1/5 – Physiopathologie : la méningite bactérienne, une urgence vitale

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Les infections à méningocoques Réservé aux abonnés

1/5 – Physiopathologie : la méningite bactérienne, une urgence vitale

Publié le 10 décembre 2024
Par Marianne Maugez
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Si la majorité des infections à méningocoques sont bénignes, elles peuvent être responsables de graves infections invasives. Les signes de méningites bactériennes doivent alerter et imposent une prise en charge rapide.

Les méningocoques

Généralités

Appartenant à la famille des Neisseriaceae, les méningocoques (Neisseria meningitidis) sont des bactéries de forme arrondie (nommée coque) associées par deux (dites diplocoques), aérobies et Gram négatives, enfermées dans une capsule protectrice. Les différences de composition de cette capsule polyosidique permettent de distinguer 12 sérogroupes de méningocoques, de potentiel épidémique et de répartition géographique variables. De réservoir strictement humain, Neisseria meningitidis est une bactérie commensale de la cavité rhinopharyngée. Des porteurs sains l’hébergent sans conséquence sur leur santé et sont ainsi réservoirs de transmission : on estime à près de 10 % le portage du méningocoque dans la population générale, avec un pic à 25 % chez les adolescents et les jeunes adultes, voire 50 % dans certaines collectivités denses telles que les casernes ou les pensionnats.

Pouvoir pathogène

Dans la grande majorité des cas, l’acquisition d’une souche de méningocoque et la colonisation du rhinopharynx sont asymptomatiques. Parfois, elles sont associées à une rhinopharyngite bénigne. Dans de rares cas, les méningocoques peuvent traverser l’épithélium nasopharyngé et atteindre la circulation générale. On parle alors d’infections invasives à méningocoques (IIM), associées à une morbidité et à une mortalité importantes. Elles se manifestent le plus souvent sous forme de méningite (50 à 80 % des cas), qui se caractérise par une inflammation des enveloppes (méninges) entourant le cerveau et la moelle épinière après franchissement par les bactéries de la barrière hématoméningée. Dans 5 à 35 % des cas, elles sont responsables d’une septicémie, appelée aussi méningococcémie aiguë, qui peut coexister avec une méningite. Parmi les complications immédiates, le purpura fulminans, qui associe un purpura (Affection caractérisée par l’apparition sur la peau de taches rouges ou violacées dues à des hémorragies sous-cutanées) d’extension rapide et un choc septique, est particulièrement redoutable. Ces IIM sont des urgences qui engagent le pronostic vital du patient. Moins fréquentes, d’autres formes cliniques sont susceptibles de survenir, comme une arthrite ou une péricardite septique. Parmi les 12 sérogroupes décrits, les souches A, B, C, W (nouvelle appellation du sérotype W135), X et Y sont principalement impliquées dans les IIM. La relative rareté des IIM (taux d’incidence inférieur à 1 pour 100 000 habitants en France) par rapport à la fréquence élevée du portage rhinopharyngé semble liée à l’association de plusieurs facteurs. En plus de facteurs intrinsèques du méningocoque (souche hypervirulente) et des facteurs individuels du malade (déficit immunitaire notamment), la survenue concomitante d’une infection virale responsable de lésions de l’épithélium rhinopharyngé pourrait expliquer le franchissement de la muqueuse par la bactérie et sa dissémination dans l’organisme.

Transmission

Présents dans la gorge et le nez d’une partie de la population, les méningocoques se transmettent par voie aérienne, via les gouttelettes respiratoires et les sécrétions rhinopharyngées, notamment lors d’une toux ou d’éternuements. N. meningitidis est une bactérie fragile qui ne survit pas en milieu extérieur. La transmission, uniquement interhumaine, nécessite donc un contact proche (moins de 1 mètre) et prolongé (au moins 1 heure d’affilée, moins parfois en cas de toux et d’éternuements). En 2016, une étude de cas1 portant sur des adultes de la communauté homosexuelle, entre 2012 et 2014, aux États-Unis, en France et en Allemagne, a mis en évidence un variant de méningocoque de type C hypervirulent capable de croître en milieu anaérobie (comme le gonocoque Neisseria gonorrhoeae). Cette souche, à l’origine de colonisations urétrale et rectale, s’étant adaptée, une transmission sexuelle est donc désormais possible.

Épidémiologie des infections invasives à méningocoque

Prévalence

Au niveau mondial

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les IIM touchent environ 500 000 personnes par an dans le monde avec une prévalence de 1 à 3 cas pour 100 000 habitants dans les pays industrialisés. Le risque de développer une IIM est universel mais accru dans certains pays, notamment au niveau de la « ceinture africaine de la méningite », qui s’étend du Sénégal à l’ouest à l’Éthiopie à l’est. La méningite à méningocoque y est hyperendémique. Actuellement, ce sont les sérogroupes C, W et X qui sont majoritaires : jusqu’à 1 000 cas pour 100 000 habitants en période épidémique, le risque étant particulièrement élevé durant la saison sèche. Le sérogroupe A a pratiquement disparu depuis l’introduction de la vaccination contre ce sérogroupe en Afrique subsaharienne.

En France

La majorité des cas d’IIM survient de manière sporadique sur l’ensemble du territoire, avec une recrudescence hivernale. Des zones localisées d’hyperendémie sont possibles, par exemple 16 cas liés à l’émergence d’un nouveau variant de méningocoque B sont apparus entre 2021 et 2022 dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Avant l’épidémie de Covid-19, on dénombrait en moyenne 500 cas d’IIM par an. Jusqu’en 2018, la plupart d’entre eux étaient dus aux sérogroupes B et C, la vaccination obligatoire contre les méningocoques C ayant drastiquement diminué leur incidence à partir de 2018 (voir infographie). A contrario, l’incidence des sérogroupes Y et W a commencé à augmenter dès 2012. Les confinements et mesures barrières mis en place lors de la crise sanitaire ont eu un effet positif sur les IIM comme sur toutes les infections respiratoires, avec une chute de 75 % des contaminations en 2020 et 2021. Les données de surveillance ont cependant montré une reprise de la circulation des méningocoques en 2023, avec un effet rebond sans précédent expliqué par la remise en circulation des méningocoques dans une population redevenue naïve face à ces bactéries : 560 cas ont été recensés durant l’hiver 2022-2023, soit une augmentation de 72 % des cas par rapport à l’année précédente. Cette recrudescence s’est accompagnée de changements notables dans l’épidémiologie des IIM qui ont motivé les nouvelles recommandations vaccinales (voir encadré).

2023 : des évolutions notables qui motivent de nouvelles recommandations vaccinales

Outre le rebond de notifications des IIM, l’année 2023 a été marquée par des changements épidémiologiques.
Sérogroupes impliqués

Si le nombre de cas déclarés d’IIM de sérogroupe B était équivalent à celui relevé avant la pandémie, les cas d’IIM de sérogroupe W (160 cas) et de sérogroupe Y (130 cas) ont largement augmenté (respectivement + 133 % et + 106 % en comparaison avec la période 2016-2019). « L’émergence de ces deux sérogroupes n’est pas nouvelle puisqu’elle date de 2012, mais elle s’est confirmée après la crise liée au Covid-19. Alors qu’ils représentaient environ 35 % des cas en 2019, ils sont désormais responsables de plus de la moitié des cas », précise Muhamed-Kheir Taha, directeur du Centre national de référence des méningocoques de l’Institut Pasteur.

Tranches d’âge ciblées

Le rebond initial d’IIM, constaté dès 2022, a d’abord touché plus particulièrement les 15-24 ans avant de s’étendre aux autres classes d’âge, notamment les jeunes enfants et personnes de plus de 60 ans. « Cela s’explique par le fait que les jeunes adultes sont les vecteurs principaux de la transmission des méningocoques dans la population », analyse Mohamed-Kheir Taha.

Forte létalité

L’année 2023 a été marquée par une létalité des IIM à sérotype W (19 %) plus élevée que pour les autres sérogroupes (7 % pour les IIM à sérotype B et 8 % pour les IIM à sérotype Y), avec des décès principalement observés chez les adultes.

Suivi national

Le suivi épidémiologique des IIM repose sur la déclaration obligatoire et la caractérisation des souches invasives par le Centre national de référence (CNR) des méningocoques de l’Institut Pasteur de Paris qui répertorie tous les cas de méningites à méningocoques en France depuis 1980.

Populations plus à risque

Le plus souvent, les méningites sont communautaires, contractées dans les conditions de vie habituelle, et tout le monde peut être touché. Certaines populations sont néanmoins plus à risque en raison notamment d’une immaturité ou d’une déficience de leur système immunitaire (enfants de moins de 5 ans, personnes âgées, immunodéprimées, etc.). Les adolescents et jeunes adultes (15-24 ans) sont également concernés du fait d’un portage plus important et des conditions de vie qui favorisent la transmission : collectivités (par exemple pour les étudiants ou les militaires), mode de vie (notamment fréquentation de boîtes de nuit et de soirées, flirts, couchage en dortoir, etc.) et voyages. Plus rarement, l’infection peut être nosocomiale, contractée lors d’un séjour hospitalier, ou survenir dans le cadre du travail.

Caractéristiques de la maladie

Signes cliniques

Méningite

Après une période moyenne d’incubation de 3-4 jours, allant jusqu’à 10 jours au maximum, la méningite à méningocoque se présente sous la forme d’un syndrome infectieux associé à un syndrome méningé : dans sa forme typique, les symptômes sont une forte fièvre, des maux de tête diffus et violents, des vomissements en jet, une raideur de la nuque, une léthargie et une photophobie (sensibilité exacerbée à la lumière). Dans la pratique, les patients présentent rarement tous ces symptômes en même temps, notamment aux âges extrêmes de la vie. La symptomatologie est alors non spécifique : signes généraux (fièvre, syndrome algique, grippal, abattement, etc.), digestifs (vomissements, douleurs abdominales, refus d’alimentation, etc.), somnolence, troubles de la conscience, confusion, par exemple, avec un risque de retard à la prise en charge.

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Méningococcémie

La méningococcémie aiguë est une réponse généralisée à l’infection bactérienne et à ses toxines, accompagnée d’une production excessive de médiateurs inflammatoires responsable d’un dysfonctionnement d’organes potentiellement mortel. Elle peut être isolée ou accompagner la méningite. Les signes cliniques sont peu spécifiques : fièvre, frissons, céphalées, douleurs abdominales, diarrhées, vomissements, arthralgies et myalgies, etc. Sa forme la plus grave est le purpura fulminans : après une phase prodromique de 24 à 48 heures caractérisée par des signes aspécifiques, l’éruption cutanée caractéristique apparaît sous forme de taches violacées ne s’effaçant pas à la vitropression (pression sur la lésion à l’aide d’une lame de verre transparente) et progressant en taille et en nombre en quelques heures. Sur le plan physiologique, le purpura s’explique par l’adhésion en agrégats des méningocoques aux cellules endothéliales avec microlésions vasculaires, extravasation des globules rouges (passage anormal des globules rouges dans les tissus à la suite de la rupture d’un vaisseau sanguin) et thrombose locale. L’apparition de ces tâches est une menace de choc septique et une urgence absolue imposant une prise en charge hospitalière.

Évolution

Sans traitement, les IIM sont quasiment mortelles à 100 %. Même avec une prise en charge adaptée, elles le restent dans environ 10 % des cas et jusqu’à 30 % en cas de purpura fulminans. Les complications précoces, parfois mortelles, sont d’ordre neurologique pour les méningites (par exemple convulsions, œdème cérébral, coma), infectieuses (choc septique) ou circulatoires (insuffisance circulatoire aiguë réfractaire en cas de purpura fulminans). Environ 20 % des patients survivant à une IIM gardent, à long terme, des séquelles plus ou moins invalidantes comme une atteinte neurologique, en particulier une surdité, des troubles cognitifs, des difficultés d’apprentissage ou des troubles anxieux. Si le patient survit à un purpura fulminans, les nécroses des extrémités sont responsables d’amputations d’un ou de plusieurs membres pour un tiers des malades admis en service de réanimation.

Diagnostic

Le diagnostic des IIM est d’abord évoqué à partir d’un examen clinique et permet la mise en place d’un traitement antibiotique probabiliste. La confirmation diagnostique est strictement biologique, par identification du méningocoque dans le liquide cérébrospinal (ponction lombaire), dans le sang (hémocultures) ou au niveau d’une lésion cutanée purpurique (ponction cutanée). Il n’y a pas de recherche par prélèvements rhinopharyngés car cet examen ne permet pas de poser un diagnostic, le portage asymptomatique étant fréquent. Le méningocoque peut être identifié directement après une mise en culture (délicate en raison de la fragilité de la bactérie) ou par recherche de son ADN (plus sensible et plus rapide). La détermination du sérogroupe est alors indispensable pour instaurer la prophylaxie vaccinale des sujets contacts. Un antibiogramme doit être réalisé afin de s’assurer de l’absence de résistance acquise aux antibiotiques utilisés.

Déclaration obligatoire !

Une infection invasive à méningocoque doit faire l’objet d’une déclaration obligatoire à l’agence régionale de santé (ARS). Cette obligation concerne aussi bien les cliniciens que les biologistes selon les critères de notification d’IIM. Le signalement est à transmettre sans délai par téléphone à la plateforme de veille et de gestion sanitaires de l’ARS, avant l’envoi d’une transmission écrite. Il permet à l’ARS d’évaluer les mesures de prophylaxie et d’organiser leur mise en œuvre.

Stratégie thérapeutique

Objectifs

La prise en charge vise le support des fonctions vitales, la guérison de l’infection avec éradication du germe ainsi que la prévention des éventuelles complications et des séquelles. La prophylaxie de l’entourage et les éventuelles recommandations de vaccinations en sont une partie intégrante.

Stratégie

Tout tableau clinique évocateur d’une IIM impose une hospitalisation en urgence pour la réalisation d’une ponction lombaire ou d’une hémoculture. La gravité et le risque d’évolution rapide des IIM justifient la mise en place d’un traitement antibiotique probabiliste, le plus rapidement possible en cas de recueil d’un liquide trouble lors de la ponction lombaire ou même avant (par exemple si la ponction lombaire est contre-indiquée notamment en cas de purpura fulminans ou lors d’une prise en charge hospitalière retardée).

Traitements

Antibiothérapie

Les β-lactamines, qui présentent une bonne diffusion méningée et une excellente activité intrinsèque sur N. meningitidis, constituent le traitement de référence des IIM. En France, un quart des souches isolées au cours d’une IIM présentent cependant une sensibilité diminuée aux pénicillines. Aucune résistance acquise aux céphalosporines de 3e génération n’ayant été décrite, le traitement probabiliste privilégié est ceftriaxone ou céfotaxime. La ceftriaxone est néanmoins préférée en raison de son action démontrée sur le portage rhinopharyngé du méningocoque. En cas d’allergie grave et avérée aux pénicillines, une fluoroquinolone (ciprofloxacine) ou la rifampicine peuvent être utilisées. Les doses recommandées sont 75 mg/kg par jour par voie intraveineuse en 1 ou 2 perfusions pour la ceftriaxone (sans dépasser 4 g par jour chez l’enfant) ou de 200 mg/kg par jour en 4 perfusions ou en continu pour le céfotaxime (sans dépasser 12 g par jour chez l’enfant). La durée du traitement est de 4 à 7 jours selon l’évolution de l’infection. En cas de suspicion clinique de purpura fulminans avant l’admission à l’hôpital, même au domicile du patient, 1 injection de 1 g de ceftriaxone ou de céfotaxime (50 mg/kg chez le nourrisson et l’enfant sans dépasser 1 g) doit être réalisée.

Corticothérapie

En cas de méningite, l’administration intraveineuse de corticoïdes (dexaméthasone) est recommandée en parallèle de la première injection d’antibiotique : ils visent à limiter l’inflammation des méninges et le risque de séquelles neurosensorielles. La dose initiale est de 10 mg chez l’adulte ou 0,15 mg/kg chez l’enfant, toutes les 6 heures pendant 4 jours.

Suivi

Le suivi neurologique est préconisé pendant 12 mois au moins pour détecter les complications, en particulier une hypoacousie, des troubles cognitifs et dépressifs. Une IIM immunise le patient contre le sérogroupe à l’origine de l’infection mais pas contre les autres pour lesquels la vaccination reste primordiale.

1. « Evolutionary events associated with an outbreak of meningococcal disease in men who have sex with men », Taha M. K., Claus H., Lappann M, Veyrier F. J. et coll., PLOS One, 11 mai 2016.

En collaboration avec le Pr Muhamed-Kheir Taha, responsable de l’unité des infections bactériennes invasives et directeur du Centre national de référence des méningocoques de l’Institut Pasteur (Paris).

Article issu du cahier Formation du n°3538, paru le 30 novembre 2024.