1/5 – Généralités : les antibiotiques, bon usage et vigilance

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1/5 – Généralités : les antibiotiques, bon usage et vigilance

Publié le 4 juillet 2025
Par Maïtena Teknetzian
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En cas de cystite et d’angine, la délivrance d’antibiotiques sans ordonnance est désormais possible après la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique positif. Ce qu’il faut savoir pour adopter les bons réflexes au comptoir.

Pour les patients éligibles, délivrer des antibiotiques sans ordonnance à l’issue d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) angine ou cystite positif fait désormais partie des missions des pharmaciens formés. Dans ce cadre, il est nécessaire de :

  • connaître les posologies et durées de traitement des antibiotiques recommandés dans le traitement de l’angine bactérienne ou de la cystite, leurs modalités d’administration, leurs principaux effets indésirables et interactions ;
  • rechercher des antécédents d’allergie et d’éventuelles contre-indications ;
  • déterminer la molécule la plus appropriée en fonction du profil du patient ;
  • accompagner la dispensation de conseils pour limiter et gérer les effets indésirables.

Bon usage des antibiotiques

Notions d’antibiorésistance

Certaines bactéries sont naturellement résistantes à quelques antibiotiques. D’autres, initialement sensibles, le sont devenus : on parle de résistance « acquise », liée à l’apparition de gènes de résistance, s’échangeant entre bactéries et conférant une résistance à un ou plusieurs antibiotiques, ou à une mutation génétique. Il en résulte la production d’enzymes bactériennes qui détruisent l’antibiotique ou une modification de la paroi du micro-organisme empêchant la diffusion de l’antibiotique à l’intérieur de la bactérie. Le développement des antibiotiques et de leur utilisation au milieu du XXe siècle s’est accompagné d’une augmentation des cas d’antibiorésistance. Le risque d’impasse thérapeutique, comprenant le fait de ne plus pouvoir traiter des infections jusqu’ici sensibles aux antibiotiques, est de nos jours considéré comme un problème majeur de santé publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les infections à bactéries résistantes sont d’ores et déjà associées à 5 500 décès annuels en France et 35 000 en Europe.

Les recommandations de prise en charge de l’angine bactérienne et de la cystite sont élaborées en fonction des bactéries impliquées et des spectres d’activité mais il est fondamental de rappeler aux patients que c’est le mésusage des antibiotiques qui favorise l’acquisition de résistance : utilisation trop importante et inappropriée, notamment dans un contexte viral, arrêt trop précoce des traitements…

Observance

La durée du traitement et la posologie recommandées dépendent de l’infection et de la molécule. Pour éviter les rechutes, mais aussi l’émergence de résistances aux antibiotiques, il est important de sensibiliser le patient au respect strict des posologies et à conduire le traitement à terme, y compris s’il se sent mieux et ne voit plus la nécessité de se traiter. Par ailleurs, rappeler au patient de rapporter à la pharmacie les antibiotiques non utilisés à l’issue du traitement limite le risque d’une utilisation inappropriée ultérieure en automédication.

Effets indésirables communs

Mycoses

Les antibiotiques sont susceptibles de déséquilibrer les flores commensales et de provoquer des mycoses, notamment vaginales et buccales, a fortiori dans un contexte d’association aux corticoïdes. Le principal agent fongique impliqué dans la survenue de ces mycoses est Candida albicans. Les patients traités par corticothérapie au long cours, qui a des effets immunodépresseurs, ne sont pas éligibles à la délivrance d’antibiotiques sans prescription médicale, mais la survenue de mycoses reste possible chez les autres.

En pratique

L’apparition de lésions buccales blanchâtres, de fissures à la commissure des lèvres, de douleurs à la langue ou, chez la femme, de démangeaisons vulvaires associées à des leucorrhées au cours ou au décours d’une antibiothérapie doit faire évoquer une candidose justifiant un traitement antifongique approprié.

Diarrhées

Tous les antibiotiques sont susceptibles de provoquer des diarrhées par déséquilibre de la flore intestinale. Le plus souvent bénignes, ces diarrhées peuvent néanmoins très rarement se compliquer d’une prolifération de Clostridium difficile, bacille anaérobie qui sécrète des toxines à l’origine d’une colite pseudo-membraneuse. Celle-ci survient pendant l’antibiothérapie et parfois jusqu’à deux mois après, et se manifeste par des diarrhées verdâtres, éventuellement hémorragiques, avec émission de pseudomembranes, accompagnées de fièvre et d’une altération de l’état général. Elle peut, dans les cas les plus graves, évoluer vers un choc septique et être létale. Les antibiotiques les plus incriminés dans la survenue de colite pseudo-membraneuse sont la clindamycine, l’amoxicilline, les céphalosporines et les fluoroquinolones. Le risque de développer une colite à Clostridium difficile et que celle-ci soit sévère augmente avec l’âge.

En pratique

En cas de survenue de diarrhée chez un patient traité par antibiotiques, ne pas recommander l’usage de ralentisseurs du transit (type lopéramide ou racécadotril), la stase fécale favorisant la sélection de Clostridium difficile. Si les diarrhées sont très abondantes, verdâtres et/ou mucosanglantes, conseiller au patient d’interrompre immédiatement le traitement et de consulter en urgence un médecin dans le but de rechercher une colite à Clostridium difficile (qui repose sur la coloscopie) et mettre en œuvre une prise en charge adaptée : réhydratation et traitement par vancomycine, fidaxomicine ou métronidazole. Noter l’événement sévère dans l’historique informatique du patient et le déclarer à un centre de pharmacovigilance ou sur signalement.social-sante.gouv.fr.

Allergie et manifestations cutanées

Les antibiotiques, en particulier les β-lactamines, sont susceptibles d’induire des réactions allergiques. On distingue :

  • les réactions d’hypersensibilité immédiates, IgE médiées, survenant dans l’heure suivant l’administration. Elles peuvent se manifester par une urticaire ou un angiœdème, un bronchospasme, un œdème laryngé, des troubles digestifs, un malaise, voire un choc anaphylactique potentiellement létal.
  • les réactions d’hypersensibilité retardées, faisant intervenir les lymphocytes T, survenant quelques heures à plusieurs semaines après la prise médicamenteuse. Il peut s’agir de réactions transitoires et bénines comme les exanthèmes maculopapuleux (éruption cutanée érythémateuse diffuse d’apparition brutale) qui sont relativement fréquents, mais aussi de toxidermies sévères et potentiellement létales. Parmi celles-ci, la pustulose exanthématique aiguë généralisée, ou PEAG, la drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress), qui est une éruption cutanée associée à une hyperéosinophilie et à une défaillance multiviscérale, ou encore les syndromes de Lyell ou de Stevens-Johnson (grands décollements cutanés bulleux rapidement extensifs). Les éruptions cutanées induites par les antibiotiques ne relèvent cependant pas toujours d’un mécanisme immuno-allergique. Par ailleurs, le risque d’apparition peut être majoré dans un contexte viral (par exemple, éruption maculopapuleuse survenant sous pénicilline utilisée à tort en cas de mononucléose infectieuse). De fait, 10 % de la population se déclare allergique aux pénicillines, le plus souvent à cause d’une éruption cutanée survenue dans l’enfance. Pourtant, seulement moins de 10 % de ces patients le sont réellement. En outre, le risque d’allergie croisée entre β-lactamines existe mais est beaucoup plus rare qu’on ne l’a longtemps présumé : en cas d’allergie aux pénicillines, le risque d’allergie aux céphalosporines de première génération (cefaclor, cefadroxil, cefalexine) et de deuxième génération (céfuroxime) est de 7 à 10 %, de 3 % avec les céphalosporines de 3e génération (cefixime, cefpodoxime) et de 1 % avec les carbapénèmes. Il est par ailleurs important de rassurer les patients : l’atopie, les allergies alimentaires et les antécédents familiaux d’allergie à un antibiotique ne constituent pas un facteur de risque d’être soi-même allergique aux antibiotiques.

En pratique

  • Avant de délivrer un antibiotique dans le cadre de l’interrogatoire, rechercher les antécédents allergiques pour vérifier que l’antibiotique n’est pas contre-indiqué en posant les bonnes questions. Si le patient se déclare allergique : quels ont été les signes et leur délai de survenue (les troubles digestifs retardés et une mycose ne sont pas des manifestations allergiques) ? A-t-il repris le médicament depuis et a-t-il eu une réaction ? A-t-il bénéficié de tests cutanés pour diagnostiquer cette allergie ? En cas de suspicion d’hypersensibilité non explorée, il ne faut pas délivrer la molécule. Il est à noter que le conseil national professionnel d’allergologie a été saisi par la Direction générale de la santé pour produire, d’ici 2025, une recommandation de bonne pratique sur la conduite à tenir chez des patients suspectés d’allergie aux antibiotiques.
  • En cas de survenue de manifestation cutanée sous antibiotiques, conseiller d’interrompre le traitement et orienter vers une consultation médicale (voire un service d’urgence en cas de signes de gravité : troubles respiratoires, choc anaphylactique, œdème de Quincke en cas de manifestations immédiates ; fièvre, atteintes des muqueuses, décollement épidermique, altération de l’état général, en cas de manifestations retardées). Recommander un avis allergologique (pour réaliser des prick-tests, des patch-tests, des tests intradermiques, etc.) afin d’authentifier l’allergie et préciser les antibiotiques pouvant être utilisés ultérieurement. Noter l’événement dans l’historique informatique du patient. Déclarer les manifestations sévères à un centre de pharmacovigilance ou sur signalement.social-sante.gouv.fr.

Syndromes de Lyell et de Steven-Johnson : de quoi s’agit-il ?

Ce sont des toxidermies bulleuses et érosives rapidement extensives, potentiellement létales, susceptibles de survenir 5 à 28 jours après introduction du médicament responsable. Ils se différencient par l’importance de la surface corporelle atteinte : le syndrome de Stevens-Johnson concerne moins de 10 % de la surface corporelle ; le syndrome de Lyell en concerne plus de 30 % (à titre indicatif : la paume de la main représente 1 % de la surface corporelle).

Profils particuliers

Patients sous AVK

De nombreux cas d’augmentation de l’effet des antivitamines K (AVK) ont été rapportés chez des patients recevant des antibiotiques. En perturbant la flore intestinale productrice de vitamine K, tous les antibiotiques sont effectivement susceptibles de majorer les effets de cette classe médicamenteuse. Il est cependant difficile de savoir si c’est l’infection ou son traitement qui est à l’origine de la perturbation de l’international normalized ratio (INR), le contexte infectieux ou inflammatoire en lui-même étant également sujet à déséquilibrer un traitement anticoagulant. Les antibiotiques particulièrement à risque de perturber l’INR sont ceux impliqués dans des interactions pharmacocinétiques avec les AVK. Ceux qui se lient fortement aux protéines plasmatiques comme le cotrimoxazole sont ainsi susceptibles de déplacer les AVK de leurs liaisons à l’albumine et d’augmenter les formes circulantes libres actives. Les macrolides, les fluoroquinolones et les cyclines inhibent différentes isoenzymes des cytochromes P450, diminuant le métabolisme des AVK et augmentant leurs concentrations plasmatiques. Enfin, certaines céphalosporines interagiraient directement sur l’hémostase en exerçant un effet inhibiteur sur le facteur V et en provoquant une hypoprothrombinémie.

En pratique

Dans le cadre de l’interrogatoire visant à vérifier l’éligibilité du patient à la délivrance d’un antibiotique sans prescription médicale, il est important de rechercher les traitements médicamenteux en cours et de demander au patient traité par AVK la valeur de son dernier INR. Un patient traité par AVK et dont le traitement est équilibré reste éligible, mais l’introduction de l’AVK nécessite des précautions d’emploi. Il convient d’informer en effet les patients du risque de perturbation de leur traitement anticoagulant et d’encourager ceux pratiquant l’auto mesure d’INR à renforcer l’autosurveillance pendant l’antibiothérapie et à son arrêt. Dans tous les cas, il faut leur rappeler les signes évocateurs de saignements à surveiller qui nécessiteraient de prendre contact avec le médecin en vue d’un contrôle de l’INR et d’une éventuelle adaptation des doses de l’anticoagulant En revanche, si le dernier INR n’est pas dans l’intervalle cible, témoignant d’un traitement non équilibré, il apparaît préférable d’orienter le patient vers son médecin, qui pourra prescrire, conjointement à l’antibiothérapie la mieux appropriée, une surveillance biologique d’INR adéquate.

Femme allaitante

La grossesse avérée ou possible, comme d’autres profils particuliers (insuffisant rénal sévère, immunodéprimé ou à risque d’immunosuppression) constituent un critère d’exclusion à la réalisation du Trod à l’officine hors ordonnance conditionnelle : une orientation vers le médecin dans les 24 heures est recommandée. En revanche, l’arrêté fixant les modalités de délivrance des antibiotiques sans ordonnance dans le cadre d’un Trod n’exclut pas la femme qui allaite. Ainsi, la question du passage dans le lait maternel des différents antibiotiques délivrables se pose. D’après les résumés des caractéristiques des produits (RCP) et le Centre de référence sur les agents tératogènes (Crat), l’amoxicilline, la cefpodoxime, le céfuroxime, la clarithromycine, la fosfomycine et le pivmecillinam sont excrétés dans le lait maternel, mais à doses faibles, voire très faibles. Selon le Crat, l’allaitement est donc possible, sauf en cas de traitement par amoxicilline, céfuroxime, cefpodoxime, pivmecillinam si l’enfant est lui-même allergique aux β-lactamines. Selon les RCP, certains effets indésirables restent possibles chez les nourrissons (notamment diarrhée et infection fongique) et l’utilisation de l’amoxicilline et du céfuroxime au cours de l’allaitement nécessite une évaluation du rapport bénéfice/risque par le médecin. En outre, dans le cas de la clarithromycine, impliquée dans un grand nombre d’interactions médicamenteuses et dont 1,7 % de la dose maternelle passe dans le lait, la question des éventuels médicaments pris par l’enfant se pose, par exemple la colchicine indiquée dans le cadre de la fièvre méditerranéenne.

En pratique

Avant de délivrer un antibiotique à une jeune mère, penser à vérifier si elle allaite. Le cas échéant, vérifier les antécédents d’allergie du bébé ainsi que ses éventuels traitements en cours pour orienter le choix de la molécule et/ou déterminer si l’allaitement reste compatible. Dès lors qu’un doute survient, orienter la patiente vers un médecin. En cas de survenue chez l’enfant allaité, d’éruption cutanée, de diarrhées ou de mycoses, interrompre l’allaitement et orienter l’enfant vers une consultation médicale.

En collaboration avec la Dre Stéphanie Wanin, médecin en allergologie pédiatrique à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris).

Article issu du Cahier Formation du n°3554, paru le 22 mars 2025.