Téléconsultation : l’État à la manœuvre pour une régulation renforcée

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Téléconsultation : l’État à la manœuvre pour une régulation renforcée

Publié le 13 novembre 2024
Par André-Arnaud Alpha
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Boostée par la pandémie de Covid-19, la téléconsultation balance entre « business model » chahuté et encadrement renforcé des pouvoirs publics. L’officine reste un endroit privilégié pour les prestataires de ce service en plein essor.

« Le secteur traverse un moment crucial. Il y a eu une première défaillance qui sera très certainement suivie de grosses restructurations dans les 18 prochains mois », prévient Stéphanie Hervier, directrice générale de Medaviz/Podalire. La liquidation judiciaire de H4D, prononcée le 26 septembre dernier, sonne ainsi comme un avertissement. Immatriculée en 2008, pionnière de la téléconsultation, H4D avait levé plus de 21 millions d’euros, notamment auprès de BPI France Participation, LBO France Gestion et l’assureur CNP.

Un pionnier au tapis

L’entreprise fournissait des cabines facturées près de 100 000 €, essentiellement aux collectivités locales. Si les acteurs du secteur s’accordent sur la qualité de ces cabines, nombre d’entre eux s’attendaient à sa liquidation arguant d’un « business model » inadapté : « Cette société vendait, en fait, du matériel très cher et comptait sur ses ventes pour couvrir le coût des médecins auxquels elle faisait appel. Son intérêt était donc de limiter les téléconsultations afin de contenir le coût de cette “ressource médicale”. Problème : avec l’accroissement du nombre de téléconsultations, le modèle a fini par exploser. Du fait de ses prix et du peu de disponibilité médicale, autant structurelle que par intérêt, ce modèle s’est révélé peu vertueux et les mairies ont fini par arrêter leur contrat », explique Nathaniel Bern, directeur général de Synapse/Medadom, société de téléconsultation intervenant principalement en officine et leader sur ce secteur. Avec cette liquidation, les premiers temps de la téléconsultation, caractérisés par l’effervescence de l’offre, semblent se clore.

L’offre se normalise

« Des premières installations à 2020, la réglementation était assez permissive, laissant la place à de nombreux dispositifs de divers acteurs, bornes, cabines, mallettes ou encore applis mobiles. Avec le Covid-19, la téléconsultation a connu une accélération entraînant des abus qui ont conduit Bercy, le ministère de la Santé et l’Assurance maladie à reprendre la main », rappelle-t-il. Résultat : l’article L4081-1 du Code de la santé publique (créé par la loi 2022-1616 de financement de la Sécurité sociale pour 2023) impose un agrément aux sociétés du secteur pour la prise en charge, par l’Assurance maladie, de leurs téléconsultations. Délivré depuis mars 2024 par le ministère de la Santé, cet agrément est à renouveler tous les deux ans. Pour l’obtenir, les sociétés doivent avoir une forme commerciale (non contrôlée par un fournisseur de médicaments et matériel médical), comprendre, en cas de pluralités de médecins, un comité médical composé de représentants d’usagers, et transmettre, chaque année, au Conseil national de l’Ordre des médecins et aux ministères, leur programme d’action et leur rapport d’activité.

Votre dispositif est-il agréé ?

Ces entreprises doivent également produire un certificat délivré par l’Agence du numérique en santé (ANS) attestant de la mise en conformité de leurs outils et services numériques avec son référentiel d’interopérabilité, de sécurité et d’éthique. Cette procédure s’échelonne sur plusieurs jalons. Le premier fixe des exigences concernant, entre autres, le règlement général sur la protection des données, l’identité nationale de santé, Pro Santé Connect et l’annuaire de santé à satisfaire avant le 30 septembre 2024 et permet d’obtenir un agrément valable jusqu’à fin 2024. Le second, qui, lui, donne droit à un agrément d’une durée de deux ans, porte notamment sur des exigences concernant l’éthique, le dossier médical partagé, la messagerie de santé, la structuration de documents, et doit être validé avant fin 2024, sous peine de perdre le certificat provisoire. Les deux sociétés leaders en officine, Medadom (Synapse) et Tessan (Pharma Express), ont obtenu le certificat de conformité du premier jalon le 10 avril 2024. À ces coûts de mise en conformité, s’ajoutent l’interdiction de faire payer au patient d’autres montants que ceux fixés par les tarifs conventionnels et la non prise en charge des majorations nuits, dimanches et jours fériés prévus par la convention signée en juin 2024 entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie.

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Jusqu’à 70 % d’officines équipées ?

Question : entre des consultations qui ne peuvent être plus chères que le tarif des médecins et les salaires que ces sociétés leur versent, comment peuvent-elles trouver une rentabilité ? « Nous garantissons aux médecins un salaire horaire, six à sept patients par heure, la prise en charge de leur gestion administrative et en recrutons près de 50 par mois actuellement. Rentables depuis juin 2024, nous finirons l’année avec un EBITDA [bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, ndlr] positif », assure Jordan Cohen, président de Pharma Express, créée en 2015, qui affirme tirer un tiers de son chiffre d’affaires de la fourniture de matériel et deux tiers des téléconsultations. Confiance aussi du côté de Medadom : « Nous avons beaucoup investi pour recruter des équipes et déployer nos dispositifs ces dernières années. Comme prévu dans notre business plan, ces investissements ont créé du déficit mais depuis 2023, nos comptes sont très nettement améliorés et désormais rentables », affirme Nathaniel Bern, dont la société, qui avait gagné il y a trois ans l’appel d’offres de l’Union des groupements d’achats publics, s’est proposée pour assister les collectivités lésées par la liquidation de H4D. « D’ici deux ans, 70 % des officines devraient s’équiper. Nous ne sommes qu’au tout début de ce marché », ajoute Jordan Cohen. Rendez-vous dans deux ans.

3 Questions à…

Frédéric Bitton, titulaire de la pharmacie Maison neuve à Brétigny-sur-Orge (91), qui compte près de 200 consultations par mois sur sa borne Medadom 

En êtes-vous satisfait ?

Elle se prête bien aux cas d’angines, d’infections urinaires, d’otites ou de renouvellements d’ordonnance. Si j’avais la place et si l’offre médicale suivait, j’en ajouterais deux de plus. À une époque, je comptais 500 rendez-vous en les intercalant toutes les 20 minutes, mais le service, victime de son succès, a fini par s’essouffler : des patients attendent parfois plus d’une heure leur visio.

Est-ce rentable ?

Oui. Je paye la borne 200 € par mois mais elle génère commandes et fréquentation. Sans elle, des patients ne seraient pas venus à l’officine. Elle a été boostée par son annonce sur Doctolib (qui a tenté de passer ses prix de 170 à 290 € avant de faire marche arrière).

Des imprévus ?

Lors d’une consultation, j’ai dû injecter un soir, en urgence, de l’adrénaline à un patient faisant une allergie aux cacahouètes. Ou faire intervenir des pompiers dans l’officine pour un patient en plein malaise cardiaque.