Médecins, pharmaciens, infirmiers : la loi redistribue les cartes

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Médecins, pharmaciens, infirmiers : la loi redistribue les cartes

Publié le 20 juin 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Parlement, la loi redéfinissant la profession d’infirmier consacre un tournant dans l’organisation des soins. Derrière l’apparente fluidité du texte, c’est l’équilibre des compétences entre professions de santé qui s’en trouve interrogé.

Rarement une réforme du système de santé aura été adoptée aussi rapidement et à l’unanimité. Le 19 juin 2025, le Parlement a définitivement validé la proposition de loi portée par Nicole Dubré-Chirat et Frédéric Valletoux, refondant la définition légale de la profession infirmière. Derrière l’accord politique, le texte introduit une réécriture complète de l’article L.4311-1 du Code de la santé publique : l’infirmier devient un acteur autonome du soin, apte à poser un diagnostic, prescrire certains produits et examens, et réaliser des consultations infirmières.

Pour le ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, cette réforme « ambitieuse » était une réponse nécessaire aux besoins de plus de 640 000 infirmiers et infirmières en exercice, et 100 000 étudiants engagés dans la filière. Mais elle est surtout l’un des signaux les plus nets de la redéfinition des lignes professionnelles à l’œuvre dans le système de santé.

L’infirmier, professionnel du premier recours et coordinateur du parcours

Le texte réorganise la profession autour de six missions socles, qui excèdent largement la fonction d’exécutant. Sont désormais reconnus comme relevant du champ infirmier :

– les soins préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels et de surveillance ;

– la coordination et l’orientation dans le parcours de soins ;

– la participation aux soins de premier recours ;

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– l’éducation thérapeutique et la prévention ;

– la formation initiale et continue ;

– l’intégration des données probantes et la contribution à la recherche.

Ce socle, en apparence consensuel, acte une montée en responsabilité. Il rend juridiquement légitime une pratique clinique autonome dans les zones sous tension médicale, et repositionne l’infirmier au cœur de la chaîne de décision, y compris sans recours systématique au médecin.

Une pratique avancée consolidée… et étendue

La loi encadre également, de manière plus détaillée, l’exercice en pratique avancée (IPA), introduit par la réforme de 2018 mais encore faiblement déployé. Parmi les apports majeurs :

– une procédure formalisée de reprise d’activité après interruption prolongée ;

– l’ouverture de la pratique avancée aux infirmiers spécialisés (Ibode, Iade, puériculteurs), selon des modalités spécifiques ;

– l’extension des terrains d’exercice (PMI, santé scolaire, crèches, ASE) ;

– une reconnaissance statutaire des infirmiers de l’Éducation nationale comme spécialité autonome de niveau 7.

Cette structuration vise à rationaliser les parcours professionnels infirmiers, tout en renforçant leur capacité d’action dans les services de prévention, de soins primaires et médico-sociaux. Le tout sans créer de nouvelles catégories juridiques, mais en étendant la reconnaissance des compétences acquises.

Permanence des soins, prescription, accès direct : les points de friction à venir

La réforme confie également à l’infirmier une participation explicite à la permanence des soins : mission jusqu’ici assumée en grande partie par les médecins libéraux. Un pas de plus vers une répartition fonctionnelle des rôles dans les territoires, qui interroge la coordination interprofessionnelle : qui prescrit ? qui oriente ? qui coordonne ?

L’article 6 autorise par ailleurs, à titre expérimental et pour trois ans dans cinq départements, un accès direct aux infirmiers exerçant en établissement médico-social ou en maison de santé pluriprofessionnelle. Là encore, le principe d’autonomie prime sur le modèle hiérarchique : la porte d’entrée du système de soins pourrait ne plus être exclusivement médicale.

Et les pharmaciens dans tout cela ?

La montée en compétence des infirmiers ne se joue pas en silo. Elle aura des répercussions sur l’ensemble de la chaîne du soin, y compris sur les pharmaciens. Déjà fortement mobilisés sur les missions de prévention, d’éducation thérapeutique et de coordination du parcours, ils devront recomposer leurs coopérations de terrain avec des acteurs devenus eux aussi prescripteurs, évaluateurs et référents.

Le texte n’aborde pas directement les relations entre infirmiers et pharmaciens, mais ses conséquences pratiques sont évidentes : partage de la donnée patient, articulation des consultations, coordination des soins à domicile… autant de domaines où les pharmaciens devront certainement clarifier leur positionnement.

Une revalorisation suspendue à la négociation

Enfin, la loi acte un principe, mais diffère sa mise en œuvre financière. L’article 1er prévoit que la promulgation de la réforme donnera lieu à une négociation sur la rémunération, tenant compte des compétences élargies et des lieux d’exercice. Mais dans le même temps, le gouvernement n’a pas levé le gage financier inscrit à l’article 9, qui repose sur une hausse de la fiscalité du tabac.

En clair : les nouvelles responsabilités sont désormais légales, mais leur valorisation reste à discuter. Un équilibre précaire qui pourrait limiter l’attractivité du modèle.

Une redistribution partielle, mais réelle

Oui, la loi redistribue les cartes. Elle ne nie pas le rôle du médecin, ni n’efface celui du pharmacien. Mais elle consacre, pour la première fois avec une telle clarté, le principe d’une autonomie clinique infirmière fondée sur une logique de mission, et non de hiérarchie.

La tension à venir ne se jouera pas uniquement sur les actes, mais sur la capacité des professions à partager une gouvernance locale des soins. Le pharmacien, dans cette recomposition, a toute sa place. À condition de faire entendre sa voix dans la redéfinition des équilibres.