6 solutions pour limiter la casse - Le Moniteur des Pharmacies n° 2504 du 01/10/2003 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2504 du 01/10/2003
 

Actualité

Enquête

La concentration du réseau officinal est au programme des réformes de Jean-François Mattei. Il a invité la profession à lui faire des propositions. Si les politiques restent plutôt évasifs, les partenaires des pharmaciens (experts- comptables, juristes et financiers) ont bien des idées sur la question.

La concentration du réseau est certainement une source d'économie potentielle. Elle réduit les coûts de livraison, accroît le chiffre d'affaires moyen des officines qui se maintiennent et permet des réductions de coût fixe. Elle assure sans doute un meilleur service au patient. Une génération de pharmaciens va partir à la retraite dans les prochaines années. C'est à cette occasion qu'il sera possible de ne pas reconduire les officines les plus petites. Je souhaite pouvoir réfléchir à la mise en place d'un dispositif pilote qui répondrait à ce souci. Je compte sur votre créativité ». En quelques phrases, prononcées en mars dernier lors de Pharmagora, Jacques de Tournemire, conseiller de Jean-François Mattei, a secoué le landernau pharmaceutique.

Certes, le sujet n'est pas nouveau. Mais le discours du ministre sonne comme un constat d'échec des regroupements ouverts en 1999 par la nouvelle loi de répartition démogéographique des officines. Ils faisaient figure de pierre philosophale. Las ! On en compte seulement deux par an depuis trois ans contre 200 transferts... Il faut dire que l'opération reste techniquement délicate et onéreuse, entre 83 000 et 192 000 Euro(s). La loi, contraignante, rend la fusion des licences complexe : regroupement autorisé s'il n'induit pas une création de droit, délai d'ouverture sous un an une fois la nouvelle licence accordée, obligation de conserver le même nombre de pharmaciens diplômés, interdiction de céder ses parts pendant cinq ans... Et ce n'est pas tout ! Un regroupement c'est aussi le risque de perdre une partie de la clientèle, donc du chiffre d'affaires, la gestion des doublons (de fournisseurs, de prestataires, d'employés, d'informatique et moyens divers...), les incertitudes de la vie en association...

Une équation à une inconnue.

Passé l'amertume, les représentants de la profession rejoignent le ministre : il faut réduire la densité des officines notamment dans les zones où elles sont manifestement en surnombre. Mais combien de pharmacies devront disparaître ? Gilles Brault-Scaillet, président du Collectif des groupements, s'était hasardé en mai dernier à citer le chiffre de 5 000. Tollé. « C'est un chiffre qui circule depuis longtemps dans la profession, se défend-il. On nous a fait un mauvais procès. Le Collectif n'a pas réalisé de comptage précis, mais le constat est là : il y a trop de pharmacies en France. » « Il est impossible de donner un chiffre global, rétorque Claude Japhet, président de l'UNPF. Si l'on arrive à faire disparaître 100 officines par an, ce serait déjà bien. Nous sommes dans une phase de stabilité. Il y a toujours des créations mais autant de fermetures. Prenons le temps de faire les choses. » Christian Denoyel, directeur de Solyphar, filiale de la Lyonnaise de banque (groupe CIC), ne prend pas de gants. Selon lui, ce sont 7 000 officines qui devront, à terme, mettre la clé sous la porte. « L'officine de demain aura besoin d'un chiffre d'affaires minimal de 1 600 000 euros pour vivre et assurer un service de qualité, parce que la MDL à deux tranches vise une marge de 20 % sur le médicament remboursable et que le pharmacien ne pourra compter que sur un excédent brut d'exploitation moyen de 9 %, sous l'effet conjugué des augmentations de charges et des baisses de marge, détaille-t-il. Outre le fait de générer un CA suffisamment important pour dégager du résultat, les pharmaciens n'auront de perspectives qu'avec 16 000 officines. Celles de moins de 800 000 euros n'ont pas de pérennité à cinq ans. »

L'affaire n'est pas mince. Mais quelles sont les pharmacies qui devront d'abord s'effacer ? Les rurales, celles des hypercentres-villes, celles dont les titulaires vont partir à la retraite ? Difficile à dire. « Une pharmacie surnuméraire n'est pas nécessairement une pharmacie qui n'est pas viable, remarque Bernard Capdeville, président de la Fédération. Le gouvernement estime qu'une suroffre de pharmacies engendre des surcoûts pour l'assurance maladie. Ce n'est pas sûr. Mais ça l'est concernant la suroffre de prescriptions. Et 86 % de l'activité du pharmacien c'est justement de la prescription. » Pour Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise, il semble logique de supprimer en priorité les petites officines, qui n'apportent plus un réel service à la population. « Ces pharmacies ne sont plus viables et sont entraînées par une spirale d'échec car elles n'ont pas les moyens d'accéder, du fait de leur taille, à certains services, explique-t-il. A l'inverse, à d'autres endroits, il faudra maintenir ces petites officines en leur permettant de retrouver leur rentabilité. » « On ne peut donc pas désigner une catégorie spécifique de pharmacies, prévient Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'USPO. Parce qu'il s'agit moins d'aller vers une restructuration totale du réseau que de tendre à une meilleure répartition des officines dans certaines zones, en milieu urbain, suburbain et rural. »

Les solutions devront donc être multiples. C'est ce que croit en tout cas Philippe Becker pour qui la concentration du réseau ne se fera qu'en mettant à disposition des pharmaciens un large éventail de possibilités, même si certaines resteront très marginales. « On ne peut pas avancer au coup par coup, il faudra une réforme globale, tonne, à l'inverse, Yves Trouillet, président de l'Association de pharmacie rurale. Les pharmaciens devront dire qu'ils souhaitent comme exercice pour l'avenir. Veulent-ils un pharmacien indépendant, propriétaire, gérant majoritaire, ou une structure en chaîne à l'anglaise, avec des capitaux extérieurs ou la proximité disparaît ? » Quoi qu'il en soit, l'objectif reste de trouver la meilleure adéquation possible entre notre système de distribution du médicament et les besoins de la population. Voici six pistes à creuser.

- 1° Amender la loi sur les regroupements

Relancer le processus des regroupements de pharmacies en amendant la loi de répartition démogéographique des officines pour y apporter des aides financières et des avantages fiscaux. Voilà une mesure que tout le monde appelle de ses voeux. Hubert Mathieu, consultant en droit et économie de la pharmacie (société Anticyp), propose une exonération d'impôts et de plus-values pour le cédant et la suppression des droits d'enregistrement pour l'acquéreur sur les indemnités reçues. Selon Luc Manry, avocat du cabinet Havre Tronchet, il faut lier transfert et regroupement pour que ce dernier soit efficace : « Le regroupement de deux pharmacies limitées financièrement en raison de leur emplacement commercial n'a d'intérêt que s'il s'effectue sur un troisième local. Mais ce montage ne peut faire des émules qu'à la condition que l'abandon d'une des licences ne soit pas l'occasion pour d'autres pharmaciens de déposer un dossier de création ou de transfert dans le quartier ou la commune. »

« Le regroupement ne se décrète pas. Comment faire travailler ensemble deux pharmaciens qui vivent une situation extrêmement concurrentielle ? », interroge Yves Trouillet. « Cela suppose un changement radical de mentalité, mais je n'y crois pas trop car les pharmaciens ne savent pas prendre de retrait sur leur individualisme historique, sauf peut-être les plus jeunes, qui n'ont pas la même vision que leurs aînés », rétorque Hubert Mathieu.

- 2° Des fonds d'entraide, des subventions...

L'idée : organiser, avec l'aide de l'Etat, la fin de certaines pharmacies et permettre aux pharmaciens de sortir dans de bonnes conditions. Ce serait la solution la plus envisageable pour les pharmaciens qui approchent de l'âge de la retraite. « Ce serait aussi la solution idéale pour toutes ces pharmacies qui sont en vente depuis quatre ou cinq ans et qui ne trouvent pas preneur même à 50 % du chiffre », estime Gilles Brault-Scaillet. « C'est un marché à proposer, convient Claude Japhet. Vaut-il mieux que le fonds d'indemnisation reprenne votre pharmacie à 40 % de sa valeur sans impôts, ou que vous la cédiez pour 60 % en payant des impôts très lourds ? »

L'intervention de l'Etat pourrait prendre la forme d'un fonds d'entraide ou de subventions. « Cela a existé chez les médecins qui ont reçu pendant un temps une aide de l'Etat pour encourager les départs en préretraite », signale Philippe Becker. Reste à bien déterminer le profil des pharmaciens éligibles à cette aide et à déterminer comment pourrait être abondé ce fonds. Christian Denoyel ne croit pas à une intervention de l'Etat-providence, mais davantage à la loi du marché : « Alors que les autres professions se concentraient, les pharmaciens n'ont pris que les avantages d'un système qui leur a permis d'engranger pendant la période faste des plus-values de cession. La profession a gâché toutes ses chances au profit du business, alors qu'une partie des excédents dégagés aurait pu servir à financer un fonds de garantie destiné à la restructuration du réseau. »

- 3° Racheter seul ou à plusieurs la pharmacie susceptible de fermer

Il s'agit de donner la possibilité à un ou plusieurs pharmaciens d'un quartier ou d'un village d'acquérir le fonds d'une officine d'un confrère « sortant » dans l'optique de procéder à sa fermeture. « Les pharmacies environnantes pourraient se regrouper et cofinancer la fermeture d'une officine au prorata des bénéfices attendus pour chacune », suggère Hubert Mathieu. « Une telle mesure s'accompagnerait d'une impossibilité de déposer ensuite un dossier de création, tandis que les acquéreurs pourraient amortir fiscalement le fonds repris », détaille Olivier Delétoille, de KPMG.

Inconvénient : il n'est pas possible de prévoir à l'avance la répartition des indemnités de départ à verser par officine, ni préjuger comment le report de clientèle va s'effectuer. La solution consisterait, selon Hubert Mathieu, « à calculer la quote-part de chaque pharmacie en fonction de sa propre progression de chiffre d'affaires, l'année suivant cette fermeture, au vu des bilans et comptes de résultat ».

Mais l'opération de « fusion-absorption » peut aussi s'envisager en solo. Dans ce cas, « le titulaire rachèterait en quelque sorte la disparition de l'officine, à condition que la loi autorise l'achat, la conservation et le cumul d'une seconde licence sur un même lieu d'exploitation, sans obligation de s'associer et sans risque de création derrière », imagine Luc Manry. Un système qui fonctionne en milieu rural (lire ci-contre).

- 4° Les SPF « sous conditions »

Pour l'UNPF, la SPF (société de participations financières) constitue un outil de concentration de choix du réseau officinal. « Mais sans la déductibilité des intérêts d'emprunts liés à l'acquisition de titres de SEL, la création des SPF n'offre aucun intérêt », rappelle Claude Japhet. Il entend négocier ce point avec Jean-François Mattei, argumentant que les SPF permettront de réduire le nombre d'officines en France. « On peut imaginer, à un moment donné, qu'une holding possédant quatre ou cinq officines décide de fermer l'un de ses points de vente pour donner davantage de moyens aux autres », précise le président de l'UNPF.

La suppression de pharmacies pourrait ainsi servir sur le plan politique de monnaie d'échange pour obtenir la déductibilité des intérêts d'emprunt dans le cadre de schémas de reprise par des holdings. « La déductibilité des intérêts d'emprunt est un faux débat, s'emporte Gilles Brault-Scaillet. On la brandit pour faire peur et pour que, finalement, rien ne bouge. Bien entendu elle facilitera le passage en SPF, mais il existe des montages financiers, certes complexes, mais qui pourraient nous faire avancer sur MURCEF. » Ce que confirme Olivier Delétoille pour qui la modification d'un seul article du Code général des impôts permettrait la déduction fiscale des intérêts d'emprunt.

- 5° Modifier le décret sur les SEL

Pour Hubert Mathieu, pas besoin des SPF, une modification du décret de 1992 sur les SEL peut suffire à ouvrir de nouveaux horizons à la profession. « Pour constituer localement des miniréseaux, il n'est pas nécessaire de faire appel à la loi MURCEF qui n'intéresse que le grand capital. Il conviendrait seulement que ce décret autorise une même SEL, comme pour les laboratoires d'analyses et de biologie médicale, à posséder dans un premier temps jusqu'à cinq pharmacies et à détenir des participations dans plus de deux SEL. » Olivier Delétoille appelle aussi de ses voeux cette évolution : « Il faut donner la possibilité à une SEL de détenir une, deux ou trois officines proches avec l'optique d'opérer nécessairement un regroupement sur un seul site dans des délais à prévoir (trois, quatre, six ans...). Une telle mesure s'accompagnerait aussi d'une impossibilité de déposer des dossiers de création ou de transfert. »

- 6° Rehausser le quorum

Une position soutenue notamment par le syndicat APLUS qui propose la fixation d'un quorum de population élevé à 3 500 habitants par officine à compter de la seconde officine, quelle que soit la taille de l'agglomération concernée. « On voit encore des créations qui, sur le plan économique et sanitaire, ne sont pas vraiment justifiées, remarque Olivier Delétoille. En outre, une création devrait avoir pour corollaire une fermeture. Le créateur aurait alors l'obligation de trouver un fonds à acheter pour le fermer. »

Un regroupement prometteur à Puylaurens

De mémoire d'habitant de Puylaurens, on avait toujours connu deux pharmacies. Entre Toulouse et Castres, ce bourg tarnais qui a subi progressivement une érosion de sa population (2 800 habitants) n'en compte plus qu'une depuis avril dernier. Jean-Paul Sudries, installé depuis vingt-quatre ans dans le village, n'a pas hésité quand il a appris que sa concurrente souhaitait vendre et quitter la commune.

« Nos deux pharmacies étaient d'importance équivalente (environ 1,2 million d'euros de chiffre d'affaires). Le rachat m'a paru évident, c'était l'occasion d'aller de l'avant sans prendre un risque énorme. » Une opinion partagée par Séverine Vaurs, 31 ans, associée dans l'officine depuis deux ans. « En fait, il s'agit d'une fusion, explique Jean-Paul Sudries, car nous avons repris tout le personnel (un assistant, deux préparatrices et la femme de ménage) venant compléter mon équipe qui comptait une préparatrice et une personne pour le secrétariat. Nous avons changé d'échelle mais cette opération est très positive. Nos deux gammes étaient complémentaires, l'offre est améliorée et le panier moyen bien meilleur. D'ailleurs, nous n'avons pas perdu de clientèle. La nouvelle marge dégagée paye l'emprunt et les nouveaux salaires, c'est donc une excellente affaire. »

La démarche est encouragée par le syndicat départemental, une autre opération du même type vient d'ailleurs de se réaliser près de Mazamet. -

Marc Pouiol

Trois questions à Jean Parrot président du Conseil de l'Ordre

Quel est selon vous le cap à tenir sur ce dossier : concentrer le réseau, le restructurer, le redéployer ?

De quoi s'agit-il ? De maintenir, de conserver les moyens de répondre à un principe fondamental de santé publique : un accès facile et égalitaire aux médicaments, sur tout le territoire, ce qui suppose une répartition harmonieuse des officines. Cette responsabilité relève de l'Etat. C'est à lui de veiller au fait que tous les citoyens puissent avoir un accès adapté aux services pharmaceutiques, quelle que soit leur situation (y compris s'ils sont âgés, malades et sans moyens de transport personnels). L'objectif des discussions en cours est de donner plus de pertinence au réseau des pharmacies. Le moyen à l'étude est une incitation au regroupement de pharmacies trop proches donc en surnombre par rapport aux besoins locaux. Il ne s'agit pas diminuer le nombre des pharmaciens mais de leur permettre d'exercer regroupés dans une structure plus grande et mieux adaptée à leurs missions. La proximité est pertinente, c'est elle qui permet une amélioration permanente de la productivité de l'officine qui « produit » des actes thérapeutiques. La « bonne économie » passe par la qualité de ces actes. Le Premier ministre dit que les réalités du terrain sont sa référence. J'ai confiance.

En dehors des regroupements, quels peuvent être les moyens d'y arriver : MURCEF, fonds d'indemnisation, rachats de licence... ?

Vous entrez dans la technique juridique, non pertinente à ce jour.

La loi MURCEF, non demandée par la profession, nous donne l'occasion de réfléchir à de nouvelles propositions d'outils juridiques et à l'accessibilité améliorée des jeunes pharmaciens au capital des officines. Une étude est en cours. Il s'agit de passer en revue tous les divs de droit commercial, le Code civil, le Code de la santé publique, le Code de la sécurité sociale, le code de déontologie, le Code des impôts... qui participent à l'organisation du cadre de l'exercice professionnel des officinaux. Ces études seront publiées prochainement. J'espère qu'elles permettront de clarifier les vrais enjeux pour l'avenir de la profession et de trouver des solutions pertinentes pour adapter notre réseau au nouveau siècle. La profession se prononcera.

Quel niveau de concentration faut-il atteindre et qui doit se sentir visé ?

Personne. Il s'agit, à ma connaissance, d'élaborer des mesures d'incitation... Seuls les volontaires sont concernés. Le niveau de concentration ne peut pas être uniforme sur l'ensemble du territoire. Il faut tenir compte de la géographie, de la densité des populations, de leur âge, de la densité des officines et de celle des pharmaciens dans un même bassin de vie.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


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