Marques attaquent - Le Moniteur des Pharmacies n° 2502 du 20/09/2003 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2502 du 20/09/2003
 

Actualité

Enquête

Le développement des génériques a semé la zizanie entre les pharmaciens et certains laboratoires de médication familiale. Les industriels font corps et souhaitent ouvrir un large débat sur les enjeux et l'intérêt pour l'officine à défendre les marques. Analyse.

Déjà ébranlées par la récession de leur marché, les marques d'automédication doivent affronter depuis peu la concurrence des génériques. Avec leur arrivée dans les officines, la différence de prix entre le médicament familial et le médicament remboursable de vente libre s'est encore accentuée, portant de fait préjudice aux marques. Selon Gilles Alberti, directeur des opérations chez Sanofi-Synthélabo OTC, « les évolutions sur un an sont comprises entre - 7 % et - 20 % pour toutes les grandes marques d'automédication ». Ainsi Aspégic a vu ses ventes baisser de 20 % en un an (- 4 millions d'unités), Doliprane de 2 % (- 2 millions). Maalox a connu, lui, une baisse de 10 % (- 450 000 unités). Conséquence, c'est un peu la guerre froide entre les marques et les officinaux.

Plusieurs grands laboratoires tirent la sonnette d'alarme et veulent faire comprendre aux pharmaciens que, selon eux, « tuer les marques, c'est tuer la pharmacie ». En juillet, Sanofi-Synthélabo, Théraplix, Roche Nicholas et BMS-UPSA ont souhaité unir leurs forces pour sensibiliser les pharmaciens aux enjeux économiques des marques et au capital qu'elles représentent pour l'officine. « L'objectif est de monter un projet multilaboratoire afin de reprendre une part de voix face aux laboratoires de génériques », annonce Gilles Alberti, à l'origine de l'initiative. « Nous voulons ouvrir un large débat avec les pharmaciens afin de réfléchir ensemble sur l'avenir des marques et celui des officines », expose Yves Aubriot, P-DG de Théraplix, convaincu que les deux sont intimement liés.

Ce groupe informel a lancé un appel aux syndicats professionnels pour engager la discussion. « Nous voulons amener nos partenaires officinaux à réfléchir sur les paramètres qui continueront à faire croître les ventes des différentes catégories de produits de l'officine », complète Marc Lafeuille, P-DG de Roche Nicholas. A l'inverse de ses alliés, Roche Nicholas n'est pas directement attaqué par les génériques. « C'est la pollution environnante créée autour de nos produits par la prescription en DC, les messages sur les marques et les génériques expliquant que c'est la même chose et le TFR qui sont à l'origine de notre engagement aux côtés de trois autres laboratoires, précise-t-il. Cette pollution fait que les efforts des pharmaciens ne sont plus concentrés sur le développement des marques. Ceux-ci préfèrent appuyer des produits pour lesquels ils retirent des marges immédiates plutôt que de profiter de la puissance des marques pour développer leur business. »

Partageant la même analyse, Benoît Gallet, vice-président des laboratoires Upsa, renchérit : « Les pharmaciens ne font pas un bon calcul à long terme. Une marque forte, c'est le meilleur outil à disposition du pharmacien pour prendre en charge la santé de ses clients car elle a un "effet thérapeutique" très fort auprès des malades qui ont besoin d'être rassurés et de connaître le médicament qui va les soigner. C'est aussi un outil sur le plan économique. Si le pharmacien d'officine n'agit pas en défenseur des marques, demain il deviendra pharmacien discounter ou de grande surface et je ne suis pas sûr qu'alors la pharmacie s'y retrouve. »

Une « paupérisation » des marques.

Sans vouloir faire une campagne anti-génériques, les quatre laboratoires regrettent amèrement l'élargissement du champ d'action de la substitution au médicament familial. « Nous comprenons l'intérêt pour le pharmacien de développer la substitution sur des médicaments de prescription obligatoire », poursuit Yves Aubriot.

En revanche, vendre du générique à la place du médicament familial dans le cadre d'un conseil suscite l'incompréhension dans les rangs des industriels. En agissant de la sorte, « les pharmaciens scient la branche sur laquelle nous sommes assis avec eux », estime Yves Aubriot. Selon lui, en donnant leur préférence au générique pour gagner des remises et des « marges arrière », les officinaux font un mauvais choix. « La politique des génériqueurs est de faire du business à court terme, met-il en garde. En tuant les marques, elle aura des effets pervers pour l'économie de l'officine. »

Les quatre laboratoires affirment d'une seule voix que les médicaments génériques d'automédication ne pourront pas empêcher l'effondrement de pans entiers de la médication familiale lorsque des médicaments seront déremboursés. « Encore une fois, le client a besoin d'être rassuré, explique Gilles Alberti, et qui mieux que les marques à forte notoriété peut satisfaire ce besoin ?... Elles font partie du patrimoine officinal. En défendant leurs valeurs ajoutées, les pharmaciens peuvent mieux préserver leur marché des effets négatifs des déremboursements sur les volumes. » Et Yves Aubriot de citer l'exemple des carbocistéines.

Les génériques ont totalement phagocyté Rhinathiol, la marque leader de ce segment, mais, aujourd'hui, les volumes réalisés sur cette molécule n'ont plus rien à voir avec ceux de la fin des années 90, même après le déremboursement total de la gamme Rhinathiol en 1998.

Autre risque encouru : la « paupérisation » des marques avec le retrait du marché des formes les moins rentables. Les marques constituent le principal capital des laboratoires de princeps, mais si elles sont mises à mal par les génériques, ceux-ci n'hésiteront pas à les remettre en cause. « Si les marques sont tuées par les génériques, les laboratoires investiront dans d'autres marques à plus forte marge et ne conserveront sur le marché que les présentations qui leur font encore gagner de l'argent », avertit Yves Aubriot.

Substituer : « un mécanisme de destruction ».

Cependant, l'épisode du paracétamol est resté en travers de la gorge des pharmaciens. Pour éviter toute guerre de prix avec les fabricants de génériques et continuer à profiter de l'attachement des Français à la marque Doliprane, Théraplix a préféré baisser ses prix et serrer ses marges. Idem pour BMS-UPSA. Un moindre mal pour ces laboratoires qui voyaient dans l'inscription du paracétamol au Répertoire des génériques le pire des scénarios. Mais, du même coup, l'officine s'est vu privée d'un marché générique essentiel (les Français ont acheté l'an dernier 250 millions de boîtes de paracétamol) et d'un moyen majeur pour atteindre les taux de substitution qui lui sont imposés, d'où la grogne des pharmaciens. Dans son communiqué de presse de juillet, le Collectif des groupements a fustigé la façon dont les laboratoires de princeps contournent les règles du marché des génériques et de la substitution. Mais avec la mise sous TFR du paracétamol, « le prix du Doliprane se serait aligné sur celui des génériques et la survie des formes "sachet" et pédiatriques, qui sont déficitaires, aurait été potentiellement menacée », explique le P-DG de Théraplix.

En fait, les laboratoires de médication familiale aimeraient que les pharmaciens s'investissent sur leurs marques avec le même engagement que sur le générique. Yves Aubriot leur demande en particulier de faire la part des choses entre les médicaments éthiques remboursables et les médicaments susceptibles, demain, de basculer dans l'univers de la médication familiale. « Notre message n'est pas de dire qu'il n'y a pas de place pour le générique mais de rappeler que ce sont des marques fortes qui boostent les marchés », précise Marc Lafeuille. Pour lui, substituer une marque par un produit à marge immédiate qui ne communique pas, sauf à parler de la conformité de la copie à la molécule princeps, « c'est enclencher un mécanisme de destruction de catégories entières de produits ». De plus, selon lui, ne pas soutenir et mettre en avant les marques fortes qui communiquent (sous prédiv que les produits sont connus et prévendus) va à l'encontre des lois du merchandising et des règles universelles de la distribution.

A son tour, Gilles Alberti appelle les officinaux à rééquilibrer leurs achats en direct. « Les ventes en direct des laboratoires ont augmenté de 30 % en début d'année par rapport à la même période de 2002, principalement au profit des génériques et de certains princeps mais au détriment des produits de médication familiale », constate-t-il.

Jacques Séguéla à la rescousse.

Pour l'heure, le quatuor d'industriels n'a encore aucun projet d'actions communes et chacun travaille de son côté. Sanofi-Synthélabo a décidé de communiquer dès la rentrée dans la presse professionnelle au travers d'une campagne institutionnelle confiée à un célèbre publicitaire. Son slogan : « Avec Sanofi-Synthélabo, et Jacques Séguéla, découvrez comment les marques de l'officine se démarquent ! » Le second volet de la campagne aura un objectif essentiellement pédagogique. « Nous mettons actuellement sur pied un programme de formation, toujours avec le concours de Jacques Séguéla, destiné à faire redécouvrir aux pharmaciens les valeurs ajoutées de la marque », dévoile Gilles Alberti : « Pourquoi défendre les marques ? », « Quelles différences entre un produit et une marque ? », « Comment une marque forte fidélise les clients et valorise le conseil du pharmacien ? », etc. Sur toutes ces questions, Sanofi-Synthélabo entend, lors de prochaines soirées de sensibilisation, faire comprendre aux pharmaciens les enjeux économiques à soutenir les marques. Le laboratoire a choisi des symboliques fortes pour sa campagne, avec un logo servant de signe de reconnaissance tant pour les professionnels de santé que pour le grand public, mariant la croix verte aux « marques références » (Magné B6, Mitosyl, Aspégic, Fluocaril, Maxilase). En appui, un bandeau véhicule le message « Marques références, ça me rassure ». En officine, la campagne sera relayée par différents moyens promotionnels : vitrophanie, brochures grand public, PLV stop-rayon...

La menace des « produits frontière » hors officine.

Chez Théraplix, la rentrée coïncide avec le lancement d'une nouvelle campagne de communication sur Doliprane. Le discours consiste à expliquer aux pharmaciens que « le laboratoire, en défendant les marques, défend les officines ». BMS-Upsa ne sera pas en reste non plus et mise sur une communication très forte. « Nous n'envisageons pas de travailler sans les pharmaciens avec qui nous avons toujours développé un partenariat gagnant-gagnant basé sur les services, la qualité, la traçabilité et la transparence », annonce Benoît Gallet. Pas question non plus pour Roche Nicholas de lâcher prise. « Nous continuons à lancer des produits apportant un plus pour le consommateur et à proposer aux pharmaciens des outils adaptés d'aide au développement de leur chiffre d'affaires », garantit Marc Lafeuille.

Mais en filigrane, certains laissent entrevoir que si les officinaux continuent à bouder les marques d'automédication, ils pourraient, en toute dernière extrémité, se tourner vers d'autres circuits de distribution et y implanter une version non médicamenteuse d'un « produit frontière ». Juridiquement, rien ne s'y oppose. L'industriel, qui ne veut pas perdre sa marque, a parfaitement le droit de sortir du statut médicamenteux pour transformer son produit en produit d'hygiène ou de santé, vendu n'importe où, sans conditions particulières de dispensation ou de professionnels habilités.

Produits pressentis pour cette sortie « à contrecoeur » du monopole : les magnésiums, les eaux de mer pour le lavage du nez, les produits de santé buccodentaire... « Notre volonté n'est pas d'entrer en conflit avec les pharmaciens, ni d'aller vers la grande distribution, mais, au contraire, de resserrer les liens avec eux et de travailler main dans la main », rassure cependant Gilles Alberti.

« Les marques, c'est bon pour le monopole »

Les laboratoires « éthiques » sont également sur le pied de guerre. Depuis six mois environ, une dizaine d'entre eux (dont Roche, Pfizer, UCB, Merck-Lipha, Lilly...) se sont rapprochés pour réfléchir ensemble sur l'avenir de leurs marques. « Il ne s'agit pas d'un club des princeps, ni d'un groupe de lutte anti-génériques, mais d'un club informel, pas forcément représentatif de la stratégie des laboratoires, réunissant des responsables des relations avec les pharmaciens d'officine ou "d'unités de business", tient à préciser d'emblée Jean-Christophe Court, pharmacien de formation et responsable de Roche Action Officine. Nous nous rencontrons une fois par mois pour partager des idées et échanger sur nos visions respectives du business à développer avec les pharmaciens d'officine. »

A chaque fois, une personnalité du monde officinal est invitée à participer à ces séances de brainstorming. L'occasion pour les laboratoires d'adresser à travers lui un message fort à la profession, tel celui des laboratoires de médication familiale. « Nous souhaitons faire comprendre aux officinaux que la valorisation de leur métier passe aussi par la défense des princeps », livre Jean-Christophe Court. Et de rappeler que « les marques sont incontournables et qu'il est impossible de se passer de leurs services. Si une grande surface retire la marque Coca-Cola de ses étals, elle perd 50 % de sa clientèle ! »

Ce « noyau dur d'industriels » pense que les marques de médicaments innovants mais aussi celles de médicaments plus « matures » ont un rôle clé à jouer pour aider les pharmaciens à mieux s'impliquer dans l'observance des traitements, le suivi thérapeutique des patients et le contrôle des effets secondaires des médicaments prescrits par le médecin. « A des degrés divers, les pharmaciens le font mais leur problème, c'est qu'ils ne le font pas assez savoir, estime Jean-Christophe Court. Or, à travers les marques, les laboratoires apportent aux officinaux une information sur les médicaments innovants, voire sur des pathologies nouvelles, ainsi que des services qui les aident à mieux encadrer et verrouiller l'ordonnance, à formaliser et prouver leur valeur ajoutée dans le système de soins, et, par voie de conséquence, à mieux fidéliser leurs clients. »

Pour Jean-Christophe Court, les marques sont ni plus ni moins un moyen pour le pharmacien de sauvegarder son monopole.

Le pouvoir des marques recule

Selon une étude Taylor Nielsen Sofres, menée en mai-juin 2002 auprès de 2 500 personnes, sur la capacité de conviction de 300 marques appartenant à l'ensemble des secteurs de l'économie, la capacité des industriels à convaincre les consommateurs d'acheter leurs marques est en baisse de près de trois points (15 % des personnes interrogées contre 18 % lors de la précédente enquête de 1997). L'achat d'une marque est donc moins certain qu'il y a cinq ans.

En revanche, sur les 184 marques communes aux deux études, la notoriété et l'évocation de ces marques ont augmenté. De plus, la qualité perçue et l'utilisation sont restées stables.

Le second constat relevé est l'effritement de l'acceptation de la « prime » de marque. En 1994, 27 % de la population était prête à payer plus cher pour une marque. Ce taux n'est plus que de 21 % en 2002. Enfin, si les attentes du consommateur sont toujours très fortes, on observe une perte de crédibilité des grandes marques, notamment en termes de compétence et d'attention, à l'environnement et à leurs clients.

Des solutions. L'enquête conclut néanmoins sur une note d'espoir pour les marques. Dans un condiv d'insécurité, la marque peut renforcer ses atouts et reconquérir le terrain perdu, mais à plusieurs conditions : elle doit s'abstenir de surpromettre, assurer une cohérence entre ses actes et ses paroles ; justifier en permanence son différentiel de prix ; et, enfin, ne pas oublier que séduction et émotion restent des moteurs indispensables pour entraîner la conviction des consommateurs.

Pourquoi choisit-on une marque ?

Les marques passent en fait avec leurs consommateurs des « contrats » implicites. Quatre types peuvent être définis et sont autant de fonctions attribuées aux marques :

- Le « contrat de base » contient les valeurs de réassurance de la marque. Avec des marques qui remplissent ce contrat, le consommateur minimise le risque. On observe actuellement un renforcement spectaculaire de la valeur de réassurance dans sa capacité à faire accepter la prime de marque.

- Le « contrat moral » est celui de marques éthiques qui prennent en compte les exigences de leurs clients et assument leurs responsabilités. Les valeurs contenues dans ce contrat assurent la pérennité de la marque.

- Le « contrat de confiance » place les grandes marques comme plus accessibles et délivrant le meilleur rapport qualité/prix.

- Le « contrat social » passé avec les marques caractérise celles auxquelles le consommateur est attaché culturellement.

Par ailleurs, le consommateur s'approprie les marques, comme celles de l'industrie du luxe dans lesquelles il se reconnaît ou se projette, ou en se laissant guider par ses émotions dans un but de séduction (mode d'appropriation important chez les jeunes notamment).

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