Immersion dans l'innovation - Le Moniteur des Pharmacies n° 2481 du 15/03/2003 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2481 du 15/03/2003
 

Actualité

Enquête

Soin correcteur antirides, soin pour affiner le grain de peau... Les marques de dermocosmétique rivalisent de promesses et d'actifs novateurs. D'où proviennent ces actifs ? Quels tests sont réellement effectués ? Sont-ils vraiment efficaces ? Pour y répondre, plusieurs laboratoires nous ont ouvert les portes de leur service recherche et développement.

Au cours d'une année, chaque Français achète en moyenne 27 produits d'hygiène et de beauté (tous circuits confondus). Pour le séduire, un maître mot : l'innovation. Derrière un enjeu commercial évident se cache tout un processus de développement de nouvelles formules. Mais la première étape, incontournable, consiste en la définition d'un concept. En clair, à quelle cible va-t-on s'adresser et à quelle problématique va-t-on répondre ? La plupart du temps, la demande émane des équipes marketing, plus rarement du service recherche et développement.

Mais les consommateurs ne se jettent pas pour autant sur toutes les nouveautés, en particulier en pharmacie. « Il est difficile d'imposer un produit ! La commercialisation de la crème Lumiactiv en 1996, par exemple, n'a connu que peu de succès. En fait, le marché n'était pas mûr, surtout dans les pays du Nord où à l'époque on ne communiquait guère sur les méfaits du soleil », indique Catherine Marion, directrice internationale du développement des soins chez L'Oréal Cosmétique Active. D'où la nécessité de réaliser des études de marché. « On peut avoir le meilleur concept du monde, mais le marché peut ne pas exister », confirme Alain Denis, directeur du marketing chez Bioderma.

Si la définition de la cible commerciale appartient au marketing, la désignation de la cible pharmacologique revient au développement. Exemple : inhiber la libération de prostaglandines à l'origine d'une action anti-inflammatoire utile en cas de couperose, ou encore de peau réactive. Chez Pierre Fabre, il existe une gamme de cibles identiques au développement d'un médicament topique en dermatologie ou d'un produit en dermocosmétique. « C'est le profil pharmacotoxicologique des actifs qui fera la différence », explique Pascal Bordat, directeur de la recherche et du développement chez Pierre Fabre Dermocosmétique.

Tendance légumes.

Une fois la propriété d'un produit définie, place à la recherche d'actifs. Faute de temps ou de moyens, les actifs « clés en main » vendus par des fournisseurs ont la cote. « Pour notre nouvelle gamme solaire incluant un complexe antiradicalaire breveté, nous avons travaillé de concert pendant un an avec nos fournisseurs. Il s'agit d'un véritable partenariat », précise Cyril Véret, directeur des laboratoires SVR.

La nouveauté exige une veille scientifique permanente. A l'heure actuelle, la tendance est assurément au vert. Xavier Jardin, directeur commercial du groupe Solience, producteur d'actifs, le confirme : « Après les fruits et les plantes, c'est le légume qui fera la cosmétique des prochaines années. Tout le monde réclame de l'extrait de tomate ou de concombre. D'ici six mois, il faut s'attendre à une mode du bio, puis le label devrait se généraliser en faveur de la qualité des produits. »

Hormis les catalogues des fournisseurs, toute une bibliographie concernant les actifs se trouve en ligne sur Internet à partir de bases de données. Une aide précieuse. « ça ne sert à rien de vouloir inventer l'eau chaude ! », reconnaît Alain Denis. Néanmoins, il existe encore des actifs maison concoctés par les laboratoires eux-mêmes, notamment les plus importants. Ainsi Pierre Fabre dispose d'une collection de 45 000 extraits essentiellement composés de plantes, et passée au crible pour trouver la substance interagissant avec la cible choisie. Evidemment, la totalité de la collection n'est exploitée que pour des développements majeurs. Parfois, certains actifs sont découverts fortuitement au cours de tests effectués par les services de recherche. Ils peuvent être aussi détournés de leur fonction initiale, comme le gluconate de zinc utilisé par Vichy pour activer la microcirculation.

« A l'oeil et au nez ».

La découverte d'un nouvel actif s'accompagne de tests in vitro pour détecter une éventuelle toxicité. Rien à signaler ? Peut alors débuter la formulation proprement dite. « C'est comme en cuisine, personne ne fait le même gâteau avec les même ingrédients », lance Cyril Véret. Interviennent la concentration des actifs mais aussi le choix des excipients fournis par des fabricants spécialisés. Chaque laboratoire obéit à un cahier des charges spécifique mais tous testent les qualités organosensorielles du futur soin. « L'odeur a un rôle important, c'est le premier contact avec le produit », estime Alain Denis.

Certains évaluent la qualité du parfum et de la texture « à l'oeil et au nez » des galénistes, d'autres (les gros laboratoires) réalisent des tests in vivo sur plusieurs personnes. Aucune règle n'est imposée. Mais pour Bioderma qui s'est offert le luxe d'un centre de biométrologie, l'avis des consommatrices à ce stade de développement permet de passer plus vite à la fabrication industrielle.

On commence piano par quelques centaines à quelques tonnes de produit. C'est la phase pilote chez Pierre Fabre ou « demi-gros » chez L'Oréal. C'est aussi à ce moment que débutent le développement clinique et toutes les batteries de tests pour évaluer l'efficacité des produits finis. Et quelques mois plus tard... la nouveauté trône sur les étagères des officines et des parapharmacies. Le contenant et le packaging ayant été conçus en même temps que le contenu. De la formulation au lancement, il se sera écoulé au minimum un an, en moyenne dix-huit mois, voire deux ans. « Le projet Novadiol a même mis cinq ans à voir le jour ! », précise toutefois Catherine Marion.

L'efficacité avant le plaisir.

Cette lenteur par rapport à une bien plus grande réactivité de la grande distribution et de la parfumerie est cependant rentabilisée par la pérennité des produits. Les exemples ne manquent pas : la crème Ictyane a plus de vingt ans, la gamme Provégol a été lancée dans les années 60. Pour L'Oréal, un soin comme Revitalift, présent depuis cinq à six ans en GMS, est déjà considéré comme un vieux produit. « La parfumerie se positionne plus sur un créneau "plaisir et éveil des sens", rapporte-t-on chez BCM Cosmétique, un sous-traitant en formulation tout circuit. Nos délais de formulation doublent pour la pharmacie, c'est déstressant ! Il faut sélectionner des actifs minimisant les risques d'allergie et le process lui-même comporte des tests draconiens. »

Dermocosmétiques ou purs produits de beauté, les modes de fabrication et le matériel sont strictement les mêmes. Ce qui diffère vraiment ? « Les produits distribués en pharmacie répondent avant tout à un besoin. L'aspect conceptuel ne prime pas. Peu importe si la texture est moyenne, si elle répond à une problématique. Pour les actifs, on privilégie des valeurs sûres et les innovations, moins fréquentes, ont une vraie fonctionnalité », assure Xavier Jardin.

A retenir

La législation française des produits dermocosmétiques dépend de la « directive de la cosmétique » (1979) qui compte à l'heure actuelle six amendements.

La réglementation demande de ne pas nuire à la sécurité du consommateur : des tests de tolérance et d'innocuité sont exigés, mais aucune méthodologie précise n'est indiquée. Seule contrainte : le dossier doit être signé par une personne qualifiée, en l'occurrence un responsable de la sécurité.

Toute revendication d'efficacité doit pouvoir se justifier a posteriori.

Les tests cliniques en dermocosmétique exigent le contrôle d'un médecin mais ne relèvent pas de protocoles définis.

Les allégations santé ne sont pas tolérées en dermocosmétique.

Il existe une liste « négative » d'actifs interdits.

La sous-traitance au grand jour

L'univers de la sous-traitance est incontournable. En France, les laboratoires de dermocosmétologie ont à leur disposition plus d'une centaine de prestataires en ce qui concerne les matières premières et la formulation. « Les petites structures n'ayant pas de personnel technique ou les marques ne possédant pas d'usine font très souvent appel à nos services, indique Marie-Christine Clerc, directrice du marketing chez BCM Cosmétique, société spécialisée dans la mise au point des formules. Nous pouvons nous occuper de la formulation mais aussi de la fabrication de A à Z. Il nous arrive aussi de travailler en partenariat à partir des formules proposées par les clients ou, plus rarement, de conditionner à partir des stocks envoyés en vrac. »

Plus surprenant, BCM Cosmétique travaille aussi pour le compte de grands laboratoires, « afin d'accélérer leur politique d'innovation compte tenu que nous avons déjà réfléchi en amont sur les tendances du marché, ou bien encore pour limiter leurs investissements industriels ». Nous n'en saurons pas plus, la confidentialité étant de mise...

Le coût de l'exclusivité

Protéger ses innovations passe par le dépôt de brevets. « Grâce à ce système, la justice peut intervenir en cas de contrefaçons », indique Jean-François Burtin, du cabinet de propriété industrielle GEFIB. Attention, toute molécule nouvelle n'est pas pour autant brevetable. Il faut qu'elle puisse être exploitée industriellement mais elle doit aussi faire preuve d'une application novatrice. Ainsi toute demande de brevet s'accompagne d'un dossier complet justifiant objectivement son caractère inventif. C'est l'INPI (Institut national de la protection industrielle) qui tranche.

Près de 150 000 brevets européens sont déposés chaque année, un infime pourcentage concerne la dermocosmétique. « Les plus gros laboratoires peuvent émettre plus de 500 demandes annuelles alors qu'un seul brevet pour une petite structure représente déjà un bel objectif », rapporte Jean-François Burtin. Car garantir l'exclusivité d'une formule a évidemment un coût :

- Obtenir un brevet français : 440 euros + les annuités (25 Euro(s) par an jusqu'à la 5e année, puis 135 Euro(s), et 270 Euro(s) à partir de la 11e année). 50 % des brevets tomberaient dans le domaine public au bout de dix ans, compte tenu du prix élevé des annuités.

- Obtenir un brevet européen : 10 000 euros environ.

- Convertir un brevet européen de langue française dans les autres pays de la Communauté européenne : aux alentours de 50 000 euros, sans compter les annuités propres à chaque pays. Le laboratoire peut choisir de ne pas déposer son brevet dans un ou plusieurs pays.

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