Des blisters découpés et une sanction à la clé : le choix radical de deux pharmaciens

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Des blisters découpés et une sanction à la clé : le choix radical de deux pharmaciens

Publié le 7 mai 2025 | modifié le 12 mai 2025
Par Sana Guessous
Deux pharmaciens du Plateau de Millevaches, en Nouvelle-Aquitaine, ont écopé d’une interdiction d’exercer de 6 mois, dont 4 avec sursis, pour avoir dispensé des médicaments à l’unité. Une pratique qu’ils revendiquent comme un acte de responsabilité professionnelle face aux pénuries et à l'iatrogénie.

« Nous ne fermerons pas nos officines. Nous ferons appel de cette décision et nous mobiliserons le débat public », annonce Antoine Prioux. Avec sa consœur Eliza Castagné, ils ont été condamnés par le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine à une interdiction d’exercer de 2 mois ferme et 4 mois avec sursis. Leur tort ? Avoir dispensé, entre autres, des benzodiazépines à l’unité. Une entorse aux règles qu’ils revendiquent ouvertement. « Il est paradoxal que l’Ordre nous sanctionne lourdement pour cette pratique alors même que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) relaie des campagnes invitant à limiter la prescription de somnifères à quelques nuits seulement », dénonce le pharmacien.

Hors cadre légal, mais dans une logique de santé publique

Si la délivrance à l’unité est encadrée par la loi pour les stupéfiants et les antibiotiques, ces deux pharmaciens ont choisi d’élargir le champ, dans une démarche qu’ils jugent à la fois écologique et sanitaire. « Nous avons commencé il y a cinq ans, lors de la première grosse pénurie de prednisolone. Nous avons aussi expérimenté la dispensation d’antibiotiques avant la sortie du décret. Et nous avons continué avec d’autres molécules : antalgiques de palier 2, benzodiazépines… », détaille Antoine Prioux.

Objectif assumé : réduire le gaspillage, la dépendance et les risques liés à une dispensation automatique de boîtes entières, souvent non adaptées à la durée de traitement. « J’en ai assez de rendre les gens dépendants en laissant trop de tramadol dans les boîtes », déclare le titulaire.

Une organisation artisanale et revendiquée

À rebours de la majorité des officinaux, souvent opposés à la dispensation à l’unité, jugée trop complexe et chronophage, le pharmacien assume une gestion manuelle et méticuleuse. « Je facture la boîte entamée, je découpe les doses et je garde le reliquat en traçant le numéro de lot et la date de péremption. Les doses restantes sont ensuite redistribuées gratuitement. Les patients sont plutôt coopératifs, ils apprécient que les médicaments ne soient pas gaspillés. »

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Cette gestion, qui s’appuie sur un système de traçabilité interne, n’a toutefois aucun cadre réglementaire. C’est précisément ce point qui a justifié la sanction ordinale, considérée par les intéressés comme disproportionnée.

Sollicité, l’Ordre n’a pas souhaité commenter la décision tant que l’affaire est pendante. 

Une décision « intenable » et une profession divisée

« Que vont penser les associations de patients de ce jugement ? Comment sera-t-il perçu par ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas accès à la sertraline ou à la venlafaxine ? », interroge Antoine Prioux. Il déplore une vision défensive de la profession : « La pharmacie passe plus de temps à défendre ses intérêts qu’à interroger son rôle dans un monde en mutation. Ce n’est pas notre méthode qui est sanctionnée, c’est notre insoumission. »

En filigrane, c’est aussi la question de la marge de manœuvre des pharmaciens dans un système contraint par la réglementation, les pénuries et la logique économique qui est posée. Le débat, relancé par cette sanction disciplinaire, pourrait rebondir sur la scène publique alors que les professionnels cherchent à redéfinir leurs missions dans un contexte de tension croissante sur l’accès aux soins et aux traitements.