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Europe : l’e-commerce dans tous ses Etats

Publié le 29 janvier 2022
Par Yves Rivoal
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Le gouvernement français a notifié à la Commission européenne et aux autres Etats membres les règles spécifiques du Code de la santé publique en matière de vente en ligne de médicaments. Pour autant, si cette procédure marque la fin d’une longue bataille judiciaire, le combat pour protéger le modèle français est loin d’être terminé. Au vu de l’importance du marché et de l’ambition des géants du secteur.

Enfin ! » Comme l’ensemble de la profession, Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), a accueilli avec soulagement et satisfaction, fin novembre dernier, la décision du gouvernement français de notifier à la Commission européenne et aux Etats membres les règles nationales relatives à la vente en ligne de médicaments, mettant ainsi un terme à une concurrence déloyale entre pharmacies européennes et françaises sur le territoire national. Une satisfaction toutefois teintée d’amertume. « Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 1er octobre 2020, sa décision qui nous était en grande partie favorable, nous avons tout de suite alerté le gouvernement sur le fait qu’il devait procéder à cette notification pour que la réglementation française soit opposable aux autres Etats membres, rappelle le président de l’UDGPO, qui mène depuis 2012 la bataille devant les tribunaux contre le site néerlandais Shop Apotheke. Or, malgré toutes nos relances, cela n’avait pas été fait lorsque la cour d’appel de Paris a rendu son jugement le 17 septembre dernier. Résultat, nous avons perdu à cause de l’absence de notification, alors que nous avions gagné sur le fond… » « Ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté le ministère de la Santé, ajoute Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Après mon élection à la présidence en mai dernier, j’ai à plusieurs reprises contacté des conseillers santé du ministre pour m’entendre dire que cette notification relevait de la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Mais au bout du compte, le ministère de la Santé a visiblement fait le forcing et obtenu gain de cause. »

Le contenu de la notification n’ayant toujours pas été dévoilé, des points restent en suspens… « Est-ce que l’Etat français s’est calé sur les questions posées par la cour d’appel à la Cour de justice de l’Union européenne ? Est-il allé en deçà ou au-delà ? Nous n’en savons rien, relève Sébastien Beaugendre, l’avocat associé au cabinet Hubert Bensoussan et associés qui a plaidé la cause de l’UDGPO dans l’affaire Shop Apotheke. Une chose est sûre, c’est que cette notification met un terme à une situation ubuesque de discrimination à rebours, l’Etat français pénalisant les pharmacies hexagonales en leur imposant de respecter des règles qui ne s’imposaient pas à celles ressortissantes d’autres Etats membres. »

Droit de faire de la publicité

Cette notification signe en tout cas l’épilogue d’un combat judiciaire engagé en 2016 par l’UDGPO. Après avoir été condamné pour concurrence déloyale en première instance en 2017 par le tribunal de commerce de Paris, Shop Apotheke avait demandé à la cour d’appel de Paris de saisir la CJUE d’une question préjudicielle. « Dans sa décision, la cour a estimé que, sur trois des quatre points sur lesquels elle était interrogée, la directive commerce électronique du 8 juin 2000 ne s’opposait pas à l’application des règles françaises du Code de la santé publique, rappelle Sébastien Beaugendre. Elle a jugé que la France pouvait effectivement interdire à des pharmaciens installés dans un autre Etat membre de solliciter la clientèle par certains procédés et moyens à des fins publicitaires en dehors de leur officine, ainsi que de pratiquer des offres promotionnelles visant à octroyer un rabais sur le prix global de la commande de médicaments lorsqu’il dépasse un certain montant. Elle a aussi validé l’obligation imposée par le droit français d’insérer un questionnaire de santé en amont du processus de commande. » Mais en l’absence de notification des règles françaises aux pays européens, les pharmacies étrangères pouvaient faire de la publicité en France.

Le seul point sur lequel la cour n’a pas accédé aux demandes de l’UDGPO, c’est sur le référencement payant dans les moteurs de recherche et les comparateurs de prix. « La CJUE s’est en effet opposée à son interdiction, souligne Sébastien Beaugendre. Et sans attendre la décision de la Cour d’appel, le Conseil d’Etat a jugé, le 17 mars dernier, illégale l’interdiction de référencement payant des sites de vente en ligne de médicaments figurant dans l’arrêté du 26 novembre 2016, et a enjoint le ministre de la Santé d’abroger cette disposition. Ce qu’il a fait par arrêté du 14 mai 2021. »

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L’Europe en ordre dispersé

Si la profession s’est réjouie unanimement de cet épilogue qui protège le modèle français, c’est parce que dans certains pays européens, le marché de la vente en ligne de médicaments progresse… « En schématisant, on peut distinguer trois grandes catégories de pays, détaille Hélène Charrondière, la directrice du pôle pharmacie-santé des Echos Etudes. En France, en Espagne et en Belgique, la réglementation interdit la vente en ligne de médicaments à prescription médicale obligatoire (PMO). Sur un périmètre de produits restreint, les ventes demeurent anecdotiques, à moins de 5 %. En Suède, en Norvège, en Autriche ou en Suisse, elles oscillent entre 5 et 10 %, mais sur des périmètres sensiblement différents puisque si l’Autriche interdit la PMO, celle-ci est autorisée en Norvège et en Suisse. Dans le troisième groupe, l’Allemagne et le Royaume-Uni se distinguent, avec des parts de marché oscillant entre 15 et 20 % sur les produits avec et sans autorisation de mise sur le marché. » « On peut d’ailleurs pronostiquer qu’en Allemagne la part de marché des e-pharmacies devrait encore s’accroître avec la généralisation de la e-prescription programmée pour 2022 », ajoute Corinne de Villeneuve, directrice associée sciences de la vie chez BearingPoint, agence de conseils en management et technologies.

Ces différences de maturité se retrouvent mécaniquement du côté des acteurs. Pénalisées par des distorsions de concurrence, les pharmacies en ligne françaises ont toutes les peines du monde à exister face aux géants du secteur (voir page « Repères »). « Le leader européen, Zur Rose, a enregistré un chiffre d’affaires (CA) de 1,5 milliard de francs suisses [environ 1,5 milliard d’euros, NdlR] en 2020, en croissance de 14,4 %, détaille Cyril Tétart, président de l’Association française des pharmacies en ligne (Afpel). Son dauphin, le néerlandais Shop Apotheke, a lui flirté avec le milliard d’euros et a vu son CA progresser de 38 %. En France, Pharma GDD et LaSante.net, les deux e-pharmacies leaders ne dépassent pas les 10 millions d’euros… » Les stratégies déployées par les grands pure players européens sont d’ailleurs évocatrices de leurs ambitions. « Ces dernières années, Zur Rose ne s’est pas contenté de racheter en Allemagne des marques comme DocMorris, Medpex ou Apotal pour y capter un tiers du marché de la vente en ligne de médicaments, constate Corinne de Villeneuve. Le groupe a aussi fait l’acquisition de PromoFarma en Espagne et de DoctiPharma en France afin d’asseoir sa domination dans les autres grands pays européens. Dans le même temps, il a aussi lancé de nouveaux services comme la télémédecine, le télésuivi, l’accompagnement thérapeutique des patients, la livraison de médicaments et autres produits de santé à domicile. » Ces poids lourds savent aussi s’adapter aux contraintes réglementaires nationales. « Shop Apotheke dispose en Allemagne d’un réseau d’une quinzaine de pharmacies physiques installées dans les plus grandes villes du pays, note Cyril Tétart. Les ordonnances arrivent directement sur le site internet pour être dispatchées vers ces officines qui assurent la livraison dans leur zone de chalandise. »

Un concurrent peut en cacher un autre

Pour Laurent Filoche, la profession doit donc rester vigilante. « Avec Shop Apotheke, nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre, relativise-t-il. Dans l’autre combat que nous menons depuis 2012 contre DoctiPharma, DocMorris, qui a racheté cette marketplace française à Lagardère il y a deux ans, a lui aussi posé une question préjudicielle à la CJUE après avoir été débouté en cassation en 2019. Nous devrions donc savoir en 2023 si la France a le droit d’interdire aux pharmaciens de se regrouper en marketplace pour vendre des médicaments en ligne. » Pour le président de l’UDGPO, l’enjeu est une nouvelle fois de taille. « Si l’obligation imposée par la France d’adosser une pharmacie physique à un site de vente en ligne venait à tomber, la porte serait alors ouverte pour Amazon Pharmacy, prévient Laurent Filoche. Et le jour où le géant américain pourra livrer en 2 heures des médicaments sur ordonnance, c’est 30 à 40 % du CA de nos officines qui risque de s’évaporer… J’invite donc les autres représentants de la profession à nous rejoindre dans ce combat, car après une dizaine d’années de bataille judiciaire en solitaire, l’UDGPO est aujourd’hui financièrement fragilisée. Sans ce soutien, il est d’ailleurs probable que nous n’irons pas plaider notre cause auprès de la CJUE. » Le message est passé.

Chiffre clé

En France, les ventes en ligne représenteraient 1 % du marché des médicaments à prescription médicale facultative (PMF).

À RETENIR

– La France a notifié à l’Europe les règles spécifiques du Code de la santé publique en matière de vente en ligne de médicaments : il est désormais interdit à toute société étrangère de faire de la publicité pour des médicaments en France.

– Cependant, la question des marketplaces de vente de médicaments, porte ouverte à Amazon, est encore en suspens et pourrait bien changer la donne.

– Aujourd’hui, la vente en ligne de médicaments est très peu développée en France, contrairement à ses voisins européens, notamment l’Allemagne.