Prescription hors AMM : Remboursez ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2484 du 05/04/2003 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2484 du 05/04/2003
 

Actualité

Enquête

Pas de remboursement hors AMM ! Cette règle d'or, héritage du plan Juppé, est loin de faire l'unanimité au sein du corps médical. Du moins si l'on en croit les dérives constatées sur certains types de produits, souvent prescrits en dehors de leurs indications. Le phénomène n'a en soi rien de répréhensible : le médecin est libre de ses prescriptions. Du moins tant que ces dernières ne sont pas portées au remboursement...

Difficile de chiffrer le coût, pour l'assurance maladie, de la prise en charge des médicament prescrits en dehors de leurs indications officielles. Comment cerner l'ampleur d'un phénomène par essence insaisissable, puisque relevant du secret des cabinets médicaux ? Pourtant des statistiques existent, et l'on estime aujourd'hui que les prescriptions hors AMM représentent 15 à 20 % de l'ensemble des prescriptions.

Cette pratique n'est pas nouvelle, selon Corinne Daburon, docteur en droit, div d'une étude sur le sujet* : « L'aspirine a été longtemps prescrite par les médecins dans la prévention des maladies cardiovasculaires, alors qu'elle n'était validée que comme antalgique et antipyrétique. Cette utilisation courante basée sur des preuves scientifiques ne figurait pas dans les indications de l'autorisation de mise sur le marché de la plupart des marques d'aspirine. Actuellement encore, toutes ne comportent pas cette indication, bien qu'elles soient prescrites indifféremment. » De fait, les exemples de prescriptions hors AMM ne manquent pas, à l'exemple des antidépresseurs tricycliques ou des antiépileptiques prescrits comme antalgiques, des antiulcéreux utilisés en rhumatologie, des fluidifiants dans le traitement des rhinopharyngites...

Liberté de prescrire... hors remboursement.

Plus épineuse est la question de la prise en charge de ces prescriptions hors AMM : ainsi, l'année dernière, un certain nombre de médecins de la région parisienne ont-ils été épinglés par une caisse primaire parce qu'ils prescrivaient un médicament, l'Androcur, non pour hirsutisme (son indication d'AMM), mais pour acné sévère, et ce sans le préciser sur l'ordonnance. Les médecins-conseils des caisses, tout en reconnaissant l'existence de publications scientifiques sur l'intérêt de l'Androcur dans les acnés sévères, maintenaient que l'absence d'indication dans l'AMM obligeait les médecins à inscrire la mention « NR » (non remboursable) en marge de leur prescription.

Le fait est qu'un médicament peut tout à fait être efficace pour une pathologie qui n'est pas indiquée dans l'AMM, soit parce que les études n'ont pas couvert cette pathologie, soit parce que le fabricant a décidé de ne pas le faire pour des raisons commerciales.

Lorsqu'un laboratoire prépare un essai clinique, il tente de définir la situation du médicament de manière très précise, avec des critères d'inclusion et d'exclusion lui permettant d'obtenir une population de patients homogène. Un ciblage qui ne tient malheureusement pas compte des situations médicales rencontrées par les praticiens. Or la commission chargée d'octroyer les AMM au sein de l'Afssaps ne se prononce que sur la base des études présentées par le fabricant, et ne décide pas, sauf exception, d'extrapoler ces données. C'est alors au médecin qu'il reviendra d'extrapoler à d'autres personnes - ses patients - les résultats observés par le laboratoire sur une population donnée. C'est notamment le cas du Zelitrex, utilisé pour soulager les douleurs du zona, qui a été testé chez des hommes de plus cinquante ans : lorsque le médecin est amené à prescrire ce médicament à des patients plus jeunes, il n'a alors d'autre choix que de sortir de l'AMM.

Sanctions peu probables.

En a-t-il le droit ? Sur ce point, les divs sont très clairs : la prescription hors AMM n'est pas illégale, eu égard à la liberté de prescription du médecin qui a le pouvoir de choisir le traitement qu'il estime le plus approprié à la situation, sans avoir à soumettre ses choix aux contrôles ou aux injonctions de tiers, mais seulement en fonction des indications de la science. En revanche, il lui est fait obligation de mentionner sur l'ordonnance le caractère non remboursable de la spécialité dès lors qu'elle est prescrite en dehors de ses indications. En effet, si toutes les indications thérapeutiques d'un médicament n'ouvrent pas forcément droit à une prise en charge par l'assurance maladie, les indications remboursables ne peuvent jamais, quant à elles, excéder les indications thérapeutiques de l'autorisation de mise sur le marché...

Il va de soi que l'Assurance maladie voit d'un mauvais oeil ce type de pratiques, dès lors qu'elles ne sont pas assorties de la mention « NR » sur la prescription. Lorsque le médecin n'indique pas sur son ordonnance le caractère non remboursable de la spécialité prescrite hors AMM, il peut donc se voir réclamer par le contrôle médical de la caisse primaire le remboursement des sommes prises en charge. De son côté, le pharmacien ne peut être inquiété si, faute d'indication du médecin, il n'a pas estampillé la vignette au moment de la délivrance, et s'il l'a mentionnée sur la feuille de maladie : « En pratique, estime Corinne Daburon, il est difficile voire impossible de savoir si le médicament est prescrit hors AMM car, sur l'ordonnance, le médecin ne précise pas la pathologie pour laquelle il prescrit. En cas de doute, le pharmacien peut contacter le médecin pour obtenir des précisions quant aux indications, mais sa responsabilité ne peut être engagée. »

Une analyse confirmée par l'Assurance maladie (voir interview p. 26), qui estime que « la CPAM ne peut refuser de rembourser le pharmacien au motif de non-respect des indications thérapeutiques ».

Batailles pour une prise en charge.

La CNAMTS ne dispose pas, pour le moment, d'évaluations précises du phénomène de la prescription hors AMM. « Le contrôle du respect de l'AMM se fait par sondage et la mesure du phénomène n'est pas réalisée pour l'ensemble de la prescription pharmaceutique », déclare Pierre Fender, médecin-conseil national adjoint à la CNAM. Elle devrait pourtant aborder ce thème en juin, lors de la prochaine publication des « Faits marquants 2003 ».

Vu l'ampleur du phénomène, la question mérite toutefois d'être débattue, car les médecins comme les associations de patients défendent le principe d'une prise en charge de certaines prescriptions hors AMM : « C'est quelque chose dont on a conscience, explique Maxime Journiac, représentant de Sida Info Service au sein du TRT-5 (groupe interassociatif traitements et recherche thérapeutique). Même si, sur le traitement du VIH, la plupart des médecins-conseils sont plutôt conciliants, il nous a fallu batailler sur certains dossiers, comme sur la prise en charge de Fosamax qui est un médicament préventif de l'ostéoporose chez les femmes ménopausées. Avec les trithérapies, on a vu des hommes jeunes victimes de fractures de la hanche. Act-up est monté au créneau, et a obtenu une extension d'indication spécifique. »

Preuve que l'évaluation, dans la pratique médicale, des effets d'un médicament mériterait parfois d'être prise en compte, car une remise en cause systématique des prescriptions hors AMM est parfois en contradiction avec l'intérêt d'une meilleure prise en charge des patients.

* « Prescription hors AMM ; une transgression nécessaire », de Corinne Daburon, in « Les Petites Affiches ».

A retenir

L'absence d'indication dans l'AMM oblige les médecins à inscrire la mention « NR » (non remboursable) sur l'ordonnance.

Une caisse primaire ne peut refuser de rembourser un pharmacien qui aurait délivré une prescription hors AMM ne comportant pas de mention « NR ».

La CNAMTS, pour le moment, contrôle le respect de l'AMM par simple sondage. La mesure du phénomène n'est donc pas réalisée pour l'ensemble de la prescription pharmaceutique.

Un pharmacien « retoqué » par une mutuelle !

La règle a beau être simple, elle mérite apparemment d'être rappelée : dès lors que la mention « NR » ne figure pas en marge d'un médicament prescrit hors AMM, le pharmacien est fondé à facturer le produit à l'assurance maladie. Comment pourrait-il en être autrement ?

Responsable de la dispensation, le pharmacien n'est pas censé entrer dans le secret de la consultation pour s'assurer que le médicament prescrit l'a bien été pour une indication remboursable. Pourtant, un pharmacien d'Epinay-sur-Seine a dû batailler ferme pour être remboursé d'une délivrance de Visudyne, traitement particulièrement onéreux de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (plus de 1 400 Euro(s) le flacon injectable de 15 mg !) : « On m'a présenté une prescription émanant d'un ophtalmologue qui respectait la procédure réglementaire dans la mesure où il s'agissait d'une ordonnance pour médicament d'exception, en rapport avec une ALD. Le nom et le numéro d'immatriculation du patient étaient remplis, le nom du médicament prescrit, sa forme, son dosage, la voie d'administration, la posologie et la durée étaient correctement inscrits, et il était bien indiqué : "Je soussigné docteur [...] atteste que la prescription du médicament concernant le patient sus-désigné est conforme aux indications de la fiche d'informations thérapeutiques en vigueur à la date de la présente ordonnance." » Bref, une parfaite conformité, et aucune indication « NR » (non remboursable) en marge de l'ordonnance.

Seulement, la Mutuelle générale de la police, à laquelle adhérait le patient, et qui gère la part primaire et complémentaire, ne l'a pas entendu de cette oreille : « Ils m'ont pris de haut en me disant : "Vous vous rendez compte, c'est un produit qui coûte très cher, le patient n'est pas en ALD"... »

Ce refus de règlement pur et simple a stupéfié le pharmacien : « J'ai alors, raconte-t-il, appelé le médecin-conseil de la MGP, qui a affirmé comprendre mon point de vue, avant de m'indiquer que, le médecin n'ayant pas retourné les documents de contrôle qu'ils lui demandaient de compléter, la prise en charge n'était pas possible. Mais je ne vois pas pourquoi je devais, moi, être pris en otage ! J'ai délivré en bonne et due forme, et le contentieux ne concernait que le médecin-conseil et le prescripteur ! »

Pour faire aboutir le dossier, ce pharmacien a alors demandé à en référer à un supérieur, en brandissant la menace de remettre le dossier entre les mains de son avocat, et de réclamer des dommages et intérêts. « Ces menaces ont déclenché une réaction de la mutuelle. La situation s'est débloquée tout de suite. »

Un épilogue satisfaisant - mais que de temps perdu ! - pour un contentieux qui, de toute évidence, n'aurait jamais dû impliquer un pharmacien... -

Médicaments pédiatriques : une question de dosage

Comme l'a déclaré Bernard Kouchner, lorsqu'il était ministre de la santé, « les enfants ne sont pas de petits adultes pour lesquels il suffirait de délivrer une quantité de médicaments évalués chez l'adulte proportionnellement à leur poids, ne serait-ce que parce que leur métabolisme est différent ». De fait, la pédiatrie constitue à elle seule un pan à part entière des prescriptions hors AMM.

De nombreuses spécialités sont en effet peu adaptées à l'enfant, et une grande partie des médicaments y sont prescrits en dehors du cadre de l'autorisation de mise sur le marché, n'ayant pas fait l'objet d'une évaluation de leur efficacité et de leur sécurité d'emploi chez l'enfant.

Des études transversales réalisées en France chez 77 pédiatres, sur une journée de juin 1999, révélaient que 33 % des prescriptions n'étaient pas conformes à l'AMM, dont 23 % sans indication validée.

Plus inquiétant, seuls 8 % des pédiatres en étaient conscients.

A la suite d'une initiative de la France lors de sa dernière présidence de l'Union européenne, la Commission européenne a été chargée d'élaborer un règlement visant à promouvoir le médicament pédiatrique. On espère qu'un div pourra être adopté début 2004. Mais, sans attendre la mise en place d'une réglementation communautaire, des mesures nationales susceptibles d'encourager les fabricants à mettre à disposition dès maintenant des spécialités pharmaceutiques pédiatriques adaptées sont mises en place : l'Afssaps s'est ainsi dotée d'un comité d'orientation pédiatrique, tandis que le Comité économique des produits de santé (CEPS) s'est engagé en faveur des formes pédiatriques.

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