Gérard Viens : « La France ne sera pas une exception pharmaceutique ! » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2425 du 05/01/2002 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2425 du 05/01/2002
 

ENTRETIENS

Actualité

« La concurrence conduira inévitablement à la création de chaînes de pharmacies » ÉRIC LEGOUY

Privatisation ou étatisation, avenir de la CMU, Europe..., Gérard Viens, professeur, titulaire de la chaire d'économie et de gestion de la santé à l'ESSEC, fait le point sur l'avenir de notre système de santé.

« Le Moniteur » : Nous aurions le meilleur système de santé du monde. Alors pourquoi continuer à maîtriser les dépenses de santé ?

Pr Gérard Viens : On ne peut que se réjouir de voir la France reconnue pour la qualité de son système de santé. Mais tout classement ne vaut qu'à travers les critères d'évaluation retenus. En l'occurrence, celui de l'OMS a mis en avant la liberté d'accès aux soins et au choix des prestataires publics ou privés, sans discrimination de prise en charge. Ce sont effectivement des éléments forts de notre système de protection sociale. Cependant, il est indispensable de passer d'une maîtrise purement comptable à une véritable maîtrise médicalisée. Ainsi évitera-t-on de soumettre au Parlement un ONDAM irréaliste. Cette nouvelle maîtrise nécessitera le développement de l'évaluation des pratiques professionnelles, l'identification des besoins de santé, la codification des pathologies, la définition d'un panier de soins, la fongibilité des enveloppes..., des mesures qui auraient déjà dû être mises en place s'il y avait eu une véritable volonté politique.

Le Medef réclame une concurrence entre organismes de prise en charge, voire une privatisation. Est-ce réaliste ?

Le modèle du « managed-care » américain se développe en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne. Force est de constater qu'il n'a pas permis une baisse sensible des coûts de fonctionnement des caisses mais plutôt une différenciation entre assureurs publics et privés au niveau du type de prestations de soins couvertes. Les caisses ne se sont pas lancées dans une guerre des primes et tarifs, mais se sont différenciées sur le contenu du panier de soins et les niveaux de prise en charge. En France, la concurrence des financeurs n'apportera probablement pas grand-chose. En revanche, un regroupement des caisses des régimes obligatoires sous un seul régime pourrait permettre une plus grande lisibilité et, on peut l'espérer, une meilleure efficience du système de protection.

L'Europe pourrait-elle casser le monopole de la protection sociale dans les Etats membres ?

L'Europe s'intéresse à la garantie de libre circulation et de concurrence pour les services et les biens comme le médicament par exemple. Elle ne s'intéresse pas aux systèmes nationaux de protection sociale. En revanche, l'Europe intervient pour permettre à ses ressortissants de recourir en cas de besoin aux soins dans les différents Etats membres. Quoi qu'il en soit, toute réflexion sur la protection sociale devrait être précédée de progrès en matière d'harmonisation fiscale.

Une étatisation partielle du réseau officinal est-elle envisageable ?

Si les pharmaciens se définissent comme une profession libérale, ils doivent admettre la concurrence, qui conduira inévitablement à la création de chaînes de pharmacies comme il en existe dans les principaux pays européens. La France ne sera pas une exception pharmaceutique ! Mais c'est de la responsabilité de l'Etat d'assurer la liberté et l'égalité d'accès aux soins. Celui-ci pourrait, face à la fermeture d'officines rurales, favoriser différentes solutions comme le portage, le postage direct par les laboratoires et, pourquoi pas, un réseau d'officines subventionnées.

Les pharmaciens, attaqués sur leur marge, ont l'impression d'être la « variable ajustable » du système de santé...

Les prix administrés sont la contrepartie du monopole. Il est normal, dans ce système, qu'il y ait une régulation sur la marge. Mais au-delà d'une bataille sur les prix ou les marges, l'important est pour le pharmacien de retrouver son rôle d'éducateur de santé. Et puisque son rôle en matière de prévention est largement avéré, il serait juste que cette mission soit reconnue et rémunérée.

L'effet CMU a-t-il été assez pris en compte dans l'évaluation des dépenses de santé ?

L'Etat augmente régulièrement les seuils de revenus permettant l'éligibilité à la CMU. Aujourd'hui, plus de 5 millions de personnes sont concernées. Pourquoi ne pas imaginer de couvrir tous les Français avec la CMU ? Cela nécessiterait la définition d'un panier de soins. Ainsi, un assuré souhaitant obtenir des prestations ne faisant pas partie du panier devra souscrire, non plus une assurance complémentaire, mais une assurance supplémentaire qui prendra en charge ces prestations dès le premier franc. La mise en place d'un tel système semble envisageable dans les années à venir. A une condition : que le panier de soins soit réévalué régulièrement pour éviter un système de santé à deux vitesses.

Que pensez-vous du « plan médicament » de l'actuel gouvernement ?

Les dépenses de médicaments, bien que largement moins importantes que les dépenses hospitalières, sont plus sujettes à des plans de restructuration. Les pharmaciens en subissent les conséquences sans vraiment pouvoir se défendre. Les industriels, quant à eux, ne peuvent admettre le non-respect des engagements. Les changements inopinés des règles du jeu ne sont pas compatibles avec une stratégie industrielle et ternissent l'image de la France.

La consommation médicale des Français peut-elle indéfiniment croître ?

Il y a des facteurs objectifs de croissance tels le vieillissement (bien que l'impact en soit relativement faible compte tenu de la compensation intergénération) et les innovations thérapeutiques. Les Français ont également une aspiration légitime au maintien d'un meilleur état de santé et d'une meilleure qualité de vie. La croissance du secteur économique « santé » devrait donc perdurer si nous savons la soutenir, notamment en améliorant notre système de prise en charge. Trois mots clés marqueront les prochaines années : régionalisation, c'est-à-dire la décentralisation des budgets de la santé, en plaçant les patients au coeur du système ; évaluation des professionnels et de leurs pratiques ; fongibilité des enveloppes budgétaires fondées sur les besoins de santé.

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