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Ce que prêchent les politiques contre les déserts
Pandémie de Covid-19 oblige, la santé s’est invitée lors de la dernière campagne présidentielle. Une thématique est sortie du lot : la lutte contre les déserts médicaux. Les candidats ont en effet multiplié les propositions sur le sujet. Nous avons donc demandé à des professionnels de santé de les évaluer. Le bilan est plus que mitigé.
Garantir l’égalité d’accès aux soins de proximité sur l’ensemble du territoire, alors que la carte de France affiche 276,1 médecins pour 100 000 habitants (données au 1er janvier 2021). Tel était le credo de Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts), Jean Lassalle (Résistons !) et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) lors de la dernière campagne présidentielle. Le candidat écologiste allant même jusqu’à envisager d’inscrire ce principe dans la loi. « On est dans l’incantation, pas dans la recherche de solutions, juge Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). La loi sur le droit au logement votée en 2007 [censée permettre à chaque Français d’avoir un toit, NdlR] n’a rien réglé. A Paris, il y a toujours des gens qui dorment dans la rue sous des couvertures. »
Inciter ou contraindre
La volonté d’ouvrir plus de centres de santé ou de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) affichée par Nicolas Dupont-Aignant (Debout la France), Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste) et Fabien Roussel (Parti communiste français) ne suscite guère plus d’enthousiasme. « En tant que président d’un syndicat de médecine libérale, les centres de santé avec des médecins salariés ne sont pas ma tasse de thé. Et cela ne résoudra en rien le déficit de démographie médicale, 92 % des consultations médicales étant le fait de médecins libéraux », rappelle Franck Devulder, président nouvellement élu de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Pour ce qui est des MSP, même scepticisme. « Sur le papier, construire des petites maisons dans la prairie un peu partout peut sembler séduisant, note Philippe Besset. Mais ces structures constituent souvent une réponse défensive, l’objectif étant d’offrir un cadre et de meilleures conditions d’exercice aux médecins déjà installés pour leur donner envie de rester. »
Les candidats ont également mis sur la table des mesures incitatives visant à faciliter l’installation des médecins en zone sous-dense et à valoriser la rémunération. Pour ce faire, Valérie Pécresse (Les Républicains) proposait même la création d’une dotation contre la désertification sanitaire. Là encore, ces promesses ne semblent pas avoir convaincu les professionnels. « Un rapport réalisé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en fin d’année dernière a d’ailleurs montré que les quatre contrats d’aide à l’installation figurant dans la convention de 2016 ont produit peu d’effets puisqu’un peu plus de 2 000 médecins en ont bénéficié, note Jacques Battistoni, président de MG France. Lorsque l’on interroge les jeunes confrères sur les raisons qui motivent leur choix d’installation, les principaux éléments sont les conditions d’exercice, la possibilité de trouver un emploi pour le conjoint, des écoles, des collèges et des lycées pour les enfants, l’accès à un hôpital avec un plateau technique et à des spécialistes de second recours… » « Les systèmes de bourses accordées aux étudiants en médecine, en contrepartie d’une obligation d’exercer dans une zone sous-dense pendant un certain nombre d’années, ont de leur côté produit très peu de résultats par rapport aux sommes engagées », ajoute Etienne Nouguez, chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste des questions d’organisation du système de santé.
Les mesures coercitives envisagées pour limiter l’installation des médecins dans les zones déjà suffisamment dotées, comme le préconisait Yannick Jadot, sont rejetées en bloc par les syndicats de la profession. « Sur le plan philosophique, nous sommes opposés à tout ce qui pourrait restreindre la liberté d’installation, rappelle Franck Devulder. L’expérience montre en plus que la coercition constitue une réponse dogmatique, inapplicable et contre-productive. » Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), se montre, lui, plus nuancé. « Depuis le début de la pandémie, deux professions ont tenu le haut du pavé : les infirmiers et les pharmaciens, rappelle-t-il. Or, elles sont toutes les deux réglementées en matière d’installation. Et c’est ce qui permet de garantir à tous les Français un accès de proximité à une pharmacie et un infirmier. Les médecins pourraient donc s’inspirer de ces deux modèles pour retrouver un maillage territorial digne de ce nom. »
Augmenter le numerus clausus
L’engagement de former plus de médecins recueille lui aussi des avis contraires. Pour Jacques Battistoni, c’est non. « Cela fait plusieurs années que le numerus clausus a été revu à la hausse puisque nous sommes passés de 3 000 à 9 000, rappelle le président de MG France. Mais comme les premiers effets ne se feront sentir que dans dix ans, cela ne réglera pas les problèmes démographiques actuels. » La tonalité est toute autre du côté de la CSMF. « Cette mesure va nous permettre d’anticiper le vieillissement de la population, assure Franck Devulder. Je la conditionnerais toutefois à deux points de vigilance : régionaliser la formation des internes à l’entrée en 3e cycle des études de médecine et régler le déficit actuel d’étudiants issus de la ruralité, des quartiers ou des villes socialement en difficulté. Sans cela, nous aurons toujours du mal à attirer des jeunes médecins dans les zones sous-denses. »
Déléguer aux autres professionnels de santé
La proposition du candidat Emmanuel Macron (La République en marche), lors du débat de l’entre-deux tours du 20 avril face à Marine Le Pen (Rassemblement national), d’attribuer de nouvelles missions aux pharmaciens et aux infirmiers reçoit sans surprise un accueil mitigé de la part des syndicats de médecins. « Cela n’aura qu’un effet marginal sur l’offre de soins, et ne permettra pas de régler la problématique des déserts médicaux. Cela étant dit, nous sommes favorables à tout ce qui peut améliorer la prise en charge des patients dans le cadre d’un exercice coordonné », assure Jacques Battistoni. Du côté des syndicats de pharmaciens, on applaudit des deux mains. « Nous nous félicitons qu’Emmanuel Macron ait repris cette mesure, ainsi que celle de l’instauration d’un pharmacien référent pour chaque Français qui figuraient parmi les propositions que nous avons soumises à tous les candidats », souligne Philippe Besset.
A l’unanimité
Finalement, une seule idée semble faire l’unanimité : inciter les étudiants en médecine à effectuer une année d’études professionnalisante dans une zone sous-dense. « Elle fait partie des recommandations que nous avons soufflées aux candidats, confie Jacques Battistoni. Nous militons en effet pour la création d’un stage cinq étoiles pour les étudiants en 4e année de 3e cycle en médecine générale. Celui-ci serait conçu comme un internat rural où, sous la supervision d’un maître de stage formé, le stagiaire aurait la possibilité d’exercer dans le cadre d’un vrai projet d’organisation de soins, en s’appuyant sur une équipe renforcée incluant un secrétariat, une assistante, des infirmiers… » Pour Etienne Nouguez, cette piste est probablement la plus intéressante parmi toutes celles formulées pendant la campagne. « La découverte du territoire constitue la clé pour lutter contre les déserts médicaux, note le chargé de recherche au CNRS. L’immense majorité des étudiants en médecine sont des enfants de classe supérieure, des urbains qui ne connaissent pas le milieu rural ou les quartiers populaires. Leur permettre d’effectuer un stage aux côtés d’un médecin généraliste et au sein d’une équipe de soins pourrait lever certains a priori. Dans le même ordre d’idées, il faudrait, comme certains départements le font déjà, instaurer une année de préparation à la faculté de médecine pour permettre aux jeunes des quartiers difficiles d’accéder aux facultés de médecine. Des études menées dans d’autres pays montrent que cela augmente les chances qu’ils retournent chez eux pour s’y installer une fois leur diplôme en poche. »
Pas à la hauteur
Lorsqu’on leur demande si les propositions des candidats sont à même d’apporter des réponses efficaces à la lutte contre les déserts médicaux, c’est la déception qui semble primer. « Le principal reproche que l’on peut leur formuler, c’est qu’ils ont repris des solutions déjà testées, et qui pour la plupart n’ont pas fonctionné, ou ont produit des résultats très mitigés », estime Etienne Nouguez. Même son de cloche chez Jacques Battistoni. « Les candidats n’ont pas été à la hauteur des enjeux, alors que nous leur avions pourtant soumis toute une série de recommandations, regrette le président de MG France. Nous leur avions notamment suggéré de soutenir les médecins généralistes en activité sur les territoires plutôt que de contraindre les jeunes médecins à s’y installer. Cela ne figure pas dans les programmes. » Franck Devulder regrette, lui, que la question de la valorisation des consultations avancées n’ait pas été abordée. « Je travaille une demi-journée par mois à 50 km de chez moi dans une zone où il n’y a plus de gastro-entérologue, précise le président de la CSMF. Or, ces consultations ne sont actuellement pas valorisées. Nous proposons donc qu’elles soient majorées et que les médecins puissent accéder à un espace de liberté tarifaire sur le reste de leur exercice. » « J’espère en tout cas que le nouveau président élu ne nous fera pas perdre un temps précieux en organisant une grande conférence nationale pour régler la problématique de l’accès aux soins comme cela figurait dans ses propositions. Toutes les solutions pouvant être mobilisées sont déjà sur la table. Il faut maintenant agir sans plus attendre », conclut Jacques Battistoni.
Chiffres clés
D’après l’Assurance maladie, 6 millions de Français et 600 000 patients en affection longue durée (ALD) n’ont plus de médecin traitant.
La télémédecine fait débat
La proposition de développer la télémédecine dans les zones sous-denses est accueillie avec méfiance de la part des syndicats de médecins. « Le développement des cabines de téléconsultation dans les officines nous inquiète un peu, confie Jacques Battistoni, président de MG France. Si la télémédecine s’inscrit dans le cadre d’un service de proximité entre un patient stabilisé et son médecin traitant, pour lui éviter de venir au cabinet lors d’un renouvellement d’ordonnance, nous y sommes favorables. Si c’est pour appeler une plateforme avec un médecin installé à l’autre bout du territoire qui ne connaît pas le patient, nous nous y opposerons. » Du côté des syndicats de pharmaciens, l’écho est plus favorable. « Rien ne peut remplacer la visite chez le médecin, rappelle Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO Mais la télémédecine peut lui faire gagner un temps précieux pour les soins non programmés. Elle constitue aussi une alternative intéressante pour accéder à une télé-expertise ou à une téléconsultation avec un spécialiste dans des régions où certaines spécialités ont disparu. Elle permettrait en outre de développer les échanges entre professionnels de santé. »
À RETENIR
Au 1er janvier 2021, la France (métropole et départements d’outremer) compte 276,1 médecins pour 100 000 habitants.
Pour lutter contre les déserts médicaux, les mesures proposées par les candidats, qu’elles soient incitatives ou coercitives, ne répondent pas à l’attente des médecins.
Une idée semble faire l’unanimité : inciter les étudiants en médecine à effectuer une année d’étude en zones sous-denses.
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