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La pharmacie tente de rattraper son handicap

Publié le 1 novembre 2023
Par Yves Rivoal
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À la différence de la diversité, qui se mesure à travers des critères objectifs comme le genre, l’âge, l’obédience religieuse ou l’orientation sexuelle, l’inclusion est un état d’esprit qui doit conduire l’employeur à assurer à ses équipes un cadre de travail respectueux malgré les différences. Sur ce sujet, les groupements et leurs officines n’ont pas encore mis en place de démarches structurées. Mais l’heure est à la prise de conscience et aux premières initiatives…

Si de plus en plus de groupements accompagnent leurs adhérents sur le champ de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) [voir notre enquête RSE : les groupements passent à l’action, page 16], la promotion de l’inclusion dans les officines, c’est-à-dire des actions menées pour prévenir les situations de discrimination liées au handicap, à l’âge, à l’origine sociale ou culturelle, au genre, à l’orientation sexuelle ou encore à l’apparence physique, ne fait pour l’instant pas l’objet de démarches structurées. Les quelques initiatives que nous avons pu identifier sont le fruit de pharmaciens le plus souvent sensibilisés à la question du handicap pour des raisons personnelles. C’est le cas, par exemple, d’Aurélie Rohfritsch, titulaire Giropharm de la Pharmacie de la Collégiale à Thann, dans le Haut-Rhin. Dans sa famille, une personne est atteinte de surdité profonde. Pour pouvoir communiquer avec elle, Aurélie Rohfritsch a appris la langue des signes. « Lorsque j’ai repris la pharmacie il y a quatre ans, j’ai organisé une réunion avec l’équipe pour leur dévoiler mon contexte personnel et leur indiquer que si elle repérait au comptoir une personne qui ne comprenait pas bien ce qu’on lui disait, ou qui communiquait en langue des signes, elle devait l’orienter vers moi. » Résultat, elle suit aujourd’hui trois patients sourds et malentendants, et son officine est identifiée comme un lieu où ce handicap est reconnu et pris en charge.

Maximiser le recrutement.

L’engagement des groupements en matière d’écoresponsabilité incite certains d’entre eux à investir le champ de l’inclusion, mais au niveau de la tête de réseau. Chez Giphar, c’est l’audit réalisé dans le cadre de la démarche RSE qui a révélé que la coopérative était plutôt bonne élève en la matière. « Nous nous sommes aperçus que sur l’insertion des travailleurs handicapés, nous faisions mieux que la moyenne. Et que nous pratiquions donc l’inclusion un peu comme M. Jourdain : “sans le savoir” », dévoile Pauline Guez-Viguier, directrice marketing. Cette prise de conscience a conduit la coopérative à intégrer l’inclusion dans le plan d’action RH mis en place pour préparer l’ouverture, en janvier dernier, du nouvel entrepôt logistique à Dijon. « Pour recruter les soixante collaborateurs qui y travaillent, nous avons choisi de pratiquer l’inclusion afin de maximiser nos possibilités de recrutement, confirme Sébastien Guerel, responsable des ressources humaines (RRH) de Giphar. À Dijon, le taux de chômage n’est que de 5 %. Il a donc fallu effectuer un gros travail de diversification du sourcing afin de trouver les bons profils. » Le groupement a confié à Pôle emploi la recherche de candidats en lui demandant de solliciter des acteurs locaux spécialisés dans l’inclusion comme la Mission locale ou l’établissement ID’EES 21 du groupe ID’EES, spécialiste de l’insertion par l’activité économique (IAE). « Et cela a fonctionné, puisqu’aujourd’hui, sur la soixantaine de collaborateurs, nous avons des personnes non diplômées ou qui n’avaient plus travaillé depuis longtemps, se félicite Sébastien Guerel. Plusieurs salariés ont aussi le statut de travailleur handicapé. »

Les Jeux paralympiques, un moteur de l’inclusion.

La plupart des initiatives des groupements concernent le handicap. Giropharm a ainsi choisi Pauline Déroulède, la numéro un française de tennis fauteuil, comme marraine de son opération « Sportez-vous bien ». Celle-ci consistera à proposer en 2024 des rendez-vous sport-santé aux patients et à inciter les 450 000 clients porteurs de la carte Giropharm à marcher plus de 6 000 pas par jour dans le cadre d’un challenge organisé avec l’application Kiplin. Désigner Pauline Déroulède comme ambassadrice pour promouvoir l’activité physique et la prévention ne doit rien au hasard. « En soutenant Pauline dans son ambition de décrocher une médaille aux Jeux paralympiques, nous souhaitions aussi mettre l’accent sur l’inclusion des personnes handicapées, explique Stéphanie Corre le Bail, directrice santé, qualité et formation. Les qualités développées par cette championne, à savoir le courage, la force et la persévérance font écho aux valeurs d’engagement, d’excellence, d’enthousiasme et de solidarité des pharmaciens Giropharm. » Objectif Pharma a, lui aussi, fait le choix de traiter l’inclusion du handicap par le sport avec la Team Welcoop. « La coopérative à laquelle nous appartenons a décidé de sponsoriser trois athlètes qui préparent les Jeux paralympiques de Paris 2024 : Anaëlle Roulet en natation, Dimitri Jozwicki en athlétisme et Alexandre Lloveras en cyclisme, explique Florian Gérard, directeur marketing et communication. Dans le cadre de cette opération, elle a organisé des sessions d’entraînement en région pour que nos adhérents et leurs équipes puissent rencontrer ces champions et échanger avec eux. » En 2024, les officines Objectif Pharma seront étroitement associées à la démarche. « Nous avons prévu de leur envoyer dès le mois de janvier une newsletter pour leur présenter la Team Welcoop et le plan de communication qui montera crescendo jusqu’aux Jeux paralympiques, avec, en point d’orgue, dans toutes les pharmacies du réseau, en juillet, août et début septembre, une théâtralisation aux couleurs des JO. Un e-mailing sera également adressé aux 275 000 membres du club Wellpharma pour les inviter à participer à des rendez-vous où ils pourront échanger avec les athlètes en visioconférence », annonce Florian Gérard.

Le référent handicap, un atout de taille.

Pour Marc Bernardin, président d’Accordia, un cabinet de conseil et de formation spécialisé sur les sujets de diversité et d’inclusion, l’absence de démarches structurées autour de l’inclusion au sein des groupements et des officines n’est pas une surprise. « Une démarche inclusive démarre par une phase d’audit qui permet fréquemment de découvrir des choses un peu cachées ou taboues, y compris dans les petites structures où l’on pense qu’il n’y a, a priori, pas de problème, dévoile le consultant. C’est ce qui empêche souvent les entreprises de se lancer car elles ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore. » Mais pour Marc Bernardin, il s’agit d’une erreur. « Lorsque vous désignez au sein d’une entreprise un référent handicap au service de la diversité et de l’inclusion, vous montrez à vos collaborateurs que vous vous souciez de leur bien-être au travail. Il est également prouvé que dans les entreprises inclusives, les équipes collaborent mieux et sont plus efficaces. Elles sont aussi moins soumises à l’absentéisme et au turnover, et ont moins de mal que les autres à attirer des candidats, les jeunes générations étant de plus en plus sensibles à tout ce qui concerne la diversité et l’inclusion. »

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Objectif : garantir à tous la même qualité de prise en charge.

Sébastien Guerel est sur la même longueur d’onde. « Les personnes éloignées de l’emploi que nous embauchons sont en général super investies car elles sont reconnaissantes à l’entreprise de leur avoir tendu la main, observe le responsable des ressources humaines de Giphar. Par exemple, à Dijon, nous avons recruté une femme de 55 ans qui a signé chez nous son premier contrat à durée indéterminée (CDI). Dans son cas, comme dans beaucoup d’autres, inclusion rime avec efficacité, contrairement à certaines idées reçues. » Giphar entend d’ailleurs poursuivre et renforcer ses démarches en matière d’inclusion dans le cadre de ses plans d’action RH.

Leadersanté aimerait, lui, établir des dispositifs de communication en braille pour les malvoyants lors des campagnes de santé publique. « Nous envisageons également de mieux prendre en compte la diversité ethnique au sein de notre clientèle avec un affichage en langues étrangères dans les pharmacies de quartier fréquentées par une clientèle d’origine chinoise ou arabe… », confie Alexis Berreby, son confondateur. Giropharm entend lui aussi accélérer sur le sujet. Le groupement a notamment prévu de travailler avec Aurélie Rohfritsch sur la mise en place d’un module de formation afin de sensibiliser les équipes officinales à la surdité. « Les participants pourraient apprendre à identifier une personne malentendante au comptoir, explique la pharmacienne. Ils découvriraient les applications de retranscription vocale pour échanger avec les personnes malentendantes et s’entraîneraient à prononcer une cinquantaine de mots de base en langue des signes pour demander au patient sa carte vitale et lui délivrer le conseil au comptoir. »

De son côté, Objectif Pharma a décidé de placer l’inclusion du handicap parmi les dix thèmes de travail qui seront abordés en 2024 dans le cadre de sa démarche RSE. « En appui de l’opération Team Welcoop, nous allons notamment accélérer sur l’accueil et la prise en charge des personnes en situation de handicap dans nos officines Wellpharma, annonce Florian Gérard. Nous avons noué un partenariat avec Okeenea pour pouvoir installer dans nos pharmacies des balises sonores qui expliqueront aux déficients visuels qu’ils sont devant une pharmacie et qui les orienteront à l’intérieur du point de vente. Nous allons également travailler sur un second partenariat avec Sonup pour que nos officines puissent proposer des dépistages auditifs. » Titulaire de la Pharmacie de la Salle à Nancy, Christophe Didier a promis à son groupement qu’il allait installer la balise sonore Okeenea après avoir échangé avec les trois athlètes de la Team Welcoop. « La prochaine étape sera de trouver une solution pour mieux communiquer avec les personnes souffrant d’une déficience visuelle ou auditive. Si nous ne voulons pas faire de différence au comptoir avec ces patients, il faut que nous améliorions la qualité de leur prise en charge », conclut le pharmacien.

Faire évoluer le regard sur le handicap

Objectif Pharma participera le 23 novembre prochain à l’opération DuoDay. « Tout au long de la journée, nous accueillerons une personne en situation de handicap au sein du service marketing afin de lui présenter nos métiers et d’échanger avec elle sur son quotidien et ses aspirations professionnelles, explique Florian Gérard, directeur marketing et communication. L’objectif est de faire évoluer le regard de l’équipe sur le handicap et de montrer qu’une personne handicapée pourrait parfaitement travailler dans un service comme le nôtre. »

Expo photo chez Giphar

Giphar participe régulièrement à la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. « Il y a deux ans, nous avons organisé une campagne de communication auprès des salariés de la coopérative pour les sensibiliser à la réalité du handicap et leur montrer quelques exemples d’adaptation de poste au sein de nos équipes, souligne Sébastien Guerel, le responsable des ressources humaines (RRH) de la coopérative. Cette année, nous allons leur proposer, du 20 au 26 novembre, une exposition du photographe Christian Rocher. Après être devenu paraplégique à la suite d’un accident de la route, cet artiste réalise des portraits en noir et blanc de personnes handicapées où la première chose que l’on voit, c’est la beauté et non le handicap. Du coup, cela permet de casser un certain nombre de préjugés et de faire évoluer la perception que l’on porte sur le handicap. »