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123 millions d’euros de gaspillage : les pharmaciens refusent d’être les boucs émissaires

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123 millions d’euros de gaspillage : les pharmaciens refusent d’être les boucs émissaires

Publié le 16 avril 2025 | modifié le 17 avril 2025
Par Sana Guessous
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L’Assurance maladie mène une réflexion autour du gaspillage de médicaments et de dispositifs médicaux par les patients, en collaboration avec les syndicats infirmiers. Les pharmaciens, qui ont été associés à ce travail, en pointent les limites, dénonçant une stigmatisation de leur profession.


Depuis plusieurs mois, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) planche sur un plan d’action visant à réduire le gaspillage de produits de santé. À l’origine de cette démarche, un constat relayé par le syndicat Convergence infirmière : selon une estimation fondée sur une collecte terrain, le gaspillage atteindrait 123 millions d’euros par mois. Une somme colossale, extrapolée à partir d’une enquête menée dans douze cabinets infirmiers.

Ce chiffre, fortement médiatisé, suscite cependant la prudence. « Il est à prendre avec des pincettes, car il repose sur un échantillon très restreint », prévient Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Une réserve que Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière, admet volontiers : « Nous savons que ce résultat est approximatif et qu’il contient des biais. Mais si l’Assurance maladie, le ministère de la Santé et la Cour des comptes s’y intéressent, c’est qu’il reflète une réalité préoccupante. »

Des causes multiples, mais un même malentendu


Côté pharmaciens, la participation au groupe de travail initié par la Cnam ne se fera pas sans conditions. « Il faut s’attaquer aux vraies causes du gaspillage, insiste Pierre-Olivier Variot. Les conditionnements inadaptés des laboratoires y contribuent largement. Les PSAD, qui livrent des cartons entiers pour plusieurs mois, aggravent la situation. » Autre dérive dénoncée : certaines pratiques entre médecins et prestataires de santé à domicile. « Ces binômes douteux sont dans le viseur des Cpam d’Occitanie, qui ont lancé une initiative pertinente pour en analyser les dérives. »

Sur le fond, pharmaciens et infirmiers s’accordent : le gaspillage est multifactoriel. « Nous ne désignons pas les pharmaciens comme responsables. Le problème concerne tout le monde : les patients peu observants, les prescripteurs, les industriels comme les distributeurs », tient à préciser Ghislaine Sicre. Reste que la tonalité du débat laisse un malaise chez les officinaux. « Nous nous sentons stigmatisés », glisse Pierre-Olivier Variot.

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Pas de réutilisation sans garantie sanitaire


L’USPO refuse en bloc l’idée d’une réutilisation des médicaments non utilisés (MNU). « On ne sait pas comment ces produits ont été conservés. Quelle garantie peut-on offrir en tant que pharmacien ? Même les ONG refusent les MNU pour cette raison », rappelle son président. En face, les infirmiers affirment effectuer des vérifications strictes : état des boîtes, blisters intacts, dates de péremption, stockage à l’abri de l’humidité et de la chaleur. Mais rien, à ce stade, n’indique que l’Assurance maladie envisage une telle piste. « Ce n’est pas sur la table, nous n’en sommes pas là », tempère Ghislaine Sicre.

Des solutions professionnelles, pas de bricolage


Face à cette situation, les syndicats pharmaceutiques préfèrent avancer leurs propres propositions. « Pour les patients en perte d’autonomie, on pourrait développer la préparation des doses à administrer (PDA) ou envisager la dispensation à domicile, ce qui permettrait en parallèle un audit de l’armoire à pharmacie », suggère Pierre-Olivier Variot.

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), par la voix de Philippe Besset, attend elle aussi de participer au groupe de travail pour faire entendre ses recommandations. Sur un sujet aussi sensible, les pharmaciens entendent peser, sans être caricaturés.