1/5 – Pathologie : les nausées et vomissements chimio-induits en 3 questions

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1/5 – Pathologie : les nausées et vomissements chimio-induits en 3 questions

Publié le 9 janvier 2025
Par Pierre-Ollivier Bétolaud
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Plus de 360 000 Français par an sont traités par chimiothérapie anticancéreuse. Les nausées et vomissements sont des effets indésirables fréquents et parmi les plus redoutés. Ils dépendent du traitement et de facteurs liés au patient.

1. De quoi s’agit-il ?

Caractérisée par une sensation d’inconfort général et une envie de vomir, la nausée est souvent accompagnée de symptômes liés à la stimulation du système nerveux autonome : tachycardie, sueurs froides, pâleur, hypersalivation, diarrhée, douleurs abdominales et troubles de la respiration. La plupart du temps, cette sensation disparaît après les vomissements.

Les vomissements sont un processus complexe résultant d’une interconnexion neuronale de plusieurs structures aboutissant à l’activation du centre du vomissement, situé dans le bulbe rachidien, en réponse à des stimulations périphériques (afférences vagales du tube digestif) et centrales. Ce centre reçoit également des informations de la zone chémoréceptrice, ou CTZ pour chemoreceptor trigger zone, située dans l’area postrema, en dehors de la barrière hémato-encéphalique. En résulte des réflexes mécaniques qui se traduisent par une fermeture du pylore (situé entre l’estomac et l’intestin grêle) associée à une contraction violente des muscles abdominaux, de l’estomac et du diaphragme avec ouverture du cardia (situé entre l’estomac et l’œsophage), à l’origine d’un rejet par la bouche d’une partie ou de l’ensemble du contenu de l’estomac.

La temporalité de survenue des nausées et vomissements induits par les traitements anticancéreux (NVITAC) est variable. On distingue les nausées et vomissements :

  • anticipés (incidence de 20 à 60 %), qui font généralement suite à des NVITAC importants au cours du premier cycle de traitement et se déclenchent, par anxiété, avant même l’administration de la chimiothérapie. Ils surviennent typiquement le matin du cycle suivant, jusqu’à l’arrivée dans le service hospitalier ;
  • aigus, qui se déclenchent au cours des 24 premières heures après l’administration de la chimiothérapie (avec un pic entre 5 et 6 heures) ;
  • retardés, qui se manifestent au-delà des 24 premières heures suivant l’administration de la chimiothérapie (avec un pic entre 48 et 72 heures) ;
  • réfractaires, qui surviennent à n’importe quel moment malgré une prophylaxie antiémétique bien menée.

La sévérité des symptômes est évaluée en utilisant la classification NCI-CTCAE.

2. Quels sont les facteurs de risque ?

Le risque de survenue de NVITAC dépend du niveau émétisant du protocole de chimiothérapie et également de facteurs individuels.

Potentiel émétisant du traitement anticancéreux

Quatre niveaux de risque émétique sont définis, différenciant les médicaments hautement émétisants (fréquence de vomissements sans antiémétique supérieure à 90 %), moyennement émétisants (fréquence entre 30 et 90 %), faiblement émétisants (risque de 10 à 30 %) et très faiblement émétisants (inférieur à 10 %).

À titre d’exemple, parmi les molécules moyennement à hautement émétisantes, on trouve, entre autres, les anthracyclines, le cyclophosphamide, l’irinotécan, les dérivés du platine, le méthotrexate à fortes doses, la procarbazine, la vinorelbine orale. Tandis que la capécitabine, le chlorambucil, la cladribine, le 5-fluorouracile, les dérivés de l’if (ou taxanes) et les anticorps monoclonaux sont faiblement à très faiblement émétisants.

En cas de protocole associant plusieurs médicaments anticancéreux, le risque émétisant est déterminé par celui de la molécule la plus fortement émétisante du protocole.

Ce risque est majoré par les fortes doses, l’administration par voie intraveineuse (notamment rapide), la durée du traitement et en cas d’association avec la radiothérapie.

La cytotoxicité des anticancéreux sur les cellules entérochromaffines de l’intestin provoque une libération de sérotonine, de substance P (neurokinine de type 1, ou NK1) et, dans une moindre mesure, de dopamine. La sérotonine, libérée de manière transitoire, est impliquée dans les nausées et vomissements aigus. La substance P est, quant à elle, libérée de façon prolongée (jusqu’à 96 heures) et impliquée dans les nausées et vomissements aigus et retardés. La dopamine ainsi qu’une partie de la sérotonine et de la substance P libérées dans le sang atteignent la CTZ. L’autre partie de la sérotonine et de la substance P excite les fibres afférentes du nerf vague puis agit sur le noyau du tractus solitaire, situé dans le bulbe rachidien. Ce noyau stimule ensuite le centre du vomissement et la CTZ qui elle-même agit indirectement sur le centre du vomissement. Ce dernier peut également être excité par des stimuli centraux (odeurs, émotions, peurs d’anticipation, par exemple). À la suite de ces stimulations périphériques et centrales, le centre du vomissement émet des efférences vers les muscles abdominaux aboutissant à la contraction du diaphragme et à un relâchement du sphincter inférieur de l’œsophage (cardia), provoquant la remontée du contenu de l’estomac et son évacuation par la bouche.

Facteurs individuels

L’apparition de NVITAC est plus élevée chez les patients d’âge inférieur à 55-60 ans et de sexe féminin.

Les antécédents de nausées et vomissements gravidiques ou de mal des transports, les antécédents de nausées et vomissements anticipés ou lors d’un précédent traitement de chimiothérapie, l’anxiété, un temps de sommeil insuffisant la veille de la chimiothérapie (inférieur à 7 heures avant le traitement) ou la fatigue augmentent aussi le risque de survenue de NVITAC.

Inversement, l’incidence des NVITAC semblerait moins importante chez les patients présentant des antécédents d’alcoolisme chronique.

Témoignage de Jocelyne, 55 ans, assistante de direction

« À la suite du diagnostic d’un cancer du sein, j’ai été traitée par chimiothérapie pendant 5 mois afin de réduire la tumeur avant d’être opérée. Les cures avaient lieu toutes les 3 semaines. On m’a prescrit un protocole antiémétique, mais j’ai quand même souffert de nausées et de ballonnements au cours des 2 premiers mois de chimiothérapie, surtout durant les 3 jours qui ont suivi mon retour à la maison. Il était très difficile d’avaler quoi que ce soit, même le chocolat dont je raffole pourtant ! C’était d’autant plus éprouvant que la chimio me fatiguait énormément. Au fur et à mesure, j’ai réussi à trouver des astuces pour me soulager. Dès que les symptômes apparaissaient, je posais une bouillotte chaude sur mon ventre. J’avais aussi remarqué que lorsque j’avais le ventre vide, les nausées étaient encore plus importantes. Du coup, je buvais régulièrement de l’eau chaude avec du jus de citron et je mangeais des morceaux de pain pour me caler l’estomac. J’ai aussi essayé d’inspirer des gouttes d’huiles essentielles de menthe poivrée et de citron déposées sur un mouchoir. Cela apaisait un peu mes nausées. »

3. Quelles sont les complications ?

En l’absence de prise en charge efficace, les NVITAC ont des répercussions psychologiques sur le patient avec un risque de mauvaise adhésion au traitement anticancéreux, notamment lorsqu’ils surviennent au cours de la première cure de chimiothérapie.

Ils peuvent être à l’origine d’une part de complications métaboliques graves comme un amaigrissement, une dénutrition, une déshydratation, des troubles hydroélectrolytiques (notamment une alcalose métabolique avec hypokaliémie susceptible d’aggraver des effets indésirables cardiaques de certains traitements comme les anthracyclines) ou une insuffisance rénale aiguë, mais aussi d’une perforation de l’œsophage. Ces complications nécessitent le plus souvent une prise en charge hospitalière.

Une réduction de la posologie des cytotoxiques, un espacement plus important des cycles voire un arrêt du traitement peut être nécessaire, avec un risque de compromettre l’efficacité de la chimiothérapie.

L’essentiel

  • Les nausées et vomissements induits par les traitements anticancéreux (NVITAC) peuvent être anticipés, aigus, retardés ou réfractaires.
  • La fréquence des NVITAC dépend du potentiel émétisant des anticancéreux et de facteurs individuels.
  • Une prise en charge inefficace des NVITAC peut avoir des conséquences psychologiques et physiologiques sur le patient et risque de compromettre l’efficacité du traitement anticancéreux.

Avec l’aimable relecture du Dr Florian Slimano, pharmacien, maître de conférences des universités praticien hospitalier à Reims (Marne).

Article issu du cahier Formation du n°3504, paru le 9 mars 2024.