3/5 – Analyse d’ordonnance : zona et insuffisance rénale

© Getty Images

Le zona Réservé aux abonnés

3/5 – Analyse d’ordonnance : zona et insuffisance rénale

Publié le 11 mai 2025 | modifié le 12 mai 2025
Par Delphine Guilloux
Mettre en favori
Une patiente insuffisante rénale se présente à la pharmacie avec une ordonnance pour un épisode de zona. Ce cas nécessite une vigilance particulière, notamment sur les traitements antiviraux.

Mme Claudine B., âgée de 68 ans, est suivie depuis des années pour une insuffisance rénale modérée. Elle n’a pas d’autre souci de santé particulier. Elle a consulté son médecin généraliste aujourd’hui après la survenue de vésicules douloureuses sous l’aisselle et, au sortir de la consultation, elle présente à la pharmacie ses ordonnances.

Les ordonnances sont-elles recevables ?

Oui. La codéine doit être prescrite sur une ordonnance sécurisée depuis 1er mars 2025. Au moment de la rédaction de l’ordonnace cela n’était pas encore mis en oeuvre. Le médecin avait toutefois anticipé cette obligation et a d’ores et déjà prescrit la codéine de Mme B. sur une ordonnance sécurisée.

Quel est le contexte des ordonnances ?

Que savez-vous de la patiente ?

Claudine B. présente une insuffisance rénale modérée. Le dernier résultat d’analyse, effectué il y a 2 mois, a révélé une clairance de la créatinine à 53 ml/min, qui a été inscrite dans l’historique informatique de la patiente.

Elle est venue s’installer dans la région il y a quelques années, alors qu’elle et son mari étaient tout juste retraités. Ils voulaient se rapprocher de leur fille et de leurs petits-enfants. Malheureusement, il y a 6 mois, son mari a dû subir des examens suite à une suspicion de cancer de la vessie, qui s’est révélée confirmée.

Depuis l’annonce du cancer de son époux, Mme B. est très anxieuse. Elle l’accompagne pour ses consultations et traitements hospitaliers, et s’occupe par ailleurs beaucoup de ses petits-enfants. Très fatiguée ces derniers temps, elle était venue, il y a quelques jours, à la pharmacie demander des conseils pour retrouver de l’énergie. En attendant une consultation déjà prévue chez son médecin traitant, elle avait pris un complexe polyvitaminique. En revenant ce matin à la pharmacie, elle explique qu’elle a réussi à avancer son rendez-vous en raison de l’apparition de petites vésicules douloureuses, localisées sous l’aisselle droite.

Que lui a dit le médecin ?

Le médecin a diagnostiqué un zona intercostal. Le virus de la varicelle, contractée durant l’enfance, s’est probablement réactivé suite à l’affaiblissement de son système immunitaire lié à la fatigue et au stress de Mme B. Le médecin profite de la consultation pour lui prescrire de la vitamine D, car elle n’avait pas été supplémentée depuis l’année précédente.

Les prescriptions sont-elles cohérentes ?

Que comportent-elles ?

Le valaciclovir est métabolisé en aciclovir, ce dernier étant actif sur les herpès virus dont le virus varicelle-zona (VZV). L’aciclovir agit, après phosphorylation en aciclovir triphosphate, en inhibant l’ADN polymérase viral, interrompant ainsi la synthèse de l’ADN viral.

Le cholécalciférol intervient dans la minéralisation osseuse, via le maintien d’un taux sanguin optimal de calcium et de phosphore, et dans le fonctionnement du système immunitaire, en stimulant notamment l’activité des macrophages.

L’antalgique prescrit associe du paracétamol à activité essentiellement périphérique, et de la codéine, un opiacé faible dont l’effet central est dû à sa conversion en morphine.

Sont-elles conformes à la stratégie thérapeutique de référence ?

Oui, un traitement antiviral, qui doit être débuté dans les 72 heures suivant le début de l’éruption, est recommandé en phase aiguë de zona chez le sujet immunocompétent de plus de 50 ans.

La durée du traitement antalgique respecte les bonnes pratiques de prescription des opiacés faibles, puisqu’il est recommandé une durée maximale de 14 jours pour traiter les douleurs aiguës, afin de limiter le risque de dépendance.

Y a-t-il des contre-indications ?

Non. Mme B. a déjà pris de la codéine pour des douleurs dentaires et n’est pas connue pour être une métaboliseuse ultrarapide liée au cytochrome P450 (CYP) 2D6. La codéine n’est donc pas contre-indiquée chez cette patiente.

Le CYP2D6, fortement soumis à un polymorphisme génétique, est impliqué dans la transformation de la codéine en morphine. La prise de codéine chez les métaboliseurs rapides ou ultrarapides augmente le risque d’effets indésirables morphiniques (confusion, somnolence, respiration superficielle, myosis, nausées, vomissements, constipation et manque d’appétit), voire de dépression respiratoire et circulatoire.

Les posologies sont-elles cohérentes ?

Du fait de l’insuffisance rénale de la patiente et de l’élimination urinaire de l’aciclovir, les posologies doivent être scrupuleusement vérifiées.

Sa clairance de la créatinine étant supérieure à 50 ml/min, la posologie recommandée de valaciclovir est bien de 3 prises quotidiennes de 1 000 mg.

La posologie du paracétamol/codéine est également correcte mais l’intervalle entre 2 prises n’ayant pas été spécifié sur l’ordonnance, il faut préciser à Mme B. qu’elle doit respecter un intervalle de 8 heures (et non 4 à 6 heures) entre 2 prises, du fait de son insuffisance rénale.

Quels conseils de prise donner ?

Modalités de prise

Mme B. peut commencer le traitement antalgique tout de suite et on peut lui conseiller de prendre l’antiviral au prochain repas, puis à chaque repas pour « rythmer » les 3 prises par jour. Le valaciclovir peut cependant être pris indifféremment avec ou sans nourriture.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

Les effets indésirables du valaciclovir les plus fréquents sont les céphalées et les nausées.

Ceux de la codéine sont la sédation, la constipation, les nausées et vomissements. La constipation pourra être limitée par une alimentation enrichie en fibres et une bonne hydratation. Des traitements symptomatiques (antinauséeux ou laxatifs) pourront être proposés si besoin.

Quels signes nécessiteraient d’appeler le médecin ?

Le valaciclovir peut exposer à des effets centraux (confusion, agitation, convulsions, hallucinations) qui doivent amener à une consultation médicale urgente, car susceptibles de mener à un coma. Ces effets sont essentiellement rapportés dans le traitement des encéphalites.

Toutefois, du fait de son insuffisance rénale, Mme B. est davantage exposée aux effets indésirables neurologiques du valaciclovir. Afin de les prévenir, il est particulièrement important d’insister auprès de la patiente sur la nécessité de boire suffisamment, afin de prévenir toute déshydratation qui aggraverait l’insuffisance rénale et majorerait le risque toxique du valaciclovir.

Quels autres conseils donner ?

Indiquer à Mme B. qu’elle ne doit pas prendre d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène, qui, dans un contexte de varicelle ou de zona, exposent au risque de complications graves de lésions cutanées. Lui déconseiller l’application de talc sur les lésions, qui est associée à un risque de surinfections, tout comme l’éosine dont la couleur pourrait masquer une surinfection.

Qu’en pensez-vous ?

Le lendemain, Mme B. appelle la pharmacie à 15 h car elle a oublié de prendre le comprimé de valaciclovir qu’elle devait prendre à l’heure du déjeuner, et demande la conduite à tenir. Que lui répondre ?

  1. Elle peut prendre immédiatement le comprimé qu’elle a oublié.
  2. Il faut qu’elle attende le dîner pour prendre le comprimé oublié qu’elle prendra en même temps que celui du soir.
  3. Elle ne doit pas prendre le comprimé oublié et doit poursuivre son traitement normalement.

Réponse : en cas d’oubli, la monographie du valaciclovir précise que le comprimé omis peut être pris, sauf s’il est presque l’heure de prendre la dose suivante. À 15 h, il reste encore au moins 4 heures avant l’heure de la prochaine prise, au dîner. Mme Claudine B. peut donc sans problème prendre le comprimé oublié. Il fallait donc choisir la première proposition.

Une semaine plus tard

Claudine B. est retournée voir le médecin car elle a quelques boutons qui lui semblaient infectés. Elle revient à la pharmacie avec une ordonnance de pommade de mupirocine 2 % à appliquer sur les lésions 2 à 3 fois par jour pendant 5 jours.

Mme B. s’étonne de l’absence d’antiseptique sur l’ordonnance et demande au pharmacien s’il ne s’agit pas d’un oubli du médecin.

Selon la stratégie de prise en charge d’un zona surinfecté, la prescription est conforme aux recommandations. En effet, en cas de surinfection peu étendue, l’application de mupirocine locale est recommandée. L’association d’antiseptique et d’antibiotique ne présente pas d’intérêt, et expose à un risque d’allergie ou de dermite irritative. Une antibiothérapie générale n’est justifiée qu’en cas d’infection sévère.

Point de vue : Dr Gaëtan Gavazzi, Professeur de gériatrie et infectiologue, CHUG Grenoble alpes (Isère)

Pourquoi le zona est-il particulièrement préoccupant chez un sujet âgé ?

On a souvent, à tort, une image bénigne du zona. Or, ce n’est pas le cas, a fortiori chez le patient âgé, chez qui l’impact de la phase aiguë et celui des complications sont plus importants que chez le patient jeune. En effet, chez la personne âgée, la phase aiguë est associée à un surrisque de décompensation de maladie chronique sous-jacente telle que l’insuffisance cardiaque, de perte d’autonomie fonctionnelle (difficulté à faire ses courses, à s’alimenter, par exemple) et de devenir dépendant de façon potentiellement définitive. Le risque de complications graves, bien que rare, est également plus élevé chez ce patient : le zona est la première cause de méningo-encéphalite chez la personne âgée.

La probabilité de développer des douleurs postzostériennes augmente aussi avec l’âge. Celles-ci concernent 30 % des personnes de plus de 80 ans et persistent au-delà de 1 an dans 10 % des cas à partir de cet âge. Ces douleurs chroniques entraînent une diminution de l’appétit, altèrent le sommeil et ont un impact sur le statut cognitif du patient. Elles nécessitent un traitement chronique faisant appel à des psychotropes, dont les effets indésirables sont plus marqués chez le sujet âgé.

Pourquoi l’âge retenu pour recommander un traitement antiviral est-il de 50 ans et pas un âge plus avancé ?

Certes, la majorité des cas de zona concernent des personnes de plus de 60 ans, néanmoins l’incidence du zona augmente dès 50 ans. À partir de cet âge, l’immunovigilance diminue et la capacité de certains lymphocytes (TCD8) à contrôler le VZV dans les ganglions spinaux est moins efficace. C’est pourquoi, les essais cliniques ont été réalisés à partir de 50 ans. Pour être efficaces, les antiviraux doivent être initiés précocement (dans les 72 heures). Ils permettent de réduire la durée de la phase aiguë.

Les antiviraux n’ont pas d’efficacité démontrée directement sur la prévention des douleurs postzostériennes. Néanmoins, la sévérité de la phase aiguë étant un facteur de survenue de douleurs postzostériennes, on peut considérer qu’en diminuant la sévérité de cette phase, ils pourraient indirectement limiter la survenue de ces douleurs.

Avec l’aimable relecture du Dr Johan Courjon, infectiologue au service maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier universitaire de Nice (Alpes-Maritimes)

Article issu du cahier Formation du n°3550, paru le 22 février 2025