Décarboner les médicaments, oui mais à quel prix ?
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Décarboner les médicaments, oui mais à quel prix ?

Publié le 18 avril 2025 | modifié le 25 avril 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Les entreprises du médicament sont-elles prêtes à répondre aux objectifs ambitieux de décarbonation fixés par le gouvernement ? Pascal Le Guyader, directeur général adjoint du Leem, affirme que oui, à condition que l’État accepte une hausse de prix.

Comment avez-vous accueilli la méthodologie de calcul du « carbone score » des médicaments dévoilée par le gouvernement début février ?

Sans surprise, l’État s’est aligné sur une méthode de calcul issue des standards européens et internationaux. Nous avons d’ailleurs participé à son élaboration. Pour l’heure, elle n’est pas encore opérationnelle : le gouvernement n’a pas défini la liste des médicaments concernés. Une fois cette étape franchie, la première application se fera dans le cadre des achats hospitaliers. Les entreprises devront alors calculer le « carbone score » de leurs médicaments, le faire certifier par un organisme tiers, puis l’intégrer dans les réponses aux appels d’offres hospitaliers. Ce score ne figurera pas sur les boîtes et ne sera donc pas accessible au grand public. À terme, une extension au circuit officinal pourrait être envisagée, mais nous n’en sommes pas encore là.

Comment les entreprises du médicament prévoient-elles de financer le verdissement de leurs productions ?

Nous ne pourrons porter nos investissements que si l’État impose aux acheteurs de privilégier les médicaments qui ont obtenu le meilleur « carbone score », à efficacité thérapeutique égale. Et ce indépendamment du prix, librement fixé dans ces appels d’offres. Si deux médicaments sont équivalents sur le plan médical, mais que l’un présente un meilleur score, c’est celui-ci que l’acheteur devra retenir, même s’il est plus cher. C’est à cette condition que les industriels trouveront un intérêt à engager des démarches de décarbonation.

Par ailleurs, s’agissant de la fixation des prix par le Comité économique des produits de santé (CEPS), nous demandons que l’effort environnemental des industriels soit également reconnu. Aujourd’hui, les baisses de prix appliquées aux médicaments déjà sur le marché sont régulières. Or, ces contraintes réglementaires, qui sont bénéfiques pour l’environnement, ne doivent pas freiner la modernisation de notre outil de production qui est nécessaire. Comment rester compétitifs face à nos concurrents européens – ou simplement continuer à produire – si le prix de nos médicaments n’est pas revu à la hausse ? Contrairement à d’autres secteurs, l’industrie pharmaceutique ne peut pas répercuter ses efforts de décarbonation sur le prix de vente de ses produits.

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Cette politique de décarbonation sonne donc comme une révolution pour votre secteur ?

Pas tout à fait ! La question environnementale a toujours été au cœur de nos préoccupations. En 2023, nous avons signé un accord de branche sur la transition écologique, qui impose plusieurs obligations. La première d’entre elles était de réaliser un bilan carbone d’ici le 31 décembre 2024. L’année 2025 sera consacrée à l’analyse de ces bilans, car nous interrogerons nos entreprises afin d’obtenir leurs résultats d’ici la fin du premier semestre. Cela nous permettra de discuter des engagements qu’elles prendront pour répondre à notre objectif : réduire de 50 % les émissions directes de CO2 et de 25 % les émissions indirectes d’ici 2 030.

Dans cette même dynamique, nous avons imposé, à partir du 1er janvier 2025, la création d’une commission environnementale au sein des entreprises de plus de 300 salariés. Cette mesure vise à accompagner les petites et moyennes industries dans leur transition écologique, les plus grosses sociétés ayant déjà engagé des actions. De plus, nous avons mis à la disposition de nos adhérents un outil baptisé « Agir pour se décarboner ». Il permet d’identifier les axes de décarbonation spécifiques à notre secteur : les systèmes de chauffage ou encore de purification de l’eau, les groupes froids, etc.

Enfin, en 2022, nous avons réalisé une étude sur les émissions de gaz à effet de serre des entreprises du médicament. Une autre sera conduite cette année pour évaluer si notre empreinte carbone a effectivement diminué. Selon les résultats, d’autres leviers pourraient être activés.

La directive européenne sur les eaux usées résiduaires, qui impose aux industries pharmaceutiques et cosmétiques de financer au moins 80 % des coûts de modernisation des stations d’épuration pour éliminer les micropolluants, suscite beaucoup de débats. Quel est votre point de vue sur cette réglementation ?

Bien évidemment, nous prendrons nos responsabilités en vertu du principe du pollueur-payeur. Un médicament contient inévitablement un principe actif, il est donc logique que l’on retrouve des micropolluants dans les eaux urbaines. Nous sommes prêts à payer pour les filtrer. Toutefois, nous souhaitons participer activement au comité de transposition de cette directive dans la réglementation française, car il n’y a pas que des micropolluants issus de nos produits dans les eaux usées. Par exemple, la caféine a été identifiée comme une molécule micropolluante, mais les industries pharmaceutiques et cosmétiques ne sont pas les seules à l’utiliser… Nous voulons payer à la hauteur de ce que nous polluons réellement. En termes de coûts, l’impact de cette directive sur notre industrie sera bien plus important que ce qu’estimait l’Europe.

Un autre chantier d’ampleur est la distribution à l’unité (DAU), qui pourrait aider à lutter contre le gaspillage. Est-ce une piste de réflexion de votre côté ?

Nous avons été sollicités pour y réfléchir et voir comment la mettre en place en France. Nous sommes en train d’expertiser cette possibilité et d’étudier les complexités techniques qui y sont associées. Sur le principe, c’est une bonne idée, mais ce défi ne relève pas uniquement de notre ressort. Tous les acteurs de la chaîne de distribution du médicament (répartiteurs, pharmacies d’officine, hôpitaux…) sont concernés. Il est donc essentiel d’intégrer l’ensemble de ces parties prenantes dans cette réflexion.

Et demain, comment envisagez-vous l’avenir de l’industrie pharmaceutique ?

L’avenir de l’industrie pharmaceutique dépendra avant tout des hommes et des femmes qui y travaillent. C’est pourquoi la formation est un élément clé pour réussir la transition écologique. En ce sens, nous proposons des programmes visant à sensibiliser l’ensemble des industriels aux enjeux environnementaux. Et nous allons encore plus loin puisque nous menons actuellement une étude pour évaluer l’impact de cette transition sur les compétences métiers de notre branche. L’objectif est d’adapter l’offre de formation initiale et continue. Les talents de demain doivent être formés à la transition écologique. Cette démarche concerne l’ensemble du secteur, de la recherche à la distribution, en passant par les écoles d’ingénieurs et les facultés de pharmacie.