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Interventions pharmaceutiques : comment les valoriser ?
Travailler, c’est bien, voir son travail reconnu, c’est mieux. Chaque année, en France, 1 milliard d’ordonnances sont rédigées par les médecins, puis remises par les patients à leurs pharmaciens. 5 % de ces ordonnances – soit 50 millions – font l’objet d’une intervention pharmaceutique (IP) en officine, un chiffre en augmentation constante compte tenu, notamment, des ruptures d’approvisionnement. L’analyse de l’ordonnance, la prise de contact avec le médecin et le changement de molécule prennent une place de plus en plus importante. Une activité chronophage, mais indispensable notamment pour éviter tout indu. Depuis des années, les syndicats réclament une valorisation de ces IP avec la mise en place d’un nouvel honoraire. Il n’est pas facile, cependant, de démontrer le temps passé à les réaliser et les économies qui en découlent pour l’Assurance maladie, sachant que l’analyse pharmacothérapeutique permet pourtant de diminuer considérablement les risques iatrogéniques.
La plateforme a la forme
Portée par la Société française de pharmacie clinique (SFPC) et l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens Grand-Est, la plateforme Act-IP, ouverte à tous les pharmaciens, commence à publier des chiffres significatifs sur le sujet. Destinée à recueillir en ligne les IP des pharmaciens d’officine volontaires, elle a notamment été déployée dans le Grand-Est et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Tous espèrent que d’autres régions suivront le mouvement afin de faciliter la reconnaissance de cette activité. « L’un des premiers objectifs était de permettre l’obtention d’une base de données individuelle pour chaque officine et d’une autre, collective, afin d’évaluer qualitativement et quantitativement les interventions recueillies. Près de 20 000 IP sont enregistrées chaque trimestre, offrant une vue d’ensemble de la portée de cette activité », explique Julien Gravoulet, secrétaire général de l’URPS pharmaciens Grand-Est.
Sans surprise, 27 % des IP concernent des indisponibilités de médicaments et 25 % des problèmes de posologie. Suivent des contre-indications, des prescriptions non-conformes et des associations de médicaments déconseillées. « À l’heure où les maladies chroniques représentent une véritable épidémie et où les différentes professions prescriptrices subissent une pénurie, la promotion de l’IP et de la pharmacie clinique vont renforcer le système de santé », souligne Vincent Melard, auteur d’une thèse sur l’IP. Encore faut-il faire connaître cette activité auprès des patients et des pouvoirs publics. « Il est primordial que les pharmaciens décident de rendre cette activité visible en se connectant en plus grand nombre à Act-IP, version officinale. Nous pourrons ainsi mettre les chiffres dans la balance lors des discussions avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Il est évident que toutes les IP ne peuvent pas être enregistrées, mais si chacun commence par coder une IP par jour, cela va créer une véritable dynamique qui entraînera de plus en plus de monde dans cette mise en valeur. Les pharmaciens hospitaliers ont obtenu beaucoup en se mobilisant, nous pouvons faire de même pour l’officine », lance Julien Gravoulet.
Déployé dès 2006 dans le secteur hospitalier, Act-IP a en effet permis de démontrer que les pharmaciens pouvaient intervenir efficacement sur les ordonnances, les IP étant majoritairement acceptées par les prescripteurs. Des protocoles de coopération entre médecins et pharmaciens ont ainsi été élaborés afin que les pharmacies à usage intérieur puissent renouveler et adapter les prescriptions. Cette compétence a été officialisée en 2020 et la liste des pathologies concernées publiée par arrêté en 2023. « Le gain de temps est énorme pour nos confrères hospitaliers. J’ai bon espoir que nous réussissions à aller aussi loin », poursuit Julien Gravoulet.
Act-IP : un atout qualité
Depuis l’application Act-IP, les interventions pharmaceutiques (IP) réalisées au sein de l’officine peuvent être archivées dans le but d’en sortir des statistiques individuelles telles que :
– le pourcentage pour chaque problème nécessitant une IP,
– le pourcentage pour chaque solution,
– le pourcentage de chaque finalité des IP,
– les dénominations communes internationales (DCI) les plus rencontrées.L’outil, accessible gratuitement via le site actip-officine.sfpc.eu, contribue ainsi à la démarche qualité de tout type d’officine puisque des protocoles pour chaque problème émergent peu à peu, notamment dans le cadre d’une interprofessionnalité efficace. L’action des IP est ainsi pérennisée rendant le travail des équipes officinales plus efficace, plus rapide et plus enrichissant. « Les IP sont une spirale vertueuse, plus on en fait, plus on a envie d’en faire. On entre dans une véritable démarche qualité centrée sur le patient », confirme Felicia Ferrera, vice-présidente de la Société française de pharmacie clinique.
Des économies substantielles
Côté financier, une expérimentation sera lancée dans les mois à venir en Bourgogne-Franche-Comté par l’URPS pharmaciens. « Nous travaillons depuis deux mois avec une société qui va modéliser une évaluation économique. Cela nous permettra de savoir ce que les IP rapportent à l’Assurance maladie, en précisant l’incidence sur la santé de la personne si nous n’avions pas changé la prescription. Une rubrique sera ouverte sur Act-IP pour les pharmaciens participants afin qu’ils puissent entrer les données nécessaires », détaille Pascal Louis, président de l’URPS Bourgogne-Franche-Comté.
Des évaluations moins poussées avaient été menées par le passé, sans convaincre la Cnam de leur bien-fondé. « Pourtant, dès 2011, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) recommandait de rémunérer spécifiquement les interventions des pharmaciens auprès des médecins, dans son rapport sur les pharmacies d’officine », souligne Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Ce rapport citait une étude menée sur 921 pharmacies pendant un an, dont les IP avaient contribué à « éviter un surcoût total de prise en charge de 37 300 € ». Rapportées aux 20 000 pharmacies françaises, ces économies sont donc considérables et justifieraient une nouvelle rémunération des pharmaciens. « Nous considérons qu’une juste rémunération s’élèverait à 15 € par IP. Toutes les IP n’ont pas la même valeur, bien sûr, mais on perd un temps fou à appeler les médecins, les spécialistes, à passer par les secrétaires… Par ailleurs, les médecins sont rémunérés lorsque nous leur demandons une téléexpertise, il serait cohérent que nous le soyons de la même façon », pointe Éric Myon, secrétaire général de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Depuis 2019, lorsqu’il est contacté par un pharmacien pour un avis, le médecin peut en effet facturer sa réponse 20 €, remboursés par l’Assurance maladie, dans la limite de quatre fois par an et par patient.
La FSPF avait, quant à elle, demandé, lors des dernières négociations conventionnelles, une rémunération de 5 € par IP. La Cnam avait rejeté cette demande, précisant qu’elle attendait le déploiement de l’ordonnance numérique avant de se prononcer.
Le tournant du numérique
L’e-prescription, dont le déploiement sera généralisé cette année – malgré des couacs liés aux logiciels pharmaciens et aux lecteurs de QR Code – devrait en effet permettre un bond en avant dans le référencement des IP. « Nous aurons en principe des données volumétriques consolidées puisqu’à chaque fois que nous modifierons quelque chose sur l’ordonnance, nous pourrons le tracer », confirme Guillaume Racle, conseiller économie et offre de santé de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Pour autant, les pharmaciens devront apprendre à coder correctement chaque IP.
« C’est un réflexe à acquérir mais, grâce à notre plateforme Act-IP, les pharmaciens peuvent déjà s’entraîner. Le codage des IP est exactement le même que celui qui devra être entré sur les ordonnances numériques : adaptation posologique, changement de médicament, amélioration de la méthode d’administration… Il est important de s’y mettre dès maintenant, afin d’être prêts. Dans le cadre de la Semaine de la sécurité des patients, organisée en septembre, dans notre région, nous avons formé les pharmaciens à cet outil et nous les avons même rémunérés pour le temps passé sur cette tâche administrative. Une nouvelle opération sera menée en mars et en avril pour continuer à les soutenir dans le passage au numérique », ajoute Felicia Ferrera, présidente de l’URPS pharmaciens Paca et vice-présidente officine de la SFPC.
Le développement des e-prescriptions et du dossier médical partagé (DMP), dans lequel elles seront toutes intégrées, devrait faciliter l’ancrage des IP grâce à une meilleure traçabilité, mais aussi les rendre plus pertinentes. « À partir du DMP, on peut imaginer que le pharmacien d’officine pourra avoir accès aux analyses biologiques du patient pour s’assurer de la bonne tolérance du traitement, mais aussi aux diagnostics du prescripteur afin de faire concorder la prescription aux diagnostics posés. Ce sera une immense avancée qui offrira au pharmacien la possibilité de ne de ne plus travailler à l’aveugle car actuellement aucun diagnostic clair n’est indiqué sur l’ordonnance. Au quotidien, il travaille en réalité à tâtons quand il réalise son analyse pharmacothérapeutique et donc ses IP », explique Vincent Melard. Le pharmacien ira donc plus loin dans l’exercice de son métier, « engageant encore un peu plus sa responsabilité. Il est donc indispensable que cela soit rémunéré », conclut Éric Myon.
La Cnam n’a pas souhaité répondre sur le sujet, indiquant que les discussions sont en cours.
À retenir
- Les interventions pharmaceutiques (IP) sécurisent 5 % des ordonnances en France, corrigeant erreurs et adaptant traitements.
- Les pharmaciens demandent une rémunération pour ces actions, estimée à 15 € par IP.
- La plateforme Act-IP collecte des données pour prouver l’impact des IP et soutenir leur valorisation.
- L’e-prescription et le dossier médical partagé renforceront la traçabilité et l’efficacité des IP.
- Les IP génèrent d’importantes économies en réduisant les erreurs et les surcoûts pour l’Assurance maladie.
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- L’essentiel à retenir sur les interventions pharmaceutiques
- 7/7 – Bibliographie : cahier Formation « les interventions pharmaceutiques »
- 6/7 – Avis d’expert : Antoine Dupuis, président de la SFPC
- 5/7 – Entraînez-vous : codez des interventions pharmaceutiques

