Les applis touchent à tout
Elles étaient 100 000 en 2016, 350 000 en 2020… La progression exponentielle des applications santé semble sans fin, puisque leur nombre est estimé aujourd’hui entre 500 000 et 1 million à travers le monde. Dépister une pathologie, suivre son évolution, la surveiller à distance sont désormais leur terrain de jeu.
Chaos, Far West… Les images associées à la prolifération des applications santé sur les stores Android et iOS illustrent la frénésie d’innovation des acteurs qui aspirent à se positionner sur ce marché. Vincent Trély, président fondateur de l’Association pour la sécurité des systèmes d’information de santé (Apssis), distingue trois grandes catégories de solutions. « D’un côté, vous avez des full applications, comme Doctolib, qui n’impliquent aucun matériel, explique-t-il. De l’autre, des applications associées à des objets connectés, avec des balances ou des montres qui comptent vos pas, calculent votre indice de masse corporelle ou réalisent des électrocardiogrammes. Dans la troisième catégorie figurent des acteurs du biomédical et des start-up qui ont fait le choix d’entrer dans le champ du dispositif médical pour voir leurs solutions de suivi ou de télésurveillance prescrites et remboursées par l’Assurance maladie. »
Dépistage, suivi, télésurveillance
Les applications ont investi tous les champs de la médecine. 100 000 en 2016, 350 000 en 2020 et actuellement entre 500 000 et 1 million à travers le monde. Dans la sphère de la prévention, l’application d’autoévaluation Malo développée par la start-up Kelindi a pour ambition de détecter très en amont les troubles du développement chez l’enfant. « Aujourd’hui, 100 000 familles l’utilisent en répondant régulièrement à des questionnaires pour évaluer les acquisitions sur le plan moteur, cognitif et visuel de leurs enfants. Les études cliniques que nous avons réalisées ont montré que nous arrivions à gagner deux à trois ans dans la détection de l’autisme ou des troubles visuels », assure Fabrice Denis, président de l’Institut national de la e-santé (INeS) et cofondateur de cette start-up qui vient d’être référencée dans le catalogue de services de Mon espace santé. Dans l’univers du dépistage, la web application Dépist&vous, lancée en 2020, sensibilise et accompagne les personnes pour un dépistage précoce du cancer colorectal, du sein, du col de l’utérus et bientôt du mélanome, qui devrait être intégré à l’outil rapidement. « Après avoir rempli un questionnaire médical, le patient découvre son profil de risque, des conseils de prévention personnalisés et est orienté vers un dépistage personnalisé dans 54 % des cas ; plus d’un tiers des personnes déclarent avoir pris rendez-vous via notre plateforme pour le réaliser », explique Charlotte Berthaut, médecin anesthésiste-réanimatrice et fondatrice de Dépist&vous.
Le suivi patient constitue un autre terrain de jeu prisé des applications santé. Avec Gluci-Chek et son outil de calcul des glucides, Roche Diabetes Care France a révolutionné le quotidien des patients diabétiques de type 1. « Cela change tout pour eux car ils n’ont plus à compter les glucides au quotidien, ce qui permet d’alléger considérablement la charge mentale », précise Valérie Armani, directrice de l’innovation et du développement de solutions de santé pour la société. Fort de ce succès – l’application a été téléchargée 615 000 fois et est utilisée par plus de 35 000 patients –, Phil, son petit frère, a été lancé en 2021. Sa mission : aider les diabétiques de type 2 à rééquilibrer leur alimentation en leur proposant des recettes personnalisées, des menus planifiés, des listes de courses…
Conçu par des médecins et des spécialistes du jeu vidéo, l’application OdySight, éditée par Tilak Healthcare, est un dispositif médical déjà prescrit par 500 ophtalmologues dans le cadre du suivi de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), de la myopie forte, de la rétinopathie diabétique et de l’œdème maculaire, ainsi que de l’occlusion veineuse rétinienne. « Sur son smartphone, le patient se voit proposer des tests médicaux validés cliniquement pour évaluer son acuité visuelle et des puzzles en 3D à reconstruire qui ont, eux, pour mission de favoriser l’engagement sur le long terme, dévoile Edouard Gasser, cofondateur et directeur général de cette start-up. Engagement qui permet de rassurer le malade sur l’évolution de sa pathologie et de déclencher plus rapidement une prise en charge, son ophtalmologue étant alerté immédiatement dès qu’un signe inquiétant est repéré par l’application. »
De son côté, Vik, l’agent conversationnel de Wefight, est déjà utilisé par 500 000 patients dans une quinzaine de pathologies chroniques. « Ce chatbot n’a pas vocation à établir des diagnostics ou à prendre des décisions médicales, précise Pierre Nectoux, son cofondateur. Son rôle, c’est de répondre aux questions que les patients lui posent avec de l’information médicale compréhensible et validée par des professionnels de santé. Il est aussi capable de veiller à la bonne observance des traitements en envoyant des rappels. » Mais c’est probablement dans la télésurveillance que les applications santé trouveront un terrain de jeu à la mesure de leurs ambitions. Fabrice Denis, encore lui, s’est distingué en concevant dès 2012 Moovcare, pour détecter les rechutes du cancer du poumon, qui a été la première application de télésurveillance remboursée par l’Assurance maladie en 2020. Depuis, d’autres acteurs se sont engouffrés dans la brèche : Diabeloop, avec son dispositif de boucle fermée pour les diabétiques de type 1, Presage, une solution de télésuivi qui prévient les risques de décompensation et d’hospitalisation lorsque l’état de santé des personnes âgées à domicile s’aggrave…
Plusieurs réglages à effectuer
Le développement des usages permis par ces applications se heurte toutefois à plusieurs limites. La première est d’ordre scientifique. « Grâce à un outil d’évaluation que nous avons conçu en nous fondant sur les critères d’évaluation de la Haute Autorité de santé (HAS) et les recommandations de la Société européenne d’oncologie médicale, nous avons attribué un score à 68 applications dévolues au suivi des cancers, des pathologies cardiaques et des douleurs chroniques. Seulement 21 % avaient fait l’objet d’études randomisées ou prospectives de bon niveau et présentaient un niveau de preuves scientifiques suffisant pour démontrer leur efficacité », confie Fabrice Denis.
L’autre obstacle qui empêche nombre d’acteurs de rentabiliser et de pérenniser leurs activités, c’est le modèle économique. « Beaucoup d’applications fonctionnent sur un mode entièrement gratuit, constate Vincent Trély. Ce choix doit interroger car il signifie souvent que l’usager est le produit. Et que l’objectif recherché est de collecter des données de santé en masse pour d’autres usages ou les revendre… » Trois business models pérennes semblent émerger. « Le premier, c’est le freemium, confie Hélène Decourteix, fondatrice de la société de conseil La Pharmacie digitale. L’utilisateur a un accès gratuit aux fonctionnalités de base, mais doit payer une somme modique ou un abonnement pour accéder aux fonctionnalités premium. Certains éditeurs optent pour une autre option en faisant payer le service à des assureurs ou des mutuelles. Plus rarement, ils décident d’investir le champ du dispositif médical en vue d’obtenir un remboursement par l’Assurance maladie. » « La donne pourrait toutefois changer si le remboursement en phase précoce devait prochainement être autorisé, sur la base d’éléments cliniques suggérant une réelle efficacité, souligne Fabrice Denis. Cela inciterait davantage les éditeurs à emprunter cette voie, en leur fournissant les moyens et le temps de finaliser leurs développements et leurs études. »
Vincent Trély se montre d’ailleurs résolument optimiste pour l’avenir. « A la période de foisonnement que nous connaissons aujourd’hui devrait succéder une phase de consolidation. Les référentiels d’application mis en place par l’Union européenne, puis par la HAS, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Agence du numérique en santé (ANS) pour intégrer le catalogue de services de Mon espace santé, et les limites liées aux modèles économiques devraient générer un effet entonnoir. Seules survivront les applications qui auront réussi à s’installer durablement dans la vie des patients et l’exercice des professionnels de santé », conclut le président de l’Apssis.
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