1/6 – Pharmacologie : la coagulation et les anticoagulants oraux

© Getty Images

Les anticoagulants oraux Réservé aux abonnés

1/6 – Pharmacologie : la coagulation et les anticoagulants oraux

Publié le 10 avril 2025 | modifié le 11 avril 2025
Par Maïtena Teknetzian
Mettre en favori
Les anticoagulants oraux agissent à différents niveaux de la cascade de la coagulation empêchant ainsi la formation de caillot. Quelques rappels essentiels de la pharmacologie de ces thérapeutiques pour bien comprendre leurs indications et leur iatrogénie.

Rappels sur la coagulation

La coagulation a pour finalité, après une cascade de réactions enzymatiques, la transformation du fibrinogène soluble en fibrine, molécule insoluble qui renforce le clou plaquettaire en emprisonnant également dans son maillage des globules rouges, formant ainsi le caillot rouge (ou thrombus stable). Les différentes étapes de la coagulation sont catalysées par les facteurs de coagulation, glycoprotéines synthétisées par le foie et sécrétées dans le sang. La synthèse des facteurs II, VII, IX et X est dite vitamine K-dépendante, car elle requiert de la vitamine K activée par la vitamine K réductase, qui rend ces facteurs de coagulation réactifs.

Effets et utilisations des anticoagulants oraux

Les anticoagulants empêchent la formation de fibrine. On distingue deux familles d’anticoagulants administrés par voie orale : les antivitamines K (AVK) et les anticoagulants oraux directs (AOD), anciennement appelés nouveaux anticoagulants oraux (NACO).

Les antivitamine K (AVK)

Il existe trois molécules : l’acénocoumarol (Sintrom, Mini-Sintrom) et la warfarine (Coumadine) qui sont des dérivés coumariniques et la fluindione (Préviscan), dérivée de l’indanedione.

Elles ont en commun leur mode d’action, à savoir une action au niveau du foie et en inhibant de l’étape vitamine K-dépendante d’activation des facteurs de coagulation II, VII, IX et X. Il en résulte, en fonction de la dose, un ralentissement, voire un arrêt de la cascade de coagulation et de la formation de fibrine. N’ayant pas d’effet sur les facteurs de coagulation déjà activés et présents dans le sang, les AVK agissent après un délai d’action de 2 à 3 jours. Leur pleine efficacité s’observe en 5 jours environ. Leur effet persiste plusieurs jours après l’arrêt du traitement, en s’estompant progressivement au fur et à mesure que de nouveaux facteurs sont activés. Du fait de leur délai d’action, les AVK ne sont pas des médicaments d’urgence. Si la situation clinique nécessite une anticoagulation rapide, les AVK sont utilisés en relais des héparines qui ont une action immédiate. Ils sont indiqués dans la prévention des accidents thromboemboliques liés à certains troubles du rythme auriculaire (fibrillation auriculaire notamment et certaines valvulopathies), la prévention des complications thromboemboliques des infarctus du myocarde, le traitement et la prévention des récidives des thromboses veineuses profondes (en particulier dans un contexte de syndrome des antiphospholipides, maladie auto-immune caractérisée par la survenue d’événements thromboemboliques), et de l’embolie pulmonaire. Les AVK sont à éviter autant que possible chez les nourrissons de moins de 1 mois. L’expérience de leur utilisation en pédiatrie est limitée. Celle-ci relève d’un service spécialisé. La fluindione pouvant avoir des effets indésirables immunoallergiques que n’ont pas les dérivés coumariniques, il est actuellement recommandé d’initier un nouveau traitement AVK avec de la warfarine préférentiellement, et non de la fluindione.

Les anticoagulants oraux directs (AOD)

À ce jour, trois AOD sont commercialisés en France : l’apixaban (Eliquis), le rivaroxaban (Xarelto) et le dabigatran (Pradaxa).

Ils inactivent directement dans le sang le facteur de coagulation Xa (apixaban, rivaroxaban) ou IIa (dabigatran) pour empêcher la synthèse de fibrine. Le délai d’action des AOD est court (2 heures environ). Ils peuvent donc être utilisés dans des situations aiguës et ne nécessitent généralement pas d’instaurer une anticoagulation par héparine en attendant leur pleine efficacité. Leur durée d’action (plusieurs heures) est plus courte que celle des AVK (plusieurs jours). Ils sont indiqués dans la prévention des événements thromboemboliques veineux après la pose de prothèse totale de hanche ou de genou, la prévention des accidents thromboemboliques liés à la fibrillation auriculaire non valvulaire, le traitement et la prévention des récidives des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire. Le rivaroxaban (dosé à 2,5 mg) associé à l’aspirine est indiqué dans la prévention des accidents athérothrombotiques liés à une maladie coronarienne (aiguë ou chronique) ou artérielle périphérique. En revanche, les AOD ne sont pas recommandés chez les patients ayant un syndrome des antiphospholipides ni chez les porteurs de prothèses valvulaires cardiaques, car leur rapport bénéfice/risque dans ces indications est moins favorable que celui de la warfarine, qui est à privilégier dans ces cas. Certains dosages et certaines présentations galéniques de rivaroxaban (Xarelto 1 mg/ml) et de dabigatran (Pradaxa en gélules ou en granulés enrobés, disponibles uniquement en commande directe auprès du fabricant) ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) en pédiatrie.

Les différents anticoagulants oraux

Effets indésirables communs : tous les anticoagulants peuvent être responsables de manifestations hémorragiques en cas de surdosage, qui représentent la complication la plus fréquente du traitement. Inversement, en cas de sous-dosage, ils peuvent laisser se former une thrombose, à suspecter devant certains signes, comme une douleur, une induration, un œdème du mollet (évocateurs d’une thrombose veineuse profonde), un essoufflement et une douleur thoracique (évocateurs d’une embolie pulmonaire), de violents maux de tête, des troubles visuels ou de la parole, une déformation de la bouche et une inertie d’un membre (évocateurs d’un accident vasculaire cérébral).

Interactions communes : les anticoagulants oraux sont contre-indiqués avec l’aspirine aux doses anti-inflammatoires. Leur association aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou à l’aspirine aux doses antipyrétiques et antalgiques, est déconseillée (contre-indiquée en cas d’antécédent d’ulcère digestif). L’association aux antiagrégants est à prendre en compte, voire déconseillée en cas d’antécédent d’ulcère digestif. Les associations aux antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou d’action mixte (adrénergiques et sérotoninergiques) ou au tramadol doivent prendre en compte une augmentation du risque de saignements, par perturbation de la sérotonine impliquée dans l’agrégation plaquettaire.

Les chiffres clés de l’iatrogénie des anticoagulants oraux

En France, quelque 2,66 millions de patients sont traités par anticoagulants oraux, dont 83 % par AOD et 17 % par AVK*.

73,2 % des patients traités par anticoagulants ont plus de 60 ans.

Selon l’étude Iatrostat**, les antithrombotiques sont au deuxième rang des médicaments impliqués dans les effets indésirables conduisant à une hospitalisation, derrière les anticancéreux. Parmi les antithrombotiques, les AVK apparaissent davantage impliqués (29,6 % des cas) que les AOD (22,5 % des cas).

Toutes localisations confondues, les accidents hémorragiques (dominés par les hémorragies digestives) représentent les effets indésirables le plus souvent répertoriés devant l’anémie et les autres troubles hématologiques.

* Données Openmedic 2022.

** Étude conduite en 2018 par le Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance et l’Agence nationale du médicament et des produits de santé.

Les AVK

Effets indésirables spécifiques : les AVK peuvent induire des diarrhées et, plus rarement, une alopécie (moins de 1 patient sur 1 000), ainsi que des accidents immunoallergiques à type de toxidermies potentiellement sévères, d’atteintes médullaires ou de néphrite tubulo-interstitielle (notamment avec la fluindione au cours des 6 premiers mois de traitement, raison pour laquelle il n’est plus recommandé depuis 2018 d’initier un traitement avec cette molécule). Les AVK sont tératogènes (risques de malformation des os propres du nez et de ponctuations épiphysaires) et fœtotoxiques (risque de fœtopathie cardiaque et cérébrale).

Contre-indications : les AVK sont déconseillés en cas d’insuffisance hépatique sévère. Ils sont contre-indiqués chez la femme enceinte, à l’exception de rares cas où leur poursuite est indispensable (patientes porteuses de prothèses valvulaires cardiaques, par exemple). Diffusant bien dans le lait maternel, la fluindione est à proscrire chez la femme allaitante.

Interactions spécifiques : du fait de leur important métabolisme hépatique, les concentrations plasmatiques d’AVK et leurs effets sont donc très influencés par les interactions avec les médicaments inducteurs ou inhibiteurs de cytochromes P450 (CYP), d’autant plus qu’ils ont une marge thérapeutique étroite. Ils sont ainsi contre-indiqués avec le millepertuis (risque de thrombose par induction enzymatique) et les antifongiques azolés, dont le miconazole (risque hémorragique par inhibition du métabolisme des AVK et risque théorique de déplacement de liaison à l’albumine). Ils sont également déconseillés avec le fluorouracil (à l’hôpital), la noscapine et le sulfaméthoxazole (augmentation du risque hémorragique).

Surveillance biologique : le suivi repose sur l’international normalized ratio (INR), qui, une fois le traitement stabilisé et l’intervalle cible atteint, doit être contrôlé au moins 1 fois par mois. Dès qu’un autre médicament est débuté, modifié ou supprimé, l’INR doit être contrôlé 3 jours après la modification du traitement.

Antidotes : l’antidote des AVK est la vitamine K. En cas d’hémorragie grave, du CCP (concentré de complexe prothrombinique) est administré en urgence en association à la vitamine K.

L’INR en pratique

À quel moment de la journée ?

Le contrôle de l’international normalized ratio (INR) nécessite un prélèvement sanguin, effectué de préférence le matin (sans être nécessairement à jeun), ce qui permet si besoin, d’adapter sur avis médical, la prise d’AVK du soir au résultat d’INR. Cette mesure peut être réalisée en laboratoire ou via un appareil d’automesure de l’INR (CoaguChek INRange par exemple, dont la prise en charge à 100 %, soumise à une formation préalable du patient à l’automesure, a été étendue depuis juin 2023 à tout patient traité au long cours par AVK et non éligible aux AOD).

Quelle est sa valeur normale ?

La valeur normale d’un sujet sain et non anticoagulé est d’environ 1 (et, dans tous les cas, inférieure à 1,2). Cela correspond à un taux de prothrombine (TP) de 100 %. Lorsqu’un patient est sous traitement AVK, son TP diminue, tandis que son INR augmente.

Quelle cible ?

Un patient sous AVK (ou son proche aidant en cas de troubles cognitifs) doit connaître son intervalle cible. Dans la majeure partie des indications, l’INR doit être entre 2 et 3. Il est plus élevé chez certains porteurs de prothèses valvulaires cardiaques (entre 3 et 4,5).

Comment interpréter les résultats ?

Un INR inférieur à l’intervalle cible, reflète une anticoagulation insuffisante et un risque de thrombose. Si l’INR est supérieur à l’intervalle cible, cela traduit un excès d’anticoagulation et un risque hémorragique. Lorsque l’INR n’est pas dans l’intervalle cible, le patient doit contacter son médecin pour connaître la conduite à tenir. Si le médecin n’est pas joignable et que l’INR est loin de la cible, il faut appeler le service d’accès aux soins (15).

Les AOD

Effets indésirables spécifiques

Les AOD (en particulier le dabigatran) peuvent être responsables de troubles digestifs, de troubles hématologiques (diminution du taux d’hémoglobine, anémie), ainsi que d’atteintes hépatiques et d’une augmentation des transaminases (fréquemment observée avec le rivaroxaban). Le rivaroxaban peut en outre fréquemment provoquer des vertiges (en alerter les conducteurs d’engin ou de véhicule) et des céphalées. Plus rarement, des cas d’éruption cutanée et de prurit, d’angiooedème et d’hypersensibilité ont été rapportés.

Contre-indications

Les AOD sont déconseillés en cas d’insuffisance hépatique et ne doivent pas être utilisés chez la femme enceinte ou allaitante.

Médicament à élimination rénale majoritaire, le dabigatran est contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale terminale ou sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min). Les xabans ne sont pas recommandés chez l’insuffisant rénal terminal (clairance < 15 ml/min) et doivent être utilisés avec prudence et à faible dose chez l’insuffisant rénal sévère.

Interactions spécifiques

Substrats de la P-glycoprotéine (P-gp) et du CYP3A4, les AOD sont impliqués dans certaines interactions pharmacocinétiques. Ils sont tous déconseillés avec les inducteurs enzymatiques (notamment apalutamide, rifampicine, antiépileptiques, millepertuis) du fait d’un risque de diminution de l’effet anticoagulant. Les xabans sont déconseillés avec les inhibiteurs du CYP3A4 (par exemple, les imidazolés, les inhibiteurs de protéases, la clarithromycine) qui augmentent le risque hémorragique.

Le dabigatran est contre-indiqué avec la ciclosporine, la dronédarone, l’association glécaprévir/pibrentasvir, l’itraconazole, le kétoconazole, et déconseillé avec le tacrolimus (risque d’augmentation des concentrations de dabigatran et de saignements). L’association à l’amiodarone ou au vérapamil impose des adaptations de posologie du dabigatran dans certaines indications.

Surveillance biologique

La Haute Autorité de santé (HAS) recommande d’évaluer les fonctions rénale et hépatique, et de doser l’hémoglobine avant l’instauration du traitement puis, au moins annuellement, si la fonction rénale est normale, mais plus fréquemment si elle est diminuée (en divisant par 10 la clairance pour obtenir la périodicité de la surveillance en mois : par exemple, tous les 6 mois si la clairance est à 60 ml/min). La surveillance de la fonction rénale sera également renforcée dans un contexte de forte chaleur ou de déshydratation, pour s’assurer que le patient reste éligible au traitement.

Les tests permettant de mesurer la concentration des AOD (exprimée en nanogramme de la molécule administrée), extrapolant l’activité anticoagulante, sont proposés par les sociétés savantes pour guider la prise en charge. Pour autant, ils relèvent d’une technique rigoureuse et leur interprétation est délicate, ils sont donc surtout utilisés dans certains centres spécialisés par des experts et non en routine.

Antidotes

L’idarucizumab (Praxbind, à l’hôpital) est un agent de réversion spécifique au dabigatran. L’andexanet α (facteur Xa recombinant inactivé), agissant comme leurre à l’apixaban ou au rivaroxaban, a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne, mais n’est à ce jour pas commercialisé en France. En cas d’hémorragie grave, le CCP peut être utilisé. L’utilisation de facteur VII activé recombinant (NovoSeven) ou une forme activée de CCP (Feiba), tous les deux utilisés en milieu hospitalier, peuvent être une autre option.

Conseils aux patients sous anticoagulants oraux

L’observance du traitement est essentielle. S’assurer que les patients disposent d’un carnet* de suivi, remis possiblement par les médecins, pharmaciens ou biologistes et le remplissent correctement.

  • S’assurer que le patient connaît les signes d’hémorragie et les situations à risque de saignements à éviter : conseiller le port de protections pour jardiner ou bricoler, déconseiller la pratique de sports violents (rugby, sports de combat) ou de loisirs à risque de chutes (équitation, ski, parachutisme, moto), enjoindre le patient à prendre contact avec son médecin en cas de blessure ou de chute, a fortiori en cas de choc sur la tête.
  • Inciter le patient à porter sur lui la « carte de surveillance », faisant mention de son traitement, à détacher du carnet de suivi AVK ou incluse dans les boîtes d’AOD, et lui conseiller de bien signaler son traitement à tout professionnel de santé et paramédical (dentistes, infirmiers, pédicures-podologues, etc.).
  • Déconseiller l’automédication (en particulier avec les AINS) et attirer l’attention des patients sur les nombreuses interactions, y compris avec des plantes, tisanes ou des compléments alimentaires. Rappeler que l’antalgique/antipyrétique à privilégier impérativement est le paracétamol.
  • Inciter les femmes en âge de procréer traitées par anticoagulants oraux à faire part d’un désir de grossesse à leur médecin en vue d’une réévaluation du traitement avant la conception.

Ressources

Pour en savoir plus

Pour plus de données sur les traitements anticoagulants pour les professionnels (ressources documentaires, télé-expertise) et pour les personnes sous traitement antithrombotique (pour les patients en Ile-de France sont proposés un télésuivi et de l’éducation thérapeutique), se rapprocher du Centre de référence et d’éducation des antithrombotiques d’Ile-de-France (CREATIF) en consultant :

Avec l’aimable relecture du Pr Ludovic Drouet, hématologue, professeur émérite des universités, référent médical du Centre de référence et d’éducation des antithrombotiques d’Île-de-France (Creatif) et de Claire Bal dit Sollier, directrice du Creatif.

Article issu du cahier Formation du n°3547, paru le 1er février 2025.