Un nom pour la vie - Le Moniteur des Pharmacies n° 2461 du 19/10/2002 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2461 du 19/10/2002
 

Actualité

Enquête

Ils s'alignent fièrement sur les boîtes et s'installent durablement dans le vocabulaire des professionnels de santé comme du grand public. Mais avant de s'approprier notre quotidien, les noms des médicaments sont soigneusement étudiés par les agences de création. Secrets de fabrication.

«Ce que nous appelons rose, sous un autre nom, sentirait aussi bon », constatait Shakespeare. En serait-il autant du médicament ? Les génériques et les débats sur la dénomination commune (DC) sont là pour nous rappeler l'attachement des patients - et des médecins - aux noms des médicaments. Un lien qui confine parfois à l'effet placebo et qui se tisse dans les laboratoires d'idées que sont les agences de créations de noms de marque. De la bouteille de lait à la dernière découverte de biotechnologie, elles sont sollicitées pour nommer, pour fournir une identité aux produits qui leur sont confiés. Pourtant, toutes s'accordent pour affirmer qu'il est impossible de traiter de manière égale une lessive ou une molécule innovante, même si la démarche de base reste la même. Par éthique, d'une part, comme l'explique Jean-Pierre Gauthier, fondateur et directeur de l'agence Apanage, « ne serait-ce que du fait de la sensibilité des situations dans lesquelles le nom intervient et des risques liés à son utilisation ». Par obligation, d'autre part, le carcan juridique qui accompagne le baptême d'un médicament étant des plus stricts.

L'Agence du médicament règne en maître sur le choix ultime du patronyme. « La sélection s'effectue à la lettre près, explique Anne Olivry, directrice de création chez Démoniak. Il faut dire qu'il n'est pas question de créer des confusions entre classes thérapeutiques. » Martine Dehaut, avocate spécialisée en propriété industrielle, ajoute également que, « outre les critères classiques communs à tous les produits, le nom du médicament ne doit en aucun cas être déceptif - c'est-à-dire trompeur pour l'utilisateur - et induire de confusion avec la dénomination commune. »

S'adresser à tout le monde. Autre contrainte de taille, le public visé. Le produit ne doit pas parler à une personne mais à trois, le médecin, le pharmacien et le patient, même si, aux dires des créatifs, le principal destinataire demeure le médecin. « Du fait de la multiplicité des cibles, le nom doit à la fois être facile à retenir, à écrire, et évocateur de critères de qualité pour le prescripteur. Il doit en plus rassurer le patient et se montrer essentiellement distinctif pour la clé de voûte de la dispensation qu'est le pharmacien », explique Pierre Chanut, codirigeant et créateur de Nomen Axopole. « Le nom se doit d'être fort et directement "appropriable" par le médecin, ajoute Jean-Pierre Gauthier. Il doit être porteur de la "promesse produit", évoquer son action. » Et de citer le Kaskadil, une spécialité hospitalière utilisant la prothrombine, dont le nom fut choisi en référence à la « cascade », terme utilisé pour évoqué, entre autres, l'enchaînement des facteurs de coagulation.

Il arrive aussi fréquemment que le nom de marque soit porteur de tout ou partie du nom du principe actif du médicament. Pierre Chanut insiste sur la rigidité sémantique liée au domaine du médicament : « On ne peut pas se permettre d'être "fun" ou provoquant. Il serait inimaginable d'employer le nom de "poison", contrairement au registre du parfum. » Certains laboratoires insistent même pour que le produit s'inscrive dans une « grammaire de marque interne ». Anne Olivry évoque ainsi l'impératif fixé par un client qui souhaitait que les noms de ses produits aient tous une terminaison en « -rem ».

« Il est plus simple d'aborder la médication familiale, commente Pierre Chanut. A ce stade, le pharmacien devient la cible privilégiée avant celle du patient puisque c'est lui qui va porter le produit à la connaissance de ce dernier par son conseil ou par la mise en avant dans l'officine. La dimension commerciale est plus forte et la dynamique d'approche s'en trouve modifiée. » Une liberté clairement exprimée à travers la conception du nom des pastilles Drill. Outre la signification anglo-saxonne du mot (« percer », « perceuse »), sa sonorité, proche de celle d'un coup de sonnette, a forcé son ancrage dans les mémoires.

Hors mode. Le médicament n'échappe pas à la loi des tendances, même si, selon les spécialistes, il est difficile de parler de mode dans ce domaine. « Si les tendances ont intronisé le suffixe "is", comme dans Aventis ou Novartis, souligne Pierre Chanut, c'est essentiellement parce qu'il n'est ni féminin, ni masculin qu'il se réfère plus au concept qu'au matériel et qu'il est donc très adapté pour nommer le produit de fusions de cultures d'en-

treprises différentes. En revanche, pour les médicaments, les contraintes liées à l'évocation de la maladie ou à la posologie sont telles que les marques sont souvent descriptives. Cependant, à force de l'être, le champ d'action sur le choix des marques se restreint. Aussi on peut dire qu'il y a tout de même une tendance à s'orienter vers l'abstrait, la phonétique de façon à remplir un objectif clair : affirmer l'identité du produit. C'est dans ce but que l'on a recours aux lettres rares ("z", "x", "y", "k"). Le nom Zacnan éclaire parfaitement ces deux démarches. Il évoque le champ d'action du produit, l'acné (donc facilement mémorisable), et bénéficie du caractère fort de la lettre "z" qui le rend unique. Mais cette tendance est difficile à imposer aux laboratoires et c'est un combat de haute lutte que nous menons contre les habitudes du descriptif. »

« On n'avale pas son argent ». Anne Olivry renchérit : « La pharmacie a un certain penchant pour les terminaisons latines parce que ça fait nom de médicament. Une corde sensible mise à profit pour les spécialités homéopathiques qui, en restant accrochées à leurs appellations d'origine, justifient d'autant plus leur place dans le monde des médicaments ». Selon elle, il serait assez incongru d'adopter le choix du Crédit agricole qui, pour désigner ses produits financiers, a donner des noms de couleurs pour se créer une image plus sympathique. « On n'avale pas son argent », lance Anne Olivry pour expliquer qu'à être trop loin du médicament, de son rôle et de son univers, un laboratoire risquerait de semer le doute dans l'esprit des consommateurs. Elle cite enfin l'internationalisation et ses standards (voir encadré p. 21) qui « aseptisent » les noms. « Il n'est pas question d'utiliser une terminaison en "sty", précise Pierre Chanut, puisque ces trois lettres ont la mauvaise idée de signifier "porcherie" en anglais ». Jean-Pierre Gauthier, lui, a vu disparaître le nom d'un décontractant musculaire : « Le choix s'était porté sur "Xelia", mais, après consultation, nous avons appris que c'était le nom d'une prostituée qui officiait dans une série diffusée outre-Atlantique... » Même s'il respecte des critères stricts d'élaboration, le nom du médicament n'est pas une fin en soi. « Contrairement aux idées reçues, résume Pierre Chanut, le nom n'est pas la condition d'existence du produit. Tout dépend ensuite de la force de vente et de la communication qui vont entourer le médicament à sa sortie. D'autant plus que les noms descriptifs, majoritaires dans ce domaine, sont plus faibles et contribuent mal à la création d'une identité forte. »

Grammaire des dénominations communes

La dénomination commune (DC) de chaque substance active doit indiquer sa parenté pharmacologique et ne doit pas évoquer pour les malades des considérations anatomiques, physiologiques, pathologiques ou thérapeutiques. La parenté entre substances du même groupe sera, si possible, indiquée par l'emploi de segments clés communs, ce qui donne par exemple :

- « ac » : substances anti-inflammatoires ;

- « lactame » : inhibiteurs des bêtalactamases ;

- « caïn » : substances antifibrillantes à action anesthésique locale ;

- « dipine » : inhibiteurs du calcium du groupe de la nifédipine ;

- « io » : produits de contraste iodés ;

- « prost » : prostaglandines ;

- « vin » : alcaloïdes du type vinca.

Une orthographe de plus en plus internationalisée

« Lorsque l'on est un soda brun et sucré et que l'on souhaite s'imposer au-delà de ses frontières, il vaut mieux s'appeler Coca-Cola partout dans le monde », remarque Sandrine Moncéré, chez Roche.

Adieu le « e ». Pour Bépanthène, la démarche du siège international est proche de celle qui animait la firme américaine : ne disposer que d'un seul et même nom sur tous les sites de distribution de manière à disposer d'une marque encore plus forte. C'est ainsi que pour être lisible dans toutes les langues de la Communauté européenne et pour satisfaire aux obligations anglo-saxonnes, ce produit a sacrifié son « e » final et ses accents. Un autre particularisme tombe à la trappe, l'appellation « onguent », une spécificité française qui troublait les cartes d'une pharmacovigilance internationale. Bepanthen est désormais une crème. Quitte à bouleverser les habitudes, le laboratoire en a profité pour renouveler et moderniser le packaging.

Une petite révolution qui se déroule a priori sans heurts, selon Sandrine Moncéré, qui confie que ces changements se sont accompagnés d'une politique de communication intense du laboratoire de façon à rassurer les médecins et les pharmaciens sur la constance du produit malgré ces évolutions de forme : « Certains pharmaciens nous ont fait part de leur réticence au départ du "e" final, mais pour le moment ce qui semble les perturber le plus dans leurs habitudes de stockage, c'est la nouvelle couleur de la boîte... »

Jargon

Antériorité : existence de droits antérieurs (marques, mais aussi noms de sociétés, noms de domaines exploités, droits d'divs...) qui rendent la marque indisponible.

déceptive : se dit d'une marque susceptible de tromper les consommateurs (sur l'origine, la nature, la qualité ou la destination des produits ou des services désignés).

Déchéance : en France, la marque appartient au premier déposant. Mais ce dernier peut se voir déchu de ses droits en justice par un tiers intéressé si la marque n'est pas exploitée depuis cinq ans.

Sémio-marketing : la sémiologie au service du marketing. Rapporté à la marque, c'est l'étude des signes (typologie des noms, sonorités, lettres logos...) qui apportent leur éclairage sur l'objectif marketing d'un dépôt de marque.

Veille active : surveillance des dépôts des concurrents afin d'analyser et prévoir les actions marketing.

Veille marketing : surveillance des actions de la concurrence (terrain, actions juridiques, médias...).

Veille passive ou juridique : surveillance de ses propres marques afin d'éviter la contrefaçon.

Un nom, c'est du temps et de l'argent

Le temps

Si l'on considère le délai de création strict, il faut compter entre deux et trois semaines, période qui peut être plus courte en fonction de la difficulté de la recherche. Jean-Pierre Gauthier (Apanage) confesse même sur le ton de la plaisanterie avoir trouvé un nom lors d'un briefing mais l'avoir tenu secret pour justifier de ses honoraires auprès du client... Mais la création n'est que la face émergée de l'iceberg. Il faut en réalité compter huit mois au minimum avant de disposer réellement d'un nom en raison des démarches relatives à son dépôt, certains dossiers pouvant même aller jusqu'à deux ans.

Le coût

« C'est un coût assez faible compte tenu de l'aspect indispensable de cette phase dans l'existence d'un produit, souligne Jean-Pierre Gauthier. Généralement il faut compter 10 000 euros. »

Pierre Chanut (Nomen Axopole) confirme ce chiffre. Selon lui, « il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros pour une marque internationale, un coût qui s'alourdit en fonction des tests qui sont réalisés avant sa validation. »

Des chiffres qui sont aussi ceux fournis par Anne Olivry (Démoniak), qui précise que « le tarif d'une recherche démarre à 9 000 euros hors taxes et qu'il varie en fonction de la complexité de la problématique, le nombre et l'encombrement des classes de préfiltrage, la vocation nationale ou internationale du nom, la disponibilité sous forme d'adresse Internet, etc. ». Autant de critères subtils qui ont poussé l'agence Demoniak à créer et à commercialiser un logiciel, IP CostCalculator, capable de renseigner d'emblée les clients sur le coût des services en propriété industrielle auprès de plus de deux cents experts en propriété industrielle dans le monde et sur plus de trois cent quarante domaines.

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