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Financiarisation de la santé : les officines aussi ?
Le rôle grandissant d’acteurs économiques privés puissants dans le domaine de la santé préoccupe les professionnels du secteur. Pour l’heure, les pharmacies sont relativement épargnées. Ce qui n’empêche pas des dérives et une inquiétude latente face à certains montages financiers.
Après le secteur de la biologie médicale, les fonds d’investissement s’intéressent désormais aux cabinets de radiologie, dentaires, d’ophtalmologie, etc., car la santé représente un secteur en croissance et, en France, solvabilisé. La menace potentielle n’a pas échappé à l’Assurance maladie qui aborde le sujet dans son rapport « Charges et produits pour 2024 ». Elle propose d’ailleurs de créer un observatoire consacré au phénomène. La financiarisation a-t-elle également essaimé dans le milieu officinal ? « Le capital des pharmacies n’est pas ouvert aux non pharmaciens, rappelle Olivier Delétoille, expert-comptable au cabinet AdequA. Ensuite, il y a l’esprit de la loi et les pratiques. L’esprit de la loi, c’est d’assurer l’indépendance du pharmacien. » Du moins pour l’instant, comme le souligne Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « La financiarisation est une réalité de la profession, même si elle représente moins de 10 % des cas de financement d’acquisition d’officines, soutient Philippe Berthelot, président de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). Cette financiarisation n’est pas directe, elle se fait par l’intermédiaire de certains groupements et assure la promotion de véhicules tels que des boosters d’apports financiers. » Pour Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), la présence de fonds d’investissement dans le capital de certains groupements n’est pas forcément synonyme de financiarisation de la pharmacie d’officine.
Des montages pas toujours éthiques
En fait, ce sont les montages financiers proposés aux pharmaciens souhaitant acquérir une officine qui peuvent poser problème et participer à la financiarisation du secteur. « Nous voyons des montages se faire avec des obligations convertibles depuis plusieurs années. Il existe deux grandes familles de souscripteurs obligataires : la profession via les pharmaciens et les fonds d’investissement financiers », explique Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. « L’obligation est un titre négociable émis par la société pour constater l’existence contre elle d’une créance et, d’autre part, cette créance elle-même, qui va permettre à l’obligataire de s’approprier une fraction de la richesse de la société qui émet ces obligations, détaille Frédéric Saada, avocat du cabinet parisien FLG Avocats. L’obligation peut revêtir une multitude de formes et, bien souvent, elle est soit simple, soit convertible en actions. Dans le premier cas, elle est donc similaire à un prêt, avec une durée d’émission qui, généralement, est subordonnée à la durée du prêt bancaire, et un taux d’intérêt conventionnel dont l’usage dans notre secteur est de le fixer entre 6 et 12 %. Dans le second cas, au-delà de la durée et du taux d’intérêt, l’obligation a la faculté d’être convertie en action si la loi le permet. Si l’obligataire n’est pas pharmacien, elle ne pourra pas être, en l’état actuel de la loi, convertible, et sera alors assortie le plus souvent d’une prime de non-conversion. » Pour Jérôme Capon, « ce qui est essentiel, c’est que le montage soit éthique ». Et de poursuivre : « Face à ces montages, nous décortiquons le contrat obligataire, notamment la présence d’une prime de non-conversion et son coût, et le taux d’intérêt de ces obligations convertibles. S’il y a des risques et/ou des contraintes pour le pharmacien par rapport à son indépendance, nous ne donnons pas suite ».
Bien comprendre les contrats obligataires
D’où la nécessité pour le pharmacien primo-accédant de bien appréhender tous les tenants et aboutissants. « Le pharmacien doit avant tout comprendre les modalités de partage de richesse. Nous constatons que certains montages ne sont pas en faveur du professionnel. La réponse à deux questions déterminantes doit être sans ambiguïté : comment la richesse que je crée avec mon officine est partagée avec l’obligataire et quelles sont les modalités de ma séparation avec celui-ci ? », insiste Frédéric Saada, qui met en avant le fait que son cabinet accompagne le pharmacien.
« Ce qui est ennuyeux, c’est que le jeune pharmacien n’a pas toujours les connaissances nécessaires pour appréhender le schéma dans lequel il s’engage, souligne Jérôme Capon. Par exemple, il ne va pas bien prendre en compte les conséquences d’un taux d’intérêt élevé, d’un montant de prime de non conversion mal quantifié, d’intérêts capitalisés – les intérêts ne sont pas payés, mais sont capitalisés partiellement ou totalement et réglés à la fin du crédit vous ne remboursez pas chaque année mais à la fin et vous payez des intérêts sur les intérêts-. Le pharmacien se retrouve alors face à un « mur de dettes » dont la sortie n’est absolument pas assurée. »
Les primo-accédants ont donc tout intérêt à s’entourer d’experts-comptables et de conseils juridiques avant de s’engager dans un montage. Pour autant, certains estiment que les pharmaciens qui veulent s’installer peuvent ne pas avoir recours à des investisseurs. Philippe Besset estime ainsi que « le réseau officinal n’a pas besoin de financement externe » et prône le système coopératif. Pierre-Olivier Variot est encore plus catégorique : « Utiliser des obligations convertibles, ce n’est pas normal ». « La financiarisation n’est pas un sujet nouveau pour la pharmacie, nuance cependant Olivier Delétoille. Depuis 1990, j’ai vu passer des fonds de pension. Mon analyse est qu’ils se sont brûlés les ailes car gagner de l’argent dans le secteur de la pharmacie, ce n’est pas pareil qu’avec les laboratoires de biologie. » Pour autant, le sujet a incité l’USPO à constituer un groupe de travail avec la FSPF, l’Ordre, la CAVP et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf). « Nous voulons brosser un état des lieux et renforcer les règles, explique Pierre-Olivier Variot. L’Assurance maladie souhaite mettre en place un observatoire pour vérifier l’origine et les mouvements des fonds durant la vie de l’entreprise. Nous, nous voulons faire ce contrôle dès la constitution de l’entreprise. »
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