« Engorgement mammaire : l’allaitement à la demande reste la meilleure prévention »

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« Engorgement mammaire : l’allaitement à la demande reste la meilleure prévention »

Publié le 7 avril 2025
Par Annabelle Alix
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En cette Journée mondiale de la santé 2025 consacrée à la santé maternelle et néonatale (« Une bonne santé à la naissance pour un avenir plein d'espoir »), Eugénie Guyennon, pharmacienne spécialisée dans l’accompagnement périnatal à l’officine, fait le point sur l'engorgement mammaire chez la femme allaitante.

Montée de lait brutale, volonté de maîtriser le rythme de l’allaitement, absence temporaire de la mère sont autant d’événements qui ont une incidence sur la bonne vidange du sein, condition nécessaire à la réduction du risque d’engorgement. 

Identifier les causes, conseiller et orienter sont les clés pour un accompagnement efficace à l’officine, explique Eugénie Guyennon, pharmacienne titulaire à Toulouse et fondatrice de l’organisme de formation EG formation et atelier, spécialisé dans l’accompagnement périnatal à l’officine.

Qu’est-ce qu’un engorgement ?

Eugénie Guyennon© DR – Eugénie Guyennon
Eugénie Guyennon : Dans un contexte d’allaitement, l’engorgement est une stase de lait qui a été produit mais n’a pas été exprimé (c’est-à-dire sorti en pressant) au moment opportun. Il entraîne un inconfort, voire une douleur – non intense – au sein, et parfois une rougeur ou même une légère fièvre. Si les symptômes affectent vraiment l’état général, avec des symptômes pseudo-grippaux – frissons, courbatures, fortes fièvres –, c’est que l’engorgement a probablement évolué vers une mastite, plus inflammatoire. L’étape suivante est celle de l’abcès, qui est un cas d’urgence pouvant parfois nécessiter un acte de chirurgie.

Quelles sont les principales causes d’un engorgement ?

E. G. : L’engorgement est souvent lié à un défaut dans la pratique de l’allaitement. Le meilleur moyen de prévention est de mener un allaitement à la demande du bébé. Dès que l’on retarde ou que l’on saute des tétées, le risque augmente car la production de lait, qui s’est adaptée au rythme habituel des tétées, devient trop importante par rapport à la quantité exprimée. Certaines circonstances peuvent aussi augmenter le risque d’engorgement : sevrage, passage à l’allaitement mixte, absence temporaire de la mère, reprise du travail…

Parfois aussi des mamans sont tentées d’espacer les tétées pour réduire les reflux du nourrisson. Ce n’est pas une bonne idée ! L’allaitement à la demande du bébé est le plus physiologique pour lui, et donc le plus digeste. Espacer les tétées dans le but de soigner un reflux peut ainsi s’avérer contre-productif. En allant à l’encontre du rythme naturel du bébé, on crée de la frustration, parfois du stress, ce qui peut entraver la bonne succion. Le lait ne sort pas, ou moins bien, et le risque d’engorgement augmente.

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Y a-t-il d’autres causes à l’engorgement ?

E. G. : Dans un contexte d’allaitement à la demande, certaines circonstances comme un mauvais positionnement du bébé ou une perturbation importante du rythme des tétées – notamment due à une infection virale qui fait dormir plus souvent le bébé ou qui lui coupe l’appétit – peuvent être des facteurs favorisants. Le port d’un soutien-gorge trop serré, qui appuie sur les glandes mammaires, peut aussi comprimer les canaux et bloquer le passage du lait. Une hyperlactation lors de la montée de lait peut également générer un engorgement en début d’allaitement.

Dans un contexte où la physiologie de l’allaitement est bonne, un engorgement répété ou qui persiste peut, par ailleurs, mettre en lumière un problème de succion. Des tensions au niveau de la mâchoire du bébé peuvent, par exemple, l’empêcher d’ouvrir correctement la bouche et entraver la prise de lait. Souvent liée à un torticolis congénital ou encore à un frein de langue trop court ou trop serré, cette situation a parfois des conséquences sur la courbe de poids du bébé. Sans compter qu’elle génère souvent des douleurs chez la mère pendant les tétées à cause de la mauvaise prise en bouche du mamelon.

Comment identifier un engorgement au comptoir ?

E. G. : C’est une problématique fréquente. Le contexte est souvent celui d’une plainte de la patiente qui allaite. Elle dit souffrir d’un inconfort, voire de douleurs au sein qu’elle trouve souvent chaud et tendu. La maman réclame un conseil pour soulager la douleur.

L’officinal peut lui proposer d’examiner son sein, à l’écart du comptoir, en zone de confidentialité. Il peut questionner : « Est-ce la première fois que cela vous arrive ? », puis : « Avez-vous sauté des tétées ? », afin d’avoir une idée sur la façon dont la patiente mène son allaitement actuellement. L’officinal peut aussi s’enquérir du port ou non de sous-vêtements compressifs.

Faut-il orienter vers un médecin ?

E. G. : Si la conduite de l’allaitement semble être en cause ou si la maman est en transition vers un allaitement mixte ou un sevrage du bébé, il faut mettre en place des solutions préventives. Il conviendra d’orienter vers une sage-femme formée en allaitement, une consultante en lactation certifiée IBCLC (International Board Certified Lactation Consultant), un médecin…

Si l’engorgement est fréquent, persiste dans le temps ou s’intensifie, je recommande de l’envoyer systématiquement consulter. Il y a probablement quelque chose à corriger dans la conduite ou la physiologie de l’allaitement. Lorsque celle-ci a déjà été vérifiée et validée par un professionnel formé en allaitement, orienter l’enfant vers un ostéopathe ou un pédiatre peut être une bonne idée. En revanche, à partir du moment où les signes généraux sont marqués et pseudo-grippaux – grosse fatigue, fièvre, gros frissons –, il faut impérativement envoyer la maman consulter un médecin ou une sage-femme, qui décidera de l’opportunité ou non d’une prise d’antibiotiques. Attention à ne pas passer à côté d’une mastite en période de grippe, car les symptômes sont similaires. Le signal différenciant reste tout de même la douleur au sein.

Quels conseils donner au comptoir pour soulager la maman ?

E. G. : En cas d’espacement des tétées – reprise du travail, absence, bébé moins demandeur… –, la priorité est de bien vider le sein. Entre les tétées, il faut le drainer sur plusieurs jours, manuellement ou en utilisant un tire-lait, pour bien évacuer le lait. Juste avant ou pendant l’expression du lait, la maman peut appliquer une compresse ou un gant imbibé d’eau chaude, très efficace pour dilater les canaux et favoriser un drainage en profondeur.

Comment calmer les douleurs en dehors des tétées ?

E. G. : À l’inverse, en dehors des moments d’expression du lait, appliquer du froid sur le sein aura un effet apaisant. Certains remèdes de grand-mère ont aussi la réputation d’être très efficaces, comme les cataplasmes d’argile – mélange de poudre d’argile verte et d’eau appliqué sur le sein à l’aide d’une compresse –, ou le fait de placer une feuille de chou vert frisé, bien lavée, sortie du réfrigérateur dans le soutien-gorge pour maintenir un environnement frais – après l’avoir écrasée au rouleau à pâtisserie pour l’assouplir. Conseillez, dans ces cas, de laisser l’argile ou de garder la feuille de chou dans le soutien-gorge durant 20 à 30 minutes et de renouveler l’opération 3 à 4 fois dans la journée.

En complément, pour les mamans qui le souhaitent, je conseille de l’homéopathie en granules : Belladonna pour la fièvre et l’inflammation, Phytolacca Decandra pour les douleurs au sein, en 9 CH, à raison de 5 granules 5 fois par jour.

Si besoin, la maman peut avoir recours au paracétamol.

Un autre conseil ?

E. G. : En plus des douleurs, l’engorgement et la mastite entraînent une forte fatigue. Le soutien de l’entourage est donc primordial pour surmonter le cap, de manière à poursuivre l’allaitement. L’entourage doit être un relais car il représente au moins 50 % de la solution ! La maman doit pouvoir se reposer. Pour lui éviter de se lever tout en respectant le rythme du bébé, vous pouvez recommander ceci : « Allongez-vous sur votre lit, seins nus, bébé à proximité, et reposez-vous ! »