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Pourquoi les décisions économiques de Donald Trump feraient grimper le prix d’achat des médicaments
Selon Trump, l’Europe profiterait de prix du médicament plus faibles qu’aux États-Unis, en raison des négociations étatiques. Ce constat n’est pas infondé. Outre-Atlantique, les tarifs sont fixés par entente directe entre laboratoires et assureurs. En France, l’État, en tant que monopsone, négocie les prix des médicaments dits « innovants », les tirant mécaniquement vers le bas.
L’industrie pharmaceutique justifie ses prix élevés par le coût des essais cliniques – échouant dans 9 cas sur 10 – et par le montant des investissements en développement. En moyenne, 9,8 % du chiffre d’affaires des entreprises du médicament est réinvesti en R & D, tandis que les dépenses marketing peuvent représenter jusqu’à 35 % de ce chiffre (source : Leem).
Pour Trump, ce déséquilibre est injuste : les Américains supporteraient à eux seuls les coûts de l’innovation via des prix plus élevés, alors même qu’ils consacrent 16 % de leur PIB à la santé, contre 11 % en France. Selon l’économiste Thomas Rapp, les laboratoires pourraient tenter de compenser leurs pertes sur d’autres marchés, dont la France, en augmentant leurs prix. Une stratégie qui affecterait d’abord les médicaments non remboursés ou hors Autorisation de mise sur le marché (AMM), avec une pression directe sur les marges officinales (sources : Le Point, Le Monde).
Des hausses possibles… mais contenues par le système français
Cette analyse, bien que fondée, doit être nuancée. En France, le rôle de monopsone de l’État limite fortement la capacité des industriels à imposer des hausses. D’autant que l’Assurance maladie, fragilisée financièrement, poursuit une politique active de maîtrise des dépenses. D’autres marchés comme l’Asie ou l’Amérique latine sont plus souples, offrant aux laboratoires des leviers alternatifs.
Le risque principal réside alors dans la non-introduction de certains médicaments innovants en France ou une aggravation des pénuries sur certaines molécules stratégiques. Par ailleurs, des hausses de coût sur les produits sensibles au pricing international – médicaments OTC, cosmétiques – ne sont pas à exclure.
Mais le basculement pourrait survenir ailleurs : le 12 mai, un décret signé par Trump prévoit d’aligner les prix américains sur ceux d’autres pays. Si cette stratégie est mise en œuvre, les industriels pourraient relever artificiellement les prix pratiqués en Europe pour préserver leurs marges américaines. Un scénario qui pénaliserait directement le marché français, ou conduirait à renoncer à y introduire certaines spécialités.
Officine : vers un nouveau cycle d’investissement ?
Au-delà du médicament, l’environnement économique global pourrait aussi peser sur l’activité officinale. La baisse de la consommation de produits non essentiels (cosmétiques, bien-être) est une hypothèse crédible, notamment face à la concurrence de chaînes à bas prix comme Action. Pourtant, malgré un ralentissement signalé en mars 2025 par l’Insee, les pharmacies enregistrent une progression. Deux raisons sont avancées : ces produits sont perçus comme plus sûrs en pharmacie, et les patients y recherchent le conseil professionnel.
Les pharmacies résistent donc. Mais celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,2 million d’euros pourraient souffrir. En 2022, le chiffres d’affaires moyen des pharmacies françaises atteignait 2,29 millions d’euros. En 2024, le marché pesait 46,2 milliards d’euros, avec une croissance annuelle de 4,4 % (source : IQVIA).
Ce dynamisme attire les investisseurs, en quête de rentabilité à 20 % sur dix ans. Un engouement qui pourrait renforcer les inégalités entre officines. Un exemple ? Le rachat en cours de Walgreens Boots Alliance par le fonds américain Sycamore, pour un montant estimé à 23,7 milliards de dollars, témoigne de l’attrait du modèle officinal.
Retrait américain, conséquences sanitaires mondiales
Mais l’autre face des politiques de Trump touche à la diplomatie sanitaire. Le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la réduction drastique des financements du PEPFAR (President’s Emergency Plan for AIDS Relief) auront des répercussions majeures sur la santé mondiale.
Selon une étude publiée dans eClinicalMedicine, une baisse de 50 % des financements du PEPFAR pourrait entraîner jusqu’à 300 000 décès supplémentaires liés au VIH en Afrique du Sud sur dix ans (source : vih.org). Des chiffres repris par David Paltiel, chercheur à Yale, lors de la conférence ANRS MIE. Cette baisse impacte aussi des pays comme le Mali ou le Sénégal, et désorganise les chaînes logistiques du médicament.
Certes, Novartis s’est engagé à maintenir la production de traitements antipaludiques à prix coûtant. Mais le déploiement du lenacapavir, nouvelle molécule de Gilead Sciences, est ralenti. Ces signaux faibles annoncent une potentielle baisse d’innovation et une fragilisation des approvisionnements, y compris pour les territoires d’outre-mer.
Rôle des pharmaciens : vigilance et prévention
Résurgence du VIH, retour possible de la poliomyélite : les premières victimes seront les pays du Sud, mais les DOM-TOM pourraient également être concernés. Dans ce contexte, le rôle des pharmacies françaises dans la prévention est central, d’autant plus que la méfiance vaccinale progresse dans la population.
Le retrait américain laisse un vide que certains pays asiatiques tenteront de combler. Si les effets directs sur l’officine française sont encore marginaux, les conséquences indirectes pourraient se faire sentir à moyen terme. Une raison de plus pour rester vigilants, informés et mobilisés.
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