. Elles sont volontaires dans 51 % des cas à partir de treize ans.

Marseille. Hôpital Salvator : des bâtiments datant de près d'un siècle. C'est là que se situe depuis 1967 le centre antipoison et de toxicovigilance de Marseille (CAP), niché entre la pharmacovigilance, le laboratoire de toxicologie, le centre d'études et d'information sur les pharmacodépendances et l'antenne médicale de prévention et de lutte contre le dopage. Installées dans une salle claire, cernées de livres, classeurs et tiroirs, trois personnes officient ce matin.

Peu d'appels encore, il n'est que 9 h 45. Magali Cabau raccroche le téléphone. « Je viens d'avoir un homme dont la petite fille de deux ans a léché de la peinture. » Jeune externe en 4e année de médecine, elle est chargée de l'accueil téléphonique, ouvert 24 h/24 et 7 jours/7, sous la direction du Dr Maryvonne Ayek. L'équipe complète du CAP marseillais comprend dix médecins experts en toxicologie dont la formation de base va de la médecine du travail à la réanimation, trois internes et six externes en médecine. Dans la journée, un interne et un externe s'occupent des réponses téléphoniques jusqu'à 22 heures sous le contrôle permanent d'un médecin toxicologue qui se retrouve seul la nuit. Dans d'autres centres, celui-ci peut être assisté par d'autres médecins, des pharmaciens, ainsi que des étudiants en médecine et en pharmacie.

Le CAP est un lieu de vie où l'on mange et l'on dort quand c'est possible. « Dans la semaine, on peut dormir 4 ou 5 heures mais c'est parfois impossible, notamment le week-end. Parfois le téléphone sonne toutes les 10 minutes », constate Luc De Haro, toxicologue bardé de diplômes (formé au Muséum d'histoire naturelle de Paris, à l'Institut tropical suisse...), joignable 24 h/24 même en dehors des gardes, aujourd'hui de service. Magali tend la feuille portant les données de l'appel : nom, numéro de téléphone, identification du patient, toxique incriminé, délai, lieu et circonstances de l'accident. Tout de suite il rappelle. « Bonjour, ici le médecin de garde du centre antipoison. Je vous rappelle pour votre problème. C'est bien de la peinture glycérophtalique ? C'est juste un contact buccal ? Elle a mis le doigt dedans qu'elle a sucé ? Vous lui avez nettoyé la bouche avec un gant humide ? Bien, voilà ce que vous allez faire maintenant. Il faut lui protéger l'estomac. Avez-vous du Maalox ou du Smecta ? Du Smecta ? Vous allez lui en donner un demi-sachet pour qu'elle n'ait plus mal. Au revoir. » Luc De Haro raccroche. Le ton a été professionnel, énergique et rassurant. « Il faut toujours être ferme. Le public, souvent affolé, a besoin d'entendre quels sont les risques et les gestes à faire pour les éviter. Si la voix est plate, sans fermeté, la personne sent l'hésitation et va à l'hôpital. »

Eviter l'hospitalisation.

Effectivement, le grand intérêt du CAP, quand c'est possible, est d'éviter les consultations et la perte de temps d'un passage par les urgences déjà suffisamment encombrées. Une étude du CAP de Lille a montré que 25 % des personnes seraient allées à l'hôpital si le CAP n'avait pas été là. D'autant plus quand cela touche un enfant. En 2002, sur 87 678 cas d'intoxications aiguës recensées par quatre CAP (Angers, Marseille, Paris et Toulouse), 56 % étaient des enfants de 0 à 18 ans, avec un fort pourcentage chez les 1 à 4 ans (72 %).

« Les gens attendent que nous prenions la responsabilité d'une situation qui leur échappe. A un moment donné, il y a eu une défaillance. Peu importe qu'ils aient fait une bêtise ou qu'ils se soient trompés, on va les aider à gérer le problème », poursuit Luc De Haro. Les intoxications accidentelles sont le lot quotidien des CAP. Elles représentent les trois quarts des intoxications avec une prédominance très nette des accidents domestiques, notamment chez les enfants (près de 90 % des intoxications). Environ un quart des intoxications sont intentionnelles, dominées par la pathologie suicidaire (essentiellement chez les adultes et les enfants à partir de 13 ans). Parmi les produits incriminés, la distinction est à faire entre « accidentel » et « intentionnel » selon les âges, la plupart sont des substances pharmaceutiques et des produits domestiques.

Une véritable consultation par téléphone.

« Nous gérons entre 85 et 100 dossiers par jour, chacun pouvant générer plusieurs dizaines d'appels », commente Luc De Haro. Il s'agit d'appels de la famille, de l'intoxiqué lui-même ou du médecin hospitalier pour une aide à la décision thérapeutique. Mais aussi d'appels de l'équipe médicale du CAP dans le service d'urgence et au domicile pour assurer le suivi. En effet, l'activité de réponse à l'urgence d'un CAP se prolonge par la recherche des moyens médicaux nécessaires à la prise en charge et les conseils en collaboration avec les services médicaux.

Si l'article D. 711-9-9 du Code de la santé publique stipule que « la réponse téléphonique est assurée par un médecin ayant suivi une formation en toxicologie clinique et une formation à la réponse téléphonique », c'est bien parce qu'il s'agit d'une véritable consultation médicale spécialisée téléphonique. Un délicat exercice de télémédecine dont le maître mot est l'évaluation. Luc De Haro souligne que « rien ne pourra remplacer l'évaluation médicale d'un médecin toxicologue qui se fait non seulement en fonction d'un produit mais aussi selon les circonstances ».

Pour cela l'interrogatoire est primordial. Les questions fusent, concises. Il faut apprécier des données cliniques simples, afficher dans son esprit le produit, le confronter aux circonstances et au patient et synthétiser une réponse adaptée à la situation. A chaque fois il est nécessaire de se demander quels sont les risques.

Luc De Haro prend l'exemple d'une infirmière d'une maison de retraite. Elle a appelé pour demander si le Stéradent est toxique car une vieille dame de 84 ans vient d'avaler deux comprimés. « En prenant une base de données, vous verrez peut-être que le Stéradent produit une réaction exothermique... Mais, soit les comprimés ont été dilués dans l'eau et la réaction exothermique aura eu lieu dans le verre, entraînant une douleur dans la bouche, soit, et c'est le plus probable parce que la dame est démente, elle aura avalé directement les comprimés. La réaction chimique va avoir lieu dans l'estomac, et là c'est très dangereux. Ce sera le jour et la nuit pour la prise en charge. »

Le problème est identique pour les plantes. Est-ce dangereux de manger des clochettes de muguet ou des feuilles de laurier-rose ? Là encore, tout dépend des circonstances. « Un muguet acheté à Nantes a peu vu le soleil, tandis qu'un muguet suédois ayant poussé sous un soleil de 24 heures a le temps de fabriquer des digitaliques-like qui enverront un enfant à l'hôpital en cas d'ingestion de feuilles ; de même qu'un enfant ne risque rien s'il porte à la bouche une feuille de laurier-rose, à la différence de son camarade qui sectionne la tige dont il grignote l'intérieur. Ce dernier partira à l'hôpital... »

Une responsabilité partagée.

A Marseille, près d'un tiers des appels émanent du secteur hospitalier. « Grâce à l'arrivée des enseignements spécialisés en urgence, l'urgentiste ne nous appelle plus si un patient a avalé un tube de Tranxène, mais il le fait s'il est devant un cas complexe, une tentative de suicide polymédicamenteuse ou une intoxication avec un produit qu'il ne connaît pas. De même qu'il peut nous joindre pour savoir ce qu'il peut faire de plus ou si nous n'avons pas de nouveaux protocoles depuis la dernière fois qu'il a eu ce cas à gérer », souligne Maryvonne Ayek.

11 heures. Un médecin d'un hôpital corse appelle, affolé. Une jeune fille a été hospitalisée après une tentative de suicide avec une boîte de Lexomil et 24 gélules de Dafalgan 500. Plus d'un jour après, ce médecin a constaté que la paracétamolémie à 24 heures est de 21,25 mg/ml et qu'elle n'a pas reçu d'antidote (N-acétylcystéine) car la découverte a été tardive. Luc De Haro prend en main ce cas, en donnant au médecin la marche à suivre, tout en regrettant que le réflexe « appel au CAP » ne soit pas systématique. D'autant plus que cela permet au médecin de partager la responsabilité. « A partir du moment où le médecin de ville ou hospitalier appelle le CAP pour avoir un avis, le cas n'est plus sous sa seule responsabilité. Nous en prenons la moitié », tient à préciser Luc De Haro.

Des secrets bien gardés.

« On nous appelle aussi pour les intoxications avec des produits industriels car c'est nous qui possédons toutes les compositions », précise Maryvonne Ayek. En effet, les industriels, fabricants ou distributeurs sont dans l'obligation de fournir la composition de leurs produits (conformément aux articles L. 145-1 à L. 145-5 du Code de la santé publique). Ils le font de plus en plus spontanément et volontiers sachant que les médecins sont tenus au secret.

Rien n'a jamais filtré en quarante ans d'existence des centres antipoison. Ceux de Lyon, Marseille et Paris ont une exclusivité que n'ont même pas le ministère de la Santé ou l'Afssaps : la composition des produits cosmétiques. Près de 400 000 formules sont conservées sous enveloppes fermées que seuls les CAP ont le droit d'ouvrir en cas de problème.

Pour fonctionner, un CAP doit non seulement connaître la composition d'un produit mais aussi sa toxicité. Pour cela, chacun dispose de thesaurus sur les médicaments, les produits phytosanitaires et autres produits industriels ou ménagers. Outre la richesse de leur multiple formation (proche d'un bac + 20 !) et de leur solide expérience, ces praticiens de la télémédecine sont très « documents-dépendants », selon l'expression du Pr Georges Lagier, responsable du CAP de Paris et président de l'Association française des centres antipoison : abonnements à de multiples revues françaises et étrangères, bibliothèque fournie, réunions de la Société française de toxicologie, bases de données... Normal, tous les jours sont commercialisés en France des dizaines voire des centaines de produits. Les CAP conservent jusqu'aux informations sur les produits disparus dans l'éventualité d'un bidon trouvé dans un grenier... Chaque centre dispose de fichiers manuels. Celui de Paris comporte 125 000 substances en plus des médicaments et cosmétiques.

Création d'un réseau commun.

Tous les appels sont précieux. Hormis les cas simples, classés, tous ceux susceptibles de présenter un problème de détournement d'usage ou une erreur de prescription sont adressés soit au Centre d'étude et d'information sur les dépendances, soit au système de pharmacovigilance. Afin de regrouper les bases locales de chaque centre, les recueils des cas et les bases de données sur les produits, les CAP ont développé un outil commun regroupant deux bases de données. La Base nationale des produits et compositions gérée par le CAP de Nancy rassemble toutes les informations collectées et validées sur les préparations commerciales. En outre, les appels collectés nominativement par chaque centre vont être regroupés anonymement sur la Base nationale des cas d'intoxication et des demandes d'informations toxicologiques gérée par le CAP de Paris qui assure la coordination générale. La saisie informatisée de tous les cas d'intoxications va en permettre une description et une analyse approfondie, primordiale pour l'activité de toxicovigilance et de veille sanitaire.

La tâche d'un centre antipoison ne s'arrête pas là. Il assure aussi des activités de toxicovigilance nationales et locales ciblées sur des thématiques majeures : saturnisme infantile, intoxications oxycarbonées, maladies allergiques respiratoires, intoxications par des pesticides... Les CAP surveillent et notifient également les toxicités émergentes, permettent aux autorités sanitaires de modifier des conditionnements (mise en place de bouchons de sécurité) ou des compositions (ajouts de substances amères ou vomitives pour éviter des ingestions intempestives et massives de produits toxiques) et font de la formation.

« On ne nous dérange jamais, assure Luc de Haro, Il ne faut pas hésiter à nous appeler à la moindre question. »

Chiffres

- Entre 900 et 3 000 cas mensuels (chaque cas pouvant générer plusieurs appels) gérés par centre antipoison.

- 75 % des cas sont d'origine accidentelle dont plus des trois quarts sont liés à des accidents domestiques. Plus de la moitié concerne les moins de 15 ans.

- 32 à 53 % des appels proviennent du corps médical ; 47 % à 68 % proviennent du grand public.

- 55 % des intoxications sont d'origine médicamenteuse.

(Source : d'après une compilation des données des différents centres antipoison.)

A savoir

- Rôle des CAP

Les dix centres antipoison et de toxicovigilance sont des services hospitaliers desservant des zones géographiques de 6 à 9 millions d'habitants. Leur fonctionnement est organisé autour de cinq activités principales :

- réponse téléphonique à l'urgence, 24 h/24, 7 jours/7 et suivi des cas d'intoxications ;

- toxicovigilance, veille sanitaire et mise en place du réseau interrégional ;

- enseignement et recherche en toxicologie médicale et de l'environnement ;

- éducation sanitaire et prévention ;

- activité d'expertise.

Contacts

- Angers : 02 41 48 21 21.

- Bordeaux : 05 56 96 40 80.

- Lille : 08 25 81 28 22.

- Lyon : 04 72 11 69 11.

- Marseille : 04 91 75 25 25.

- Nancy : 03 83 32 36 36.

- Paris : 01 40 05 48 48.

- Rennes : 02 99 59 22 22.

- Strasbourg : 03 88 37 37 37.

- Toulouse : 05 61 77 74 47.

- Internet :

http://www.centres-antipoison.net (site de l'association des CAP).

Les bons réflexes

Appelez le centre antipoison (de préférence de votre région) et/ou un médecin et/ou le SAMU (15).

N'attendez pas que les symptômes de l'intoxication apparaissent pour téléphoner.

Ne faites pas boire de lait ! Ne faites pas vomir ! C'est rarement indiqué et parfois même très dangereux. Demandez d'abord l'avis du centre antipoison ou celui du médecin.

En cas de projection d'un produit dangereux dans les yeux ou sur la peau, rincez immédiatement, abondamment et longuement, plusieurs minutes, à l'eau claire.

En cas d'émanation de gaz irritant ou toxique dans un espace fermé, aérez bien les locaux.

En cas de pollution accidentelle massive, aérienne ou hydrique, suivre les instructions spécifiques diffusées par les autorités de santé et préfectorales.

Tenez-vous prêt à répondre à votre interlocuteur du CAP :

- L'âge de la (ou des) victimes, le poids, la taille.

- La dénomination du (ou des) produits à l'origine de l'intoxication : gardez l'emballage, le mode d'emploi et la notice à portée de main (faites collecter ces renseignements par l'entourage).

- A quelle heure et en quelle quantité le produit a-t-il été ingéré ou inhalé (temps d'exposition) ?

- Que s'est-il passé (accident, tentative de suicide, accident collectif...) ?

Donnez le plus de détails possible.

(Source : Association des centres antipoison et de toxicovigilance.)

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