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Le numérique, un allié prometteur

Publié le 1 avril 2024
Par André-Arnaud Alpha
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Depuis 2020, le numérique et l’IA boostent les dispositifs de lutte contre la démarque inconnue. Tour d’horizon des solutions applicables en pharmacie.

Alors que leurs surfaces de vente ont augmenté et l’exposition de leurs produits s’est accrue ces quinze dernières années, les pharmaciens ne se sont équipés d’antivols en conséquence qu’assez tardivement », constate Jeremy Benaich, directeur régional d’exploitation de Lease Protect France, fournisseur de solutions de sécurité. Aujourd’hui, contexte inflationniste aidant, la maîtrise de la démarque inconnue redevient un enjeu crucial de gestion. Due pour une bonne moitié aux vols à l’étalage, elle est estimée à 1,5 à 3 % du chiffre d’affaires de l’officine. Contre ce fléau, la plupart des titulaires oscillent entre résignation et impuissance. Et les professionnels de la sécurité n’ont pas trouvé de solution miracle. Ils proposent un mix de moyens qui, s’il ne se suffit pas à lui seul, permet au moins d’appréhender la démarque inconnue de façon plus large.

Les portiques, un incontournable !

Pourtant passés dans les mœurs, y compris en officine, les portiques y sont encore peu déployés. « Nous estimons que près de 15 % des officines en disposent. Mais l’augmentation de leur surface et le nombre croissant de vols en magasins poussent maintenant les titulaires à s’équiper. C’est une solution assez économique, qui démarre chez nous à 4 000 euros pour deux portiques et une table de désactivation, et qui est, de ce fait, vite rentabilisée », avance Emilie Vollard, directrice marketing de Proébo Promoplast, fournisseur de supports de communication pour les pharmacies. Ces systèmes fonctionnent soit par radiofréquence (RF), soit par acousto-magnétique (AM). C’est cette dernière qui est la plus utilisée en officines. Contrairement à la RF, la détection par AM n’est perturbée ni par les métaux ni par les liquides. Or, les produits et leur conditionnement en parapharmacie sont souvent composés de l’un et/ou de l’autre. « L’AM permet aussi plus d’écart entre deux portiques, jusqu’à 2 m 20 contre 1 m 40 en RF », indique Alexis Da Silva, responsable commercial chez AES. Un agencement qui permet de fluidifier les entrées et sorties dans l’officine. Encore faut-il que la détection soit suffisamment puissante… « Par ailleurs, nombre de voleurs, s’inspirant du principe de la cage de Faraday, enfouissent leurs larcins dans des sacs en aluminium pour ne pas être pris. Pour y répondre, nous avons installé une détection de métal anormale en entrée qui lance une alerte plus ou moins discrète, sonore ou lumineuse, sur la tête des portiques », détaille Alexis Da Silva. Coté RF, ses partisans avancent la transmission d’informations qui peuvent être chères au titulaire (réception du produit, vente, présence dans les rayons ou la réserve, etc.). « Plus qu’une détection “passive” par perturbation d’un signal en sortie, c’est un écosystème de données qu’elle livre », explique Sarah Chibani, responsable grands comptes chez Nedap, spécialiste en identification et traçabilité RFID (Radio Frequency Identification) pour les magasins.

Souriez, vous êtes analysé !

Mais si la détection par portique a connu quelques progrès ces dernières années, le ressort de l’innovation se situe désormais du côté de la vidéoprotection et de son analyse par l’intelligence artificielle (IA). Créée en 2018 par deux anciens d’HEC et un de Polytechnique, la solution Veesion se greffe sur des caméras déjà installées dans l’officine et analyse les films dans le but de détecter les tentatives de vol en temps réel. Une levée de fonds de 650 000 euros à l’été 2018 a permis aux trois associés de recruter des développeurs et ingénieurs en Deep Learning pour programmer et lancer les premières analyses. Suivant le concept de l’IA, la solution s’améliore en enregistrant un nombre croissant de situations et en se corrigeant. Plus elle tourne, mieux elle tourne. Déployée en 2020, Veesion revendique aujourd’hui près de 3 000 commerces équipés, dont 1 800 en France, incluant 650 officines. L’entreprise propose des contrats de 5 ans autour de 200 euros/an pour 9 caméras. « Depuis quatre ans, Veesion a déjà enregistré un grand nombre de tentatives de vols, augmentant d’autant son intelligence », indique Romain Gallet, directeur des ventes. À chaque détection, Veesion transmet une alerte sur le smartphone du pharmacien assortie d’un enregistrement vidéo de la séquence suspecte. Si la solution est prometteuse, son application semble nécessiter encore des ajustements. « Mon officine possède 36 caméras, dont 20 sont « surveillées » par Veesion, qui m’envoie environ 60 alertes par jour, témoigne Benoît Coat, titulaire de la pharmacie du Millénaire dans le centre commercial du même nom, à Aubervilliers. Si cette solution nous permet d’attraper des voleurs, nous avons aussi beaucoup de fausses alertes. » Cependant, en cas de tentatives avérées, les enregistrements vidéo constituent un précieux auxiliaire pour appréhender le voleur potentiel. « Il suffit de lui montrer l’alerte. Les images parlent d’elles-mêmes », poursuit-il. Le titulaire albertivillarien déplore, à ce stade, le manque de réactivité du système. « Le temps d’analyse de la vidéo et de transmission sur la tablette ou sur l’ordinateur est malheureusement trop long. Il arrive régulièrement que le voleur ait déjà quitté les lieux. » C hez Anodia, spécialiste de l’équipement de l’officine, on propose en plus la technologie AcuPick, qui permet de localiser rapidement et précisément une personne suspecte dans un grand nombre d’images grâce à un algorithme avancé d’apprentissage profond. Sa fonction Smart Search by Intrusion facilite la recherche de cibles, même lorsque leur heure d’apparition est incertaine.

Immatriculée en 2009, Lease Protect France (dont les portiques sont référencés chez Lafayette) distribue aussi, depuis 2022, année où elle a réalisé près de 16 millions d’euros de CA, une vidéoprotection par IA conçue par l’entreprise Oxania. Cette solution mise sur une plus grande intégration logicielle et matérielle. « Nous installons au comptoir des tablettes dédiées à la réception des alertes et leur transmission s’effectue directement sur l’application éditée par Oxania. Résultat : l’alerte est donnée instantanément », témoigne Jeremy Benaich. Reste que, là aussi, en matière d’IA, la contribution du client utilisateur est la bienvenue. « Un titulaire à Lyon nous a signalé un voleur qui camouflait les produits dans sa manche, cas qui n’était pas compris par l’IA et que nous avons pu intégrer. » L’entreprise indique avoir déjà équipé une centaine d’officines, dont une soixantaine autour de la région lyonnaise. « La fourchette moyenne va de 250 à 500 euros de mensualité sur 60 mois pour 4 à 8 caméras, installées et sous IA », précise le directeur régional d’exploitation. Pour l’heure, seules deux sociétés, Veesion et Oxania, semblent fournir les détaillants français en IA de vidéoprotection. Un business qui devrait exploser ces prochaines années.

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QU’EST-CE QU’UNE DÉMARQUE INCONNUE ?

Souvent associée au vol, la démarque inconnue est la différence entre le stock théorique et le stock réel. Cette différence est due aux vols externes (comme le vol à l’étalage), internes (coulage) ainsi qu’aux erreurs administratives ou des fournisseurs.

KETTY DISSUADE LES VOLEURS

Entre les rayons de la grande pharmacie Beaujon, à Clichy, déambule une étrange auxiliaire de 1,10 m et 38 kg. Cette équipière du 3e type poursuit, à l’origine, un objectif promotionnel. À l’avant, ses 2 écrans diffusent de la publicité. À l’arrière, ses plateaux supportent les échantillons, flyers et produits à valoriser. Ketty chemine dans l’officine grâce à un radar et une caméra. Outre la diffusion de messages sur ses écrans (sponsoring, vente d’espace publicitaire, conseils, etc.), gérables via une application dédiée, et l’ambiance futuriste que le dispositif crée, son distributeur, Robotech & Co, et ses clients se sont aperçus que Ketty réduisait la démarque inconnue. Même dans les rayons déserts ou en période de creux, on est moins à l’aise pour voler quand un robot nous observe. Une solution qui allie communication et vigie ? Autonomie de 8 h, durée de charge de 4 h, 205 euros/mois sur 48 mois et apport de 999 euros