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La pharmacogénétique fait bonne figure face à la schizophrénie

Publié le 9 mars 2024
Par Caroline Guignot
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Si aucune molécule n’a récemment révolutionné le traitement de la schizophrénie, l’amélioration de la prise en charge et du suivi des prescriptions permet aujourd’hui de contrôler davantage la maladie et de bénéficier d’une meilleure qualité de vie.

 

Depuis une dizaine d’années, le phénotypage métabolique des patients atteints de schizophrénie est une réalité dans beaucoup de centres hospitaliers universitaires (CHU). Cette approche pharmacogénétique est encore balbutiante sur le reste du territoire, mais son implantation devrait progresser, à l’hôpital puis en ambulatoire. Elle est l’un des vecteurs les plus importants et immédiats pour améliorer globalement la prise en charge des patients schizophrènes en France. En effet, « 60 à 70 % de ces patients ne répondent pas à leur traitement et une partie significative d’entre eux le fait probablement parce qu’ils sont des métaboliseurs rapides », commente Bilal Bendib, du service hospitalo-universitaire de psychiatrie du CHU de Rouen (Seine-Maritime).

 

La démarche est enclenchée face à l’absence de réponse thérapeutique suffisante à un traitement bien conduit et bien observé : un dosage plasmatique du médicament est réalisé et « si la concentration est faible ou infrathérapeutique à une posologie élevée, voire maximale, il y a une forte présomption que le patient ait un phénotype de métaboliseur ultrarapide ». Dans ce cas, une analyse pharmacogénétique est menée à partir d’un prélèvement sanguin. Il permet de phénotyper les différents cytochromes impliqués dans le métabolisme du traitement et d’établir si le patient est un métaboliseur rapide. Si c’est le cas, la posologie peut être augmentée en précisant les raisons de ce choix sur l’ordonnance. Tous les antipsychotiques métabolisés par le foie peuvent bénéficier de cette avancée, ce qui exclut certaines molécules comme l’amisulpride.

 

Une absence d’amélioration clinique à taux plasmatique efficace valide l’idée d’une pharmacorésistance et invite à substituer le traitement par un antipsychotique de deuxième intention telle la clozapine. « Il peut arriver que le patient soit aussi un métaboliseur rapide de la clozapine, complète le psychiatre. Dans ce cas, si l’augmentation posologique ne permet toujours pas d’améliorer les symptômes, on lui associe généralement un inhibiteur du cytochrome (fluvoxamine) en réduisant la posologie de la clozapine de moitié. » Les patients qui échappent aussi à ce traitement sont dits ultrapharmacorésistants : heureusement rares, ils sont éligibles aux approches non pharmacologiques (stimulation magnétique transcrânienne ou électroconvulsivothérapie).

Contrôler les symptômes négatifs

 

L’efficacité des antipsychotiques est schématiquement plus élevée sur la symptomatologie positive de la maladie (délires, hallucinations, etc.) que sur les symptômes négatifs (altération de la motivation, des fonctions exécutives, notamment). Derrière cette dichotomie figure l’hypothèse dopaminergique de la maladie, selon laquelle les premiers seraient liés à une hyperactivité dopaminergique mésolimbique et les seconds à une hypoactivité dopaminergique préfrontale. C’est la raison pour laquelle les antipsychotiques de première génération qui ne ciblent que le système dopaminergique exercent une action forte sur les signes positifs, et entraînent par ailleurs des effets indésirables neurologiques et moteurs (syndrome extrapyramidal, dyskinésies). L’affinité des antipsychotiques de deuxième génération est moins importante pour les récepteurs dopaminergiques et existe aussi avec d’autres récepteurs, notamment sérotoninergiques, ce qui permet d’améliorer partiellement les signes négatifs de la maladie. C’est notamment le cas de la clozapine et de l’amisulpride.

 

Cependant, il existe une attente forte envers de nouveaux traitements. L’hypothèse de la voie glutamatergique, située en amont de l’explication dopaminergique de la maladie, pourrait apporter une réponse. Bilal Bendib détaille : « Le glutamate serait libéré en trop grande quantité dans le cortex préfrontal et deviendrait toxique pour son récepteur NMDA, conduisant à une cascade d’événements à l’origine d’une augmentation ou d’une diminution de la dopamine selon les régions cérébrales .» Le développement de molécules ciblant la voie glutamatergique (sélectifs comme l’événamide, ou non sélectifs comme le lumatépérone également modulateur sérotoninergique et dopaminergique) pourrait donc offrir de nouvelles modalités de traitement pour les patients chez lesquels la symptomatologie est difficile à contrôler.

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Une autre hypothèse, cette fois cholinergique, suggère des anomalies d’activation des récepteurs muscariniques. Des études de phase 3 aux résultats encourageants ont été publiées concernant l’association xanoméline/trospium, qui combine un agoniste muscarinique central à un antagoniste muscarinique périphérique, ce dernier limitant les effets secondaires cholinergiques.

 

Enfin, grâce au meilleur décryptage des mécanismes physiopathologiques de la maladie, d’autres cibles thérapeutiques émergent (récepteurs TAAR1, phosphodiestérase 10A), même si le passage de ces approches en clinique reste très lointain. Elles ouvrent néanmoins un mouvement dans lequel la mise à disposition progressive de nouvelles molécules, avec de nouvelles voies d’action, permettra probablement d’adapter plus précisément le choix du traitement en fonction de la symptomatologie du patient.

 

L’intensification de la prise en charge au cours des premiers épisodes psychotiques est un pilier important pour le contrôle durable de la maladie ; des réseaux d’intervention précoce se constituent actuellement en France en ce sens. Et en complément du traitement médicamenteux, l’offre de soins plus holistiques intégrant l’aspect psychosocial est déterminante pour le meilleur rétablissement des patients. Elle comporte notamment la réhabilitation cognitive et les thérapies cognitivo-comportementales, qui permettent de progresser dans la gestion des difficultés et des symptômes quotidiens entraînés par la maladie, ainsi que l’éducation du patient, également primordiale car la réussite du traitement dépend de l’engagement actif et donc de l’adhésion de celui-ci. L’inobservance et les interruptions de traitement, fréquentes dans cette maladie, augmentent le risque de rechute.

Une meilleure forme

 

Outre l’éducation thérapeutique, la galénique offre aussi des pistes d’amélioration : des formulations injectables de longue durée d’action sont développées pour des administrations mensuelles, trimestrielles et prochainement semestrielles (palipéridone, olanzapine, aripiprazole). Elles permettent d’ajuster la durée d’efficacité à la stabilité clinique et à la nécessité des contrôles cliniques. « Elles sont le plus souvent envisagées chez des patients bien stabilisés, afin que l’espacement du suivi médical ne leur soit pas préjudiciable », reconnaît le psychiatre.

 

Enfin, il faut noter que la qualité de vie est un élément central au moment du choix du traitement. Les effets secondaires des antipsychotiques, qui ont pu être considérés auparavant comme le « prix à payer » pour avoir un bon contrôle des symptômes, sont aujourd’hui pris en considération. Selon les cas, une adaptation posologique, un changement de molécule ou la prescription de médicaments spécifiques peuvent être envisagés. C’est notamment la raison pour laquelle les prescriptions de clozapine sont parfois accompagnées de celle de metformine (contrant la prise de poids) ou de lamotrigine (qui limite le risque épileptique).

 

« Les pharmaciens sont en première ligne pour repérer ces manifestations et alerter, conclut le spécialiste. Ils sont aussi les plus à mêmes d’identifier une mauvaise observance des antipsychotiques. » Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à prendre contact avec le médecin qui réévaluera l’adéquation entre les besoins du patient et le traitement qui lui est prescrit. L’inertie thérapeutique peut constituer dans ce domaine une perte de chance pour le contrôle de la maladie et l’amélioration de la qualité de vie.