3/5 – Analyse d’ordonnance : surclassement de la prophylaxie antiémétique chez une patiente sous chimiothérapie

© Getty Images

3/5 – Analyse d’ordonnance : surclassement de la prophylaxie antiémétique chez une patiente sous chimiothérapie

Publié le 9 janvier 2025
Par Delphine Guilloux
Mettre en favori
La mise en place d'une prophylaxie antiémétique s'apprécie en fonction de la chimiothérapie et des facteurs de risques individuels. Les traitements de Mme Géraldine K. s'adaptent à la progression de sa maladie.

Un cancer du côlon a été diagnostiqué, il y a 7 mois, à Géraldine K., 44 ans. Après un premier traitement de chimiothérapie, le cancérologue change son protocole à la suite d’une progression tumorale. Il décide d’instaurer le protocole Folfiri (5-FU et acide folinique associés à de l’irinotécan) en perfusion intraveineuse tous les 15 jours, administrée en hôpital de jour, et lui prescrit une prophylaxie antiémétique. Le lendemain de sa consultation oncologique, Mme K. présente trois ordonnances à la pharmacie.

Quel est le contexte des ordonnances ?

Que savez-vous de la patiente ?

L’annonce de son cancer a été d’autant plus anxiogène pour Mme K. qu’elle a deux enfants de 15 et 12 ans, auxquels elle consacre beaucoup de temps, à la fois pour leur scolarité et leurs loisirs. Depuis, elle vient très souvent à la pharmacie chercher du réconfort. Elle a bénéficié d’un premier traitement par 5-FU associé au bévacizumab, un anti-VEGF, au cours duquel Mme K. avait souffert de nausées et vomissements, malgré un traitement préventif. Elle appréhende vraiment cette nouvelle chimiothérapie.

Mme K. est, par ailleurs, sous contraception hormonale œstroprogestative (Leeloo) prescrite par son gynécologue. Cette contraception est particulièrement importante car le 5-FU est fœtotoxique.

Que lui a dit l’oncologue ?

Pour rassurer Mme K., l’oncologue lui a expliqué que la nouvelle chimiothérapie n’entraîne pas systématiquement de nausées et vomissements. En outre, un protocole antiémétique est d’autant plus efficace qu’il est pris correctement, dès la première cure. Celui-ci est plus intense que le précédent et comprend en plus un neuroleptique pourvu d’une efficacité antiémétique prouvée.

Les prescriptions sont-elles cohérentes ?

Sont-elles recevables ?

Oui. L’aprépitant et l’ondansétron sont des médicaments remboursés selon la procédure des médicaments d’exception. Ils ont bien été prescrits sur des ordonnances adaptées.

Que comportent-elles ?

L’aprépitant est un antagoniste sélectif des récepteurs NK1 de la substance P. Il est indiqué dans les nausées et vomissements induits par les traitements anticancéreux (NVITAC) aigus et retardés. La boîte contient 1 gélule dosée à 125 mg et 2 gélules dosées à 80 mg.

L’ondansétron est un antagoniste des récepteurs 5-HT3 à la sérotonine. Les sétrons agissent principalement sur les NVITAC aigus.

La prednisolone est un corticoïde utilisé dans les protocoles antiémétiques des NVITAC aigus et retardés.

L’olanzapine est un neuroleptique antipsychotique de deuxième génération qui inhibe notamment les récepteurs D2 et 5HT3, utilisé, hors autorisation de mise sur le marché, dans les NVITAC aigus et retardés.

Sont-elles conformes à la stratégie thérapeutique de référence ?

Oui, la prescription est conforme aux dernières recommandations Esmo-Mascc (Société européenne d’oncologie médicale – Association multinationale des soins de support du cancer) de 2023. Considérant la molécule la plus émétisante de son nouveau protocole, l’irinotécan, la chimiothérapie de Mme K. est moyennement émétisante. Cependant, les sociétés savantes préconisent de « surclasser » le potentiel émétisant en présence de facteurs de risque individuels. Mme K., du fait de son âge (moins de 55 ans), de son sexe et de son tempérament anxieux, est concernée par ce « surclassement » et sa chimiothérapie peut donc être considérée comme hautement émétisante.

Y a-t-il des interactions médicamenteuses ?

Inducteur/inhibiteur du cytochrome P450 (CYP) 3A4 et inducteur du CYP 2C9, l’aprépitant est impliqué dans de nombreuses interactions. Il peut notamment diminuer l’efficacité des contraceptifs hormonaux. Il faut donc recommander à Mme K. d’utiliser en complément de sa pilule, une autre méthode contraceptive de type mécanique (préservatifs) pendant la totalité de la période sous Emend et les 2 mois qui suivent la dernière prise.

Les posologies sont-elles cohérentes ?

Oui. L’aprépitant inhibe la métabolisation du corticoïde, ce qui nécessite d’en diminuer la dose. Les doses de prednisolone prescrites correspondent bien à celles recommandées. La dose d’olanzapine préconisée par les recommandations Esmo-Mascc est de 10 mg par jour.

Qu’en pensez-vous ?

Le lendemain matin de sa cure de chimiothérapie, Mme K. téléphone à la pharmacie. Elle explique qu’elle a vomi environ 20 minutes après avoir avalé sa gélule d’aprépitant à 80 mg mais que, fort heureusement, elle n’avait pas encore pris ni la prednisolone ni l’olanzapine. Elle demande si elle doit reprendre de l’aprépitant en même temps que les autres médicaments. Que lui répondre ?

A) Mme K. doit reprendre une gélule d’aprépitant.

B) Elle ne doit surtout pas réitérer la prise.

Réponse : B. Mme K. doit reprendre une gélule d’aprépitant car les vomissements sont survenus dans la demi-heure suivant son administration. En revanche, si les vomissements s’étaient produits plus de 30 minutes après la prise d’aprépitant, Mme K. n’aurait pas dû reprendre de gélule. Il fallait choisir la première proposition. Mme K. devra signaler au médecin, lors de sa prochaine cure, qu’il lui manquera une gélule d’aprépitant 80 mg.

Quels conseils de prise donner ?

Comment utiliser les médicaments ?

Le pharmacien incite Mme K. à être particulièrement rigoureuse dans la prise de son traitement et à bien respecter les horaires de prise.

Le protocole de prévention des nausées et vomissements induits par les traitements anticancéreux doit être commencé le matin de sa première cure de chimiothérapie, qui correspond à J1.

Le pharmacien attire l’attention de la patiente sur les différents dosages de gélules d’Emend présents dans la boîte. La gélule rose d’aprépitant à 125 mg sera prise à J1, 1 heure avant le début de la séance, les gélules blanches à 80 mg seront prises à J2 et J3, le matin, avec ou sans nourriture. Le comprimé d’ondansétron est à prendre 2 heures avant la séance de chimiothérapie à J1. Les comprimés de prednisolone seront avalés au moment du petit déjeuner, de J1 à J4. Les comprimés d’olanzapine seront pris le matin (1 heure avant la chimiothérapie le premier jour), avec ou sans nourriture, de J1 à J4.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

Les effets indésirables les plus fréquents sous aprépitant sont les céphalées, l’asthénie, les vertiges, une diminution de l’appétit, le hoquet et la constipation. Des céphalées, des bouffées de chaleur et une constipation peuvent survenir sous ondansétron. Cependant, le protocole cytotoxique de Mme K. peut induire des diarrhées ; si toutefois elle était constipée à cause des antiémétiques, le pharmacien pourra lui recommander de prendre un laxatif doux de type osmotique. Les céphalées pourront être soulagées par du paracétamol.

Pour limiter le risque de désordres hydroélectrolytiques liés à la cortisone, il est conseillé d’adopter un régime pauvre en sodium.

L’olanzapine entraîne parfois une somnolence, qui, en fonction de son importance, peut nécessiter une diminution de la posologie à 5 mg par jour et/ou une administration le soir.

Conseils complémentaires

Le pharmacien rappelle à Mme K. qu’elle doit signaler son traitement aux autres prescripteurs qu’elle consulterait, du fait des nombreuses interactions avec ses traitements. Elle doit éviter toute automédication. Il lui prodigue des conseils hygiénodiététiques qui permettent de limiter les nausées et vomissements (fractionner les repas, manger sans attendre la sensation de faim, éviter les aliments gras et fortement odorants notamment).

Point de vue du Dr Florian Scotté

Oncologue à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), département interdisciplinaire d’organisation des parcours patients.

Quels sont les messages à diffuser pour optimiser la prise en charge des nausées et vomissements chimio-induits ?

Ces dernières années, il y a eu une évolution concernant l’arsenal thérapeutique et les traitements dont on dispose pour lutter contre les nausées et vomissements sont très efficaces. Encore faut-il qu’ils soient correctement utilisés ! En effet, ils sont mal, voire sous-utilisés, car les recommandations des sociétés savantes (Antiemetic Guidelines, Esmo-Mascc, 2023) concernant la prévention des nausées et vomissements induits par les anticancéreux sont méconnues. Il faut même noter qu’environ 11 % des patients traités par cisplatine, molécule pourtant hautement émétisante, n’avaient aucun traitement antiémétique dans une enquête européenne dont la France faisait partie ! Je voudrais donc insister sur l’importance de connaître les recommandations et, évidemment, de les appliquer. Pour optimiser la prise en charge, il faut aussi l’individualiser en évaluant les facteurs de risque propres au patient, rechercher un contexte social, professionnel, douloureux, propice à l’anxiété, évaluer la vulnérabilité du patient, afin de mettre en oeuvre, conjointement au parcours thérapeutique, un parcours de soins adapté qui peut inclure, par exemple, la consultation d’un diététicien et/ou d’un psychologue. Des thérapies complémentaires peuvent également être utiles comme l’acupuncture, les techniques de relaxation, l’hypnothérapie. Concernant le gingembre, il n’y a pas de niveau de preuve de son efficacité, mais pourquoi ne pas le proposer, si le patient le souhaite, dans la confection des repas ? Enfin, le développement de la télésurveillance, désormais remboursée, est un outil intéressant pour suivre de façon continue le patient et évaluer l’impact des nausées et vomissements sur son poids, son état d’hydratation et rechercher une dénutrition.

Les cannabinoïdes peuvent-ils constituer une perspective ?

À ce jour, les cannabinoïdes n’ont pas apporté de preuve formelle pour affirmer leur efficacité dans le cadre d’études cliniques randomisées, on manque de résultats. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas, pour le moment, les inclure dans les recommandations. Mais ils ont très probablement un intérêt. Il reste à préciser le profil de patients à qui ils s’adressent, comme peut-être des patients très anxieux.

Avec l’aimable relecture du Dr Nicolas Jovenin, oncologue médical au centre Icone (Intergroupe de cancérologie et d’oncoradiothérapie du Nord-Est), au sud de Reims (Marne).

Article issu du cahier Formation du n°3504, paru le 9 mars 2024.