Sevrage tabagique : quelle place pour le vapotage ?
Le Haut Conseil de la santé publique retire la e-cigarette des outils de lutte contre le tabagisme susceptibles d’être conseillés par un professionnel de santé. Au grand dam des spécialistes.
En 2020, la Direction générale de la santé (DGS) et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) saisissent le Haut Conseil de la santé publique afin qu’il actualise ses recommandations de 2016 sur la cigarette électronique. La raison ? Deux « événements majeurs » ont mis « en alerte » :
2 561 cas de pneumopathies sévères en lien avec le vapotage en 2019 aux Etats-Unis (aucun cas répertorié en France), la majorité s’étant procuré du e-liquide contenant du THC auprès de sources informelles et le septième rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’épidémie mondiale de tabagisme, qui affirme que les produits du vapotage ne sont pas sans danger et que leur efficacité dans le sevrage n’est pas clairement démontrée.
« Les connaissances fondées sur les preuves sont insuffisantes pour proposer [la cigarette électronique] comme aide au sevrage tabagique dans la prise en charge des fumeurs par les professionnels de santé », stipule le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), dans son avis publié début 2022(1). Une position bien moins favorable à la « vape » que celle exprimée en 2016, lorsque le HCSP présentait la cigarette électronique comme « un outil d’aide à l’arrêt du tabac » et « un mode de réduction des risques ». Le HCSP considère néanmoins son utilité pour atteindre des publics vulnérables, préférant la cigarette électronique après échec des substituts nicotiniques validés.
Quel est le problème ?
« L’avis du HCSP est complètement déconnecté de la réalité, estime le Dr Frédéric Le Guillou, pneumologue et président de l’association Santé respiratoire France. Ne pas pouvoir conseiller le vapotage pour un professionnel de santé va à l’encontre de la réalité de sa pratique. Il faut pouvoir le faire auprès de ceux qui choisissent cet outil pour s’aider ». David Saint Vincent, psychologue, coordinateur et référent formation « vape » auprès de la Fédération Addiction, estime que s’en priver revient à « se priver d’un discours soignant autour d’un produit intéressant pour travailler sur les usages, la recherche de plaisir et d’autres aspects qui n’existent pas avec le patch, par exemple ». Et de rappeler que « l’approche du sevrage tabagique a évolué vers un travail sur les usages et sur la réduction des risques ».
Pourquoi cette position ?
Le HCSP considère que les données sur le rapport bénéfices/risques de la cigarette électronique sont trop faibles. Déontologiquement, un professionnel de santé ne peut donc pas la conseiller dans un objectif de sevrage tabagique. Une rigueur scientifique qui passe mal auprès de ceux qui espéraient un signal positif pour un produit adopté par la population. « Le HCSP est dans son rôle mais sa position sur le sujet est frileuse, considère David Saint Vincent. Il n’a pas pris en compte l’intérêt du vapotage en termes de réduction des risques graves liés à la consommation de tabac ».
Doit-on parler du vapotage à l’officine ?
Le HCSP se contente d’évoquer en 2022 un « rapport bénéfices/risques de la ‘‘vape’’ qui peut représenter une aide pour certains consommateurs ». Ce qui rend l’avis « contradictoire et alambiqué » pour la Fédération Addiction(2). « L’avis du HCSP aurait été plus utile en conseillant les professionnels face à une question sur la cigarette électronique », souligne David Saint Vincent. « Les officinaux ont un rôle de conseil au même titre que pour d’autres comportements, alimentaires par exemple, même s’il n’y a pas de médicament, ni de prescription, ajoute le Dr Frédéric Le Guillou. Ils sont dans une démarche cognitivo-comportementale vis-à-vis d’une addiction au tabac ».
Que dire au comptoir ?
« L’officinal doit préciser que la cigarette électronique n’est pas un médicament. Qu’elle est vendue dans un but pécuniaire et non sanitaire, et qu’il faut l’utiliser de manière adaptée et individualisée », suggère David Saint Vincent. Souligner qu’un accompagnement par un professionnel du sevrage tabagique est un plus. Rappeler qu’il n’y a pas de recul sur les effets secondaires à long terme mais qu’en l’absence de combustion, la « vape » ne produit pas le monoxyde de carbone ou les goudrons qui en résultent, largement mis en cause dans la mortalité liée au tabac. Et rappeler que l’association patch et « vape » donne les meilleurs résultats.
La « vape » est-elle dangereuse ?
« Le manque d’études prouvant la sécurité de la cigarette électronique sur le long terme » n’empêche pas « un a priori plutôt positif », estime David Saint Vincent. Surtout en comparaison des 7 000 substances chimiques contenues dans la fumée de tabac(3), dont au moins 70 sont cancérigènes, Certains composés des e-liquide sont déjà connus. Le propylène-glycol liquide, peu volatil et légèrement visqueux(4), est utilisé dans l’industrie pharmaceutique et alimentaire, les cosmétiques, ainsi que pour les machines à fumée des discothèques. Le glycérol, ou glycérine, végétal et naturel, est aussi largement employé dans les médicaments et les cosmétiques.
1) Avis relatif aux bénéfices/risques de la cigarette électronique, HCSP, 26 novembre 2021.
2) Vapotage : les experts du Haut Conseil de la santé publique en retard sur les patients et la société, Fédération Addiction, 14 janvier 2022.
3) Produits du tabac et du vapotage, Anses.
4) Propylène-glycol, Fiche toxicologique n° 226, Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
Thierry Pennable pour Porphyre
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