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Le fonds de commerce, cet actif comptable qui fait parler de lui

Publié le 3 juin 2023
Par Francois Pouzaud
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Comment s’apprécie le bien-fondé d’une provision pour dépréciation ? Redressement fiscal garanti ou cadeau offert aux contribuables chefs d’entreprise ? Eléments de réponse.

 

Le fonds de commerce pour un titulaire revêt une importance capitale. Il est généralement l’élément le plus prépondérant à l’actif du bilan, il représente, dans certains d’entre eux, plus de 100 % du chiffre d’affaires hors taxe (CA HT). Il comprend la valeur de la clientèle officinale, le droit au bail, un ensemble d’éléments incorporels… « L’usage était de ne pas l’amortir, de ne pas le provisionner, et encore moins de déduire cet amortissement ou cette provision sur le plan fiscal », souligne Nicolas Baldo, du cabinet Infini Expertise.

 

Au fil du temps, au gré des réformes comptables et fiscales, il en a été autrement. « Au début des années 2010, plusieurs experts-comptables ont enregistré des provisions pour dépréciations du fonds officinal, raconte-t-il. Les prix diminuaient et la valeur du fonds de commerce du moment était largement inférieure à celle de la date d’acquisition. »

 

Pour apprécier l’économie fiscale induite par cette opération comptable, prenons un cas concret : un pharmacien achète une pharmacie 2 M€ pour un CA de 1,9 M€ en 2007. En 2010, le titulaire espère, en cas de vente, obtenir un prix de 80 % de son CA qui est de 1,7 M€. La valeur de son fonds est donc de 1,36 M€, d’où une provision de 640 k€ pour dépréciation de fonds de commerce et une économie d’impôt sur les sociétés (IS) potentielle de 213 333 € (IS de l’époque : 33,33 % sans prise en compte du taux réduit à 15 % sur les 38 120 premiers euros de bénéfices).

 

« Toutefois, l’administration fiscale ne l’entendait pas de la sorte, s’appuyant sur des jurisprudences très anciennes, elle n’acceptait ces provisions qu’à la condition que la pharmacie ait perdu un chiffre d’affaires très significatif conjugué à une rentabilité en chute libre, poursuit Nicolas Baldo à propos d’un cas vécu. Plusieurs pharmaciens ont donc vu leur espoir d’optimisation fiscale s’envoler et ont été contraints de régler des intérêts de retards à la suite des redressements fiscaux dont ils avaient fait l’objet. »

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De quoi reprendre espoir

 

Au travers de la loi de finances pour 2022, le législateur a permis aux contribuables d’amortir fiscalement leur fonds de commerce sur 10 ans si ces derniers les ont acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025, cette faculté étant réservée aux petites entreprises. « Le législateur s’est certainement appuyé sur les règles comptables en vigueur depuis 2016 stipulant que le fonds de commerce doit faire l’objet d’un test de dépréciation. Si le test montre que la valeur de cet actif est significativement inférieure à sa valeur actuelle (valeur la plus élevée entre la valeur vénale et la valeur d’usage), il y a lieu de provisionner », commente l’expert-comptable.

 

Quelle injustice, en reprenant notre exemple, pour notre pharmacien de 2010, qui s’est fait notifier un rejet de déductibilité fiscale de sa provision, par rapport au pharmacien de 2022 qui a acheté son officine 2 M€ et qui économisera 500 k€ d’IS sur 10 ans !

 

Injustice quoique… Bonne surprise, une décision du Conseil d’Etat du 22 novembre 2022 donne un coup de pied dans la fourmilière et pourrait changer les paradigmes comptables et fiscaux en la matière. Selon cette haute juridiction, la dépréciation d’un fonds de commerce n’est déductible fiscalement que si elle a été constituée conformément aux règles comptables. « Autrement dit, si la valeur bilantielle est supérieure à la plus grande d’entre elles entre la valeur vénale (valeur de marché) et la valeur d’usage (valeur des avantages économiques futurs attendus) », explique-t-il. Tout n’est peut-être pas perdu pour les pharmaciens qui ont déprécié leur fonds permettant de ramener la valeur de ce dernier à sa valeur actuelle.