Périnatalité : l’officine au secours des jeunes parents

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Périnatalité : l’officine au secours des jeunes parents

Publié le 3 décembre 2024 | modifié le 4 décembre 2024
Par Annabelle Alix
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Point de santé de proximité, l'officine est un passage quasi obligé en sortie de maternité. Sans rendez-vous, accessible six jours sur sept, du matin au soir, c'est le lieu idéal pour accueillir les parents en détresse, dans un contexte où le suivi périnatal montre ses limites.

Les indicateurs de santé périnatale en France sont alarmants. Aujourd’hui, parmi les bébés accouchés après six mois de grossesse, un sur cent naît sans vie ou décédera au cours de la première semaine. En Europe, l’Hexagone est désormais classé respectivement 21e et 22e aux rangs des mortinatalités spontanées et des mortalités infantiles, et la situation des mamans n’est guère plus réjouissante. Selon le rapport d’enquête sur la périnatalité lancée en mars par le Sénat et publié le 10 septembre1, « les complications et difficultés physiques et psychiques durant la grossesse, l’accouchement ou en post-partum sont fréquentes, et le suicide est désormais la première cause de mortalité maternelle ». Le rapport tire la sonnette d’alarme, et réclame « une réponse organisée à la fragilité actuelle de l’offre de soins périnatals », recommandations à l’appui.

Manque d’informations, suivi postnatal défaillant, dépressions post-partum non détectées… Et si les officines avaient un rôle à jouer auprès des futurs et jeunes parents ? Certaines en ont fait le pari, comme la pharmacie Via Domitia, à Narbonne (Aude), certifiée Initiative pharmacie amie des nourrissons (IPhAN). Premiers professionnels de santé croisés en sortie de maternité, les officinaux sont « accessibles sans rendez-vous et notre porte est ouverte du lundi au samedi, rappelle Caroline Arcens, la titulaire. Sans nous substituer aux autres professionnels, nous sommes souvent le premier maillon de la chaîne. Nous pouvons effectuer un repérage très précoce des difficultés des parents ».

Quand les réseaux sociaux prennent la main…

« Il n’y a plus de transmission intergénérationnelle dans la sphère privée. Les mamans sont de plus en plus seules chez elles et parfois complètement démunies », constate Soazick Sirand, infirmière puéricultrice, consultante en allaitement IBCLC2 et fondatrice du Centre de Formation Allaitement Nourrissons (CEFAN) Santé, qui forme les officinaux à l’accompagnement périnatal en pharmacie. « Les mamans se tournent alors vers Internet et les réseaux sociaux pour trouver des réponses. » Des canaux d’information facilement accessibles où glaner un conseil par-ci, un retour d’expérience par-là, entre deux cycles d’éveil de bébé en journée ou au cours d’une tétée nocturne. Une pratique qui n’est pas sans risques. « Sur les réseaux, elles ont l’impression de faire partie d’une communauté, mais les conseils récoltés sont parfois contre-productifs car ils ne sont pas forcément duplicables », prévient Soazick Sirand. Et de citer l’exemple d’une mère allaitante partageant ses tips auprès d’une femme à la physiologie différente, qui n’aurait pas la même capacité de stockage de lait.

La disparité qualitative des informations de santé échangées en ligne conduit même à des autodiagnostics erronés : reflux gastro-œsophagien (RGO) du nourrisson, allergie aux protéines de lait…, et à des expérimentations inutiles, voire dangereuses, comme le passage au lait végétal pour bébé, par exemple. « Face à une multiplication des informations, le risque est que les messages se chevauchent et que les parents se retrouvent perdus », souligne également le rapport du Sénat.

En post-partum, l’info fait défaut

Toujours selon le rapport, les jeunes et futurs parents se sentent mal informés, en particulier sur le post-partum, et plus précisément sur les soins du nouveau-né. Pas moins « d’une femme sur cinq déclare ne pas être satisfaite des informations communiquées sur cette période [du post-partum] et ne pas avoir bénéficié d’un suivi postnatal. L’information médicale se concentre largement sur la grossesse et l’accouchement ». Une fois l’enfant né, les parents, jetés dans le grand bain sans conseils professionnels, « sont confrontés à une information plurielle, qualitativement inégale, et même exposés à des images et conseils contraires aux recommandations médicales, en particulier s’agissant du couchage des nourrissons ».

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Par ailleurs, plus de 85 % des femmes indiquent « ne pas avoir eu de consultation diététique ou de réunion d’information sur le sujet, et seules 16 % ont reçu des conseils pour limiter la transmission du cytomégalovirus ». Au comptoir de la pharmacie, l’officinal a donc plus d’un rôle à jouer pour remédier à ce cruel manque d’information et à l’accompagnement défaillant des parents : conseils en diététique pour la femme enceinte, la mère allaitante ou l’enfant, informations sur l’entretien prénatal précoce et l’entretien postnatal ou sur la possibilité de désigner une sage-femme référente, réalisation d’entretiens conventionnels « femmes enceintes » par un pharmacien pour prévenir le risque iatrogène, renvoi vers le site institutionnel informatif « 1 000 Premiers jours »…

Suivi périnatal : deux entretiens obligatoires

Pour améliorer le suivi périnatal, la loi prévoit désormais un entretien prénatal et un entretien postnatal précoces obligatoires, ainsi que la possibilité de désigner une sage-femme référente.

L’entretien prénatal précoce, créé en 2007 et obligatoire depuis 2020, est pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale. Il s’agit d’un temps d’échange et d’écoute avec le médecin ou la sage-femme pour faire le point sur le projet de naissance. Les parents peuvent exprimer leurs attentes, poser des questions, faire part de leurs difficultés éventuelles (médicales, sociales, psychologiques…), exprimer leurs besoins en matière d’accompagnement pendant la grossesse et après l’accouchement. L’objectif de cet entretien est aussi de repérer les premiers signes de dépression post-partum (état dépressif ou anxieux, fatigue, humeur instable…), d’identifier d’éventuels facteurs de risques (isolement, événement stressant…) et d’évaluer les éventuels besoins d’accompagnement. Le professionnel de santé peut proposer un second entretien entre la 10e et la 14e semaine après l’accouchement pour continuer l’accompagnement, s’il le juge nécessaire, ou à la demande d’un ou des parents.

L’entretien postnatal précoce, pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie dans la limite du tarif de base, est à effectuer dans les six à huit semaines qui suivent l’accouchement, avec le médecin traitant, le gynécologue ou la sage-femme. La jeune mère est examinée et des séances de rééducation périnéale et abdominale lui sont prescrites, si nécessaire. Différents sujets peuvent être abordés : contraception, alimentation, troubles urinaires…

La sagefemme référente a pour rôle de fluidifier et structurer le parcours de la femme enceinte et de la jeune mère. Elle fait le lien avec la maternité et le médecin traitant, notamment en organisant le suivi postnatal de la patiente.

Source : ameli.fr

Se former pour mieux aider

Face à ces besoins, certains officinaux ont investi le champ de la périnatalité, au point de s’y former. Huit pharmacies sont certifiées IPhAN, une distinction exigeante créée sous l’impulsion du groupement Totum, à l’initiative de deux pharmaciennes et de la formatrice Soazick Sirand, à partir du modèle IHAB (Initiative hôpital « amis des bébés »). Dans ces pharmacies, les deux parents sont informés des rythmes et des besoins physiologiques de leur bébé et sont soutenus, informés, accompagnés dans la mise en route de l’alimentation de leur enfant. Tous les professionnels de l’officine sont formés, et les pharmacies collaborent en réseau avec tous les professionnels de la périnatalité pour permettre un accompagnement global et cohérent des familles. Sans aller si loin, d’autres officines se spécialisent sur tel ou tel créneau. L’allaitement, par exemple, « concerne sept femmes sur dix à la sortie de la maternité », pointe Isabelle Geiler, adjointe, titulaire d’un diplôme interuniversitaire en lactation humaine et allaitement maternel (DIULHAM). Un diplôme « centré sur les services de maternité et les consultations médicales en post-partum », dont la pharmacienne a entrepris d’extraire les informations utiles au comptoir pour en dégager une formation 100 % officine, qui ouvrira à Lille (Nord) dès janvier 2025.

Rassurer les parents

Pour Soazick Sirand, « la priorité est avant tout d’aider les parents à comprendre comment fonctionne leur bébé, pour qu’ils se sentent à l’aise dans leur parentalité ». Selon Lindsey Voitèque, préparatrice et référente allaitement à la pharmacie Via Domitia, « les difficultés les plus fréquemment rapportées au comptoir concernent les pleurs du soir, du style : “Mon bébé ne fait que pleurer, je le mets au sein pendant cinq, six heures, et cela ne suffit pas !”» Les mamans ont besoin d’être rassurées. « Souvent, elles s’apaisent quand nous leur apprenons que la majorité des nourrissons se comportent ainsi et que nous leur en expliquons les raisons comme le fait que l’enfant a besoin de contact, etc. », assure-t-elle. Pour Soazick Sirand, « c’est le moment d’expliquer aux parents le rythme et les besoins de leur bébé pour qu’ils puissent les accompagner, et non lutter contre : ne pas le coucher à l’heure où sa physiologie lui commande d’être actif, éviter le bain au moment où il est nerveux, etc. ». « Avec les hormones, en post-partum, la maman est parfois un peu imperméable aux informations, mais l’avantage est qu’en pharmacie, nous la reverrons. L’occasion de se répéter se présentera », pointe Eugénie Guyennon, pharmacienne titulaire, conseillère en allaitement et fondatrice d’EG formation et atelier, qui forme les officinaux à l’accompagnement périnatal en pharmacie.

Prévenir les risques physiques…

Manque d’information, épuisement, « baby clash » ou tensions dans le couple parental sont autant de facteurs de risques pour la santé de la mère et celle de l’enfant. « Nous sommes des sentinelles, nous voyons ces parents au comptoir et nous pouvons apprendre à les observer, note Eugénie Guyennon. La pharmacienne se dit « vigilante sur les signes de bébés secoués, de violences conjugales, de maltraitance ». Pas toujours facile de détecter les situations à risque, et pour cause : « Les mamans ne livrent pas tout, tout de suite, notamment parce qu’elles ont peur du jugement », pointe Soazick Sirand. Un préparateur formé – ou du moins alerte – n’hésitera pas à susciter le dialogue. Alors, comme le suggère la formatrice, « une maman qui mentionnerait simplement au pédiatre que son bébé a du mal à dormir pourrait davantage s’épancher en pharmacie, en disant par exemple : “Le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’il dorme, c’est de le coucher sur le ventre” ». Une formidable occasion de rebondir sur les bonnes pratiques de couchage et d’investiguer pour trouver d’autres solutions. Avec, à la clé, un véritable enjeu de santé publique. Le rapport du Sénat souligne que les morts inattendues du nourrisson touchent encore 200 bébés chaque année, « dont la moitié serait évitable », « notamment en lien avec un couchage inadapté : couchage sur le ventre, surfaces de couchage ou environnantes molles, partage de la surface de couchage avec une autre personne ».

… et psychologiques

Dans les jours qui suivent leur accouchement, 70 % des femmes présentent des symptômes de baby-blues1. Une mère sur cinq et un père sur dix développent une dépression post-partum, avec des conséquences sur le développement du lien parent-enfant. Quant au suicide, il est désormais la première cause de mortalité maternelle, devant les maladies cardiovasculaires. Quinze mamans mettent fin à leurs jours chaque année. Grossesse précoce ou, au contraire, âge avancé de la mère, précarité matérielle et isolement des parents accroissent les risques de dépression post-partum, tout comme l’existence d’antécédents d’épisodes anxieux ou dépressifs. « S’il connaît l’histoire de la mère, l’officinal peut prendre les devants en l’informant dès la grossesse du risque et en redoublant de vigilance après la naissance », pointe Soazick Sirand. Autre facteur favorable, « les représentations idéalisées de la grossesse et de la maternité fortement relayées sur les réseaux sociaux contribuent à nuire à la santé mentale des parents pour qui tout ne serait pas facile et esthétisant », analyse le rapport du Sénat. D’où l’intérêt de rétablir les vérités, en informant davantage les parents sur les réalités de la maternité : « La grossesse comme l’accouchement sont des temps de bouleversement, de remise en question, pendant lesquels des fragilités psychologiques peuvent refaire surface. Un projet de parentalité force à “affronter son histoire, sa réalité conjugale, économique, culturelle, religieuse”. C’est donc à toute cette “dette de vie” que les parents sont confrontés à la naissance d’un enfant », analyse Emmanuel Devouche, enseignant-chercheur spécialisé en psychologie périnatale, dans une étude Pergamon réalisée pour l’entreprise Biogen3.

Investiguer et observer

Malheureusement, l’étude Pergamon précise que « certains symptômes sont assez diffus et rendent difficile la prise de conscience de [la dépression post-partum] par les femmes atteintes : impression de vide, hypervigilance, phobies d’impulsion, sentiment de déconnexion… D’autres signes peuvent aussi être aisément négligés du fait de leur apparente normalité : une grande fatigue peut ne pas alarmer la mère et ses proches, alors que c’est à la fois un facteur et un symptôme de la dépression post-partum. Les changements hormonaux, les bouleversements dans la dynamique familiale, la pression des attentes sociales et l’impact émotionnel lié à l’arrivée de l’enfant peuvent chambouler rapidement l’équilibre de la nouvelle mère sans que celle-ci en ait pleinement conscience ». En guise de garde-fous, Caroline Arcens a adopté quelques automatismes : « Quand nous voyons de jeunes parents, nous activons certains réflexes dans la conversation : “Comment va bébé ? Et maman ? Et papa ?”, pour ouvrir un espace de discussion. » Eugénie Guyennon est, elle aussi, « alerte sur la famille, y compris la fratrie ; on creuse à droite, à gauche, au gré de la discussion. La question du cododo peut être une porte d’entrée pour cerner le maternage mis en place, la proximité du parent avec son bébé et, de fil en aiguille, sa facilité à porter bébé et à être à l’aise avec lui ». Outre l’échange, « l’observation est très importante », pointe Lindsey Voitèque. Comment la maman porte-t-elle son bébé ? Le suit-elle du regard ? Est-elle attentionnée ? Se met-elle à pleurer ? « De petits signes mettent parfois le doute, dans les paroles, les attitudes… C’est du feeling », reprend Eugénie Guyennon. Un papa qui (se) demande pourquoi sa femme est transformée ; une maman qui dit qu’elle n’est « pas faite pour être mère »… « En cas de doute, surtout, ne pas hésiter à poser la question : “Je vous sens un peu fragilisé(e), qu’est-ce que vous en pensez ?” »

Orienter

La demande est parfois directe. Et si la situation le requiert, la cliente est alors réorientée. « À la mère allaitante qui me disait qu’elle se sentait complètement à plat, j’ai répondu qu’il était nécessaire de continuer les examens médicaux pendant l’allaitement, notamment les prises de sang. Et je l’ai orientée vers un médecin, ce qui a permis de détecter des carences en fer », témoigne Zinha Dupire, préparatrice à Oignies (Pas-de-Calais). Quant à Lindsey Voitèque, elle n’hésite pas à renvoyer vers le médecin les mères qui se plaignent de douleurs abdominales quand elles allaitent. « J’explique que les tranchées [ndlr : contractions utérines du post-partum] peuvent durer un certain temps, et qu’en général, elles s’estompent petit à petit pour devenir similaires à des douleurs de règles, explique-t-elle. Mais si la cliente sent que ça ne passe pas, qu’il y a quelque chose d’anormal, je lui conseille d’aller consulter. »

Face à la détresse psychologique, le dispositif « Mon soutien psy » de l’Assurance maladie permet d’accéder à douze séances gratuites avec un psychologue. Des initiatives locales proposent aussi certains accompagnements, comme le dispositif CoPA (Coaching parental), proposé depuis 2021 par le pôle territorial femme enfant du Groupement hospitalier de territoire (GHT) Cœur Grand Est. « Il nous appartient de connaître le réseau local et d’orienter les patientes vers un professionnel de santé, la protection maternelle et infantile (PMI) ou des associations », estime Fabien Brault-Scaillet, titulaire à Montargis (Loiret) et fondateur de Yggi formation, un outil d’audit et de coaching qui accompagne les officines dans la mise en place des nouvelles missions.

4 accroches pour parler périnatalité

Au comptoir, une prescription d’acide folique, l’achat d’un test de grossesse, d’un complément alimentaire « grossesse » ou « allaitement » sont autant de portes d’entrée pour informer sur les services proposés.

Une demande dérivée, comme celle de la jeune maman qui réclame un complément alimentaire pour la chute de cheveux, « camoufle parfois un problème plus profond, observe Philippine Pennou, préparatrice et babyplanner (Instagram : @newlife_babyplanner). Si la maman semble fatiguée, on peut demander : “Comment vous sentez-vous ? Est-ce vraiment vos cheveux, le problème ?”, afin d’ajuster le conseil et de proposer un accompagnement ».

Les entretiens conventionnels « Femmes enceintes » sont l’occasion d’aborder des questions périnatales plus larges que la iatrogénie, comme le projet d’alimentation de l’enfant, l’information sur les entretiens prénatal et postnatal, etc., ou d’informer sur le suivi et les services proposés à l’officine.

L’accroche dans l’espace de vente, au rayon maman bébé, est un moyen d’engager la conversation sur la façon dont la maman vit la grossesse ou dont les parents vivent la parentalité, sur les services proposés, etc.

Travailler en réseau… dans les limites légales

Eugénie Guyennon fait partie d’une équipe de soins primaires (ESP), réseau qu’elle active, en cas de besoin, en orientant le parent vers un psychologue, un ostéopathe, etc. « Avec les autres professionnels du réseau [sage-femme, infirmier, kinésithérapeute, orthophoniste…], nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de réaliser des protocoles pour savoir à quel moment renvoyer le parent vers tel ou tel professionnel, explique-t-elle. Cela nous permet aussi de mieux savoir, par exemple, ce que peuvent prescrire les sages-femmes, quelle est la compétence de chaque professionnel, pour nous organiser en fonction du besoin des familles, notamment lorsqu’il n’y aura plus de médecin sur la commune. » « Attention toutefois à fournir, à chaque fois, plusieurs noms de professionnels, au-delà du réseau, et même de la commune si nécessaire », met en garde Bruno Maleine, président de la section A du Conseil central des pharmaciens. Et pour cause, « le patient doit conserver le libre choix des professionnels de santé qu’il consulte ».

Un rayon difficilement rentable

Formation et temps supplémentaire passé au comptoir – voire en dehors pour des consultations en allaitement, tests de tire-lait ou animations (voir encadré) – interrogent : au-delà du besoin bien réel chez les parents, la périnatalité est-elle rentable pour l’officine ? Aucun doute sur ce point : « Les mamans ne regardent jamais le compte bancaire quand il s’agit de soulager leur enfant », observe Zinha Dupire. Et côté référencement, le rayon s’étoffe. « On vend des choses qu’on ne proposait pas avant : coquilles d’allaitement, patchs, serviettes ou boudins anesthésiants à mettre au congélateur pour soulager les douleurs du post-partum ou liées à l’allaitement… », détaille Lindsey Voitèque. Même constat chez Isabelle Geiler qui a décuplé son stock de tire-lait. « Au départ, nous avions un petit rayon de puériculture composé de tétines, biberons et laits, se remémore-t-elle, et en quelques années, nous sommes passés à trois rayons avec des couches, des soutiens-gorge d’allaitement, etc. » Ceintures lombaires, bas de contention veineuse, sérum physiologique… Certes, les produits associés à la maternité ne manquent pas, mais de là à affirmer que la périnatalité est rentable, les titulaires sont sceptiques. « Le rayon maman-bébé n’est pas le plus rentable, déclare, pour sa part, Eugénie Guyennon. Entre la disponibilité au téléphone, les mamans qui repassent pour faire le point ou les recherches parfois nécessaires pour encore mieux les renseigner, pour l’instant, je ne m’y retrouve pas économiquement. » En effet, « ce rayon représente en moyenne environ 9 % des ventes hors ordonnance en pharmacie, 5 % du chiffre d’affaires et 2 % de la marge », analyse Fabien Brault-Scaillet. La rentabilité semble dépendre de l’ampleur des services déployés. Un conseil pratiqué directement au comptoir sera moins chronophage qu’une consultation, même payante, qui éloigne un membre de l’équipe du comptoir pour un temps plus ou moins compliqué à délimiter.

Penser « long terme »

Eugénie Guyennon émet une hypothèse : « Une démarche approfondie de l’officine, validée par une certification IPhAN par exemple, pourrait être un critère différenciant pour une future rémunération conventionnelle. » Dans l’attente, l’officine investie sur la périnatalité, gagne la confiance des patients, fidélise, capte une nouvelle clientèle. « Ce qui nous différencie du supermarché sur le rayon bébé, c’est le prix, note Isabelle Geiler. Si les clients achètent chez nous plutôt qu’en supermarché, c’est parce qu’ils nous font confiance, et cette confiance, il faut la mériter. Quand on vend quelque chose qu’on ne connaît pas, on n’y répond pas », développe la pharmacienne, qui s’est formée à la composition des produits de dermocosmétique pour maman et bébé, afin d’adapter au mieux son référencement. « Les compétences acquises sur la périnatalité accroissent la qualité de nos services, ce qui participe à un grand climat de confiance, corrobore Caroline Arcens. Si nous gagnons la confiance des clients sur ce secteur, nous la gagnons aussi sur le reste. On sort vraiment de l’image de l’épicier. » Partant de là, « on fidélise les mamans, on voit leurs enfants grandir », se réjouit Lindsey Voitèque. « Elles reviennent acheter les vaccins, les antibiotiques, etc. », renchérit Zinha Dupire. Souvent, la fidélisation s’étend même à la famille, et au-delà : « On récupère le traitement du papa, l’hypertenseur de la grand-mère, mais aussi les copines enceintes, car les mamans parlent beaucoup entre elles, développe Caroline Arcens. Un an après avoir investi le créneau, je reçois des mamans qui font 20 à 25 minutes de route depuis les villes voisines. » Des mamans ravies, des préparatrices épanouies. Lindsey Voitèque a même quitté Montpellier (Hérault) pour venir s’épanouir à Narbonne (Aude). À l’heure des pénuries de personnel, développer la périnatalité en pharmacie semble être un bon levier de recrutement. À bon entendeur…

1. « L’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale », rapport d’information n°753, Sénat, septembre 2024.

2. International Board Certified Lactation Consultant, qui signifie : consultant en lactation certifié par le conseil international.

3. « Dépression post-partum, un enjeu de santé publique », étude Pergamon pour Biogen, octobre 2024.

3 questions à Bruno Maleine, président de la section A du Conseil central des pharmaciens

Les préparateurs peuvent-ils réaliser des consultations « périnatalité » ou « allaitement » payantes à l’officine ?

En plus des entretiens conventionnels rémunérés, le pharmacien peut proposer, dans la limite de ses attributions et compétences, des entretiens non conventionnels facturés au patient. Ces entretiens doivent respecter le code de déontologie : pas d’empiètement sur le diagnostic, etc. Contrairement aux entretiens conventionnels, ceux-ci peuvent être réalisés par un préparateur, mais le titulaire a un droit de regard sur leur contenu et/ou sur la qualité de la formation suivie par le préparateur, car les conseils donnés au patient engageront la responsabilité du titulaire.

Un préparateur peut-il exercer ces consultations dans différentes officines sous le statut d’auto-entrepreneur ?

Non, car l’auto-entrepreneur – qui, d’ailleurs, n’exercerait plus comme préparateur – n’est pas soumis au lien de subordination qui relie un salarié à son employeur. Cette situation reviendrait donc à mettre les locaux de la pharmacie à disposition d’un professionnel extérieur, ce qui est interdit. Les consultations et ateliers qui s’adressent au patient dans l’officine doivent obligatoirement être réalisés par un membre de l’équipe. En revanche, l’auto-entrepreneur peut intervenir comme formateur auprès des membres de l’équipe. Le titulaire doit, là encore, s’assurer que la formation est compatible avec les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et des sociétés savantes.

De quelle manière l’officine peut-elle communiquer sur les entretiens non conventionnels qu’elle mène ?

L’information sur l’entretien, avec son tarif – fixé avec tact et mesure –, doit être affichée dans l’officine. En vitrine, cette information ne doit pas primer sur les signes de reconnaissance déposés de la pharmacie : croix verte, etc. La communication à l’extérieur de l’officine doit également être faite avec tact et mesure : ne pas remettre de flyers, etc. Appeler les professionnels voisins pour les informer du service proposé pourrait être assimilé à de la sollicitation de clientèle, et ce, même si l’officine était la seule implantée sur la commune, car le libre choix du patient fait fi de la zone de chalandise. Sur son site web, la pharmacie peut mentionner ses créneaux de spécialisation à titre informatif, mais sans aller trop loin dans les détails.