Nouvelles missions : comment prendre le virage économique

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Nouvelles missions : comment prendre le virage économique

Publié le 13 mai 2025
Par Sana Guessous
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Sept nouveaux protocoles de prise en charge rejoindront bientôt l’arsenal des pharmaciens dans le cadre du plan gouvernemental contre les déserts médicaux. Si l’expérimentation Osys en a démontré la faisabilité, leur généralisation pose une question cruciale : quelle équation économique pour un exercice élargi, chronophage, mais faiblement valorisé ?

Plaies, brûlures, piqûres de tiques, rhinites allergiques, sinusites, conjonctivites, otites : pour ces pathologies bénignes, les pharmaciens seront bientôt autorisés à prescrire et délivrer un traitement sans passer par un médecin. L’annonce, faite par François Bayrou dans le cadre de son plan contre les déserts médicaux, entérine l’extension progressive du rôle clinique du pharmacien. Une avancée saluée par la profession mais qui soulève une autre question : comment rémunérer ce nouveau temps de travail ?

Le tarif en vigueur dans le cadre de l’expérimentation Osys – 12,50 euros par consultation – fait déjà grincer des dents. « Ce montant peut se justifier si l’entretien aboutit à une délivrance. Ce ne sera pas toujours le cas », tempère Laurent Kaiser, directeur de la stratégie chez Aprium. Le président de l’UNPF, Christophe Le Gall, appelle à une revalorisation immédiate : « Aucun acte qui engage notre responsabilité ne peut être payé en dessous de 15 euros, hors inflation. »

Osys : une preuve de concept… mais une rémunération perfectible

Expérimenté depuis trois ans en Bretagne, puis étendu à trois autres régions, Osys montre que les pharmaciens savent faire. Didier Roche, seul titulaire de son officine à Rieux (Morbihan), assure jusqu’à quatre consultations hebdomadaires : « Je gagne du temps, le patient aussi. L’entretien dure une quinzaine de minutes, pas plus qu’un conseil au comptoir. » Chaque acte donne lieu à une rémunération fixe, et un compte-rendu est systématiquement transmis au médecin référent.

Mais cette efficacité apparente masque une équation économique tendue. « Ce forfait reste symbolique par rapport au service rendu et au niveau de responsabilité engagé », insiste Pierre-Olivier Variot (USPO), qui exige une grille tarifaire à la hauteur des enjeux. D’autant que la formation préalable – 7 heures en présentiel avec un médecin – constitue une charge logistique et financière supplémentaire pour les officines, surtout les plus isolées.

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Une rentabilité à trouver pour chaque mission

Si certaines missions cliniques montent en puissance, leur rentabilité reste marginale dans le modèle économique des officines. En 2024, la vaccination a généré 48 M€ (grippe) et 24 M€ (rappels vaccinaux), en hausse de 15,50 M€ par rapport à 2023. Le déploiement des TRODs angine et cystite a également fortement progressé, avec respectivement 5,30 M€ et 2,60 M€ de rémunération. Mais toutes les missions ne suivent pas cette trajectoire.

Les entretiens pharmaceutiques (AVK, AOD, asthme) n’ont été réalisés que dans 19 % des pharmacies, malgré une rémunération en hausse (1,60 M€ en 2024 contre 800 000 € en 2023). Le bilan partagé de médication (BPM) reste sous-exploité : 2,60 M€, certes en hausse de 157 %, mais réalisé par seulement 19 % des officines.

« Tant qu’une mission ne s’intègre pas dans le flux de travail naturel de l’officine, elle reste marginale », analyse Christophe Le Gall. « Le problème est autant organisationnel que tarifaire. » À cela s’ajoutent des irritants administratifs qui freinent l’adoption : multiplicité des codes, facturation fragmentée, lisibilité limitée.

Un modèle à stabiliser entre honoraires et activité clinique

À ce jour, les missions cliniques ne représentent qu’une faible part du chiffre d’affaires officinal. Mais elles dessinent un futur modèle économique basé sur un mix entre dispensation rémunérée et actes cliniques. « Nous devons mieux négocier les honoraires liés à ces missions, et les indexer sur les coûts réels de fonctionnement. C’est la condition pour attirer et retenir les collaborateurs dans les zones sous tension », souligne Christophe Le Gall.

Les syndicats rejettent en bloc l’idée d’un maillage territorial différencié, qui verrait certaines missions réservées à des zones ciblées. « Ce serait un non-sens économique. Le modèle doit rester duplicable, accessible à toutes les officines », avertit Julien Chauvin (FSPF). Il s’agit aussi de garantir une égalité d’accès pour les patients.

Le modèle DOM-TOM, une piste à suivre ?

Pour compenser les écarts de coût de la vie et renforcer l’attractivité de certaines zones, l’USPO propose de s’inspirer du modèle d’honoraires majorés en vigueur dans les DROM. « Nous ne demandons pas l’impossible, seulement un alignement économique cohérent avec les réalités du terrain », insiste Pierre-Olivier Variot. Le président de l’USPO est clair : « Les missions ne remplaceront jamais la dispensation. C’est un travail en plus, qui doit être payé en plus. »

Missions à venir, un potentiel de croissance encore incertain

La prescription des substituts nicotiniques débutera dès fin 2025 dans trois régions pilotes. D’autres protocoles sont en préparation : douleur dentaire, zona, contraception d’urgence. Des missions à haut potentiel, mais dont la généralisation dépendra de la capacité du ministère à arbitrer rapidement.

Certaines officines anticipent : en 2024, le kit de dépistage du cancer colorectal a généré 8,60 M€ de chiffre d’affaires, contre 500 000 € en 2023. « C’est la mission qui a connu la plus forte croissance », salue Pierre-Olivier Variot. De quoi espérer un changement d’échelle, à condition de lever les freins structurels.