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Le microbiote pour faire peau neuve !

Publié le 1 février 2019
Par Carole De Landtsheer
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Choyer notre microbiote cutané serait encore la meilleure façon de prendre soin de notre peau. Convaincues de leurs bienfaits, les marques de cosmétiques travaillent sur des formules inédites protégeant ces microbes pour une plus belle peau. Effet de mode, argument marketing ou véritable tendance de fond ?

Si le microbiote intestinal, notre « second cerveau », a largement fait parler de lui, le microbiome ou microbiote cutané est une notion plus récente en passe de révolutionner la dermocosmétique. Le postulat est le suivant : notre épiderme est colonisé par des micro-organismes (tels les bactéries et les champignons) et préserver cet écosystème protègerait la peau de pathologies cutanées. Sachant que chaque personne posséde sa propre carte d’identité microbienne. C’est tout le projet de la cosmétique microbiotique, qui travaille au bon équilibrage de cette flore. « On a toujours connu l’existence de la flore cutanée. Ce qui change, c’est que depuis la création du Human Microbiome Project* en 2012, on comprend l’incroyable richesse et diversité de nos bactéries sur la peau. C’est un nouveau monde, littéralement sous notre nez. On comprend leur rôle et leur importance, en particulier dans les mécanismes inflammatoires », explique Marie Drago, pharmacienne et créatrice de la marque Gallinée.

UN SUJET délicat à aborder

Pour l’heure, seule une poignée d’acteurs allèguent une action sur le microbiote cutané, qu’elles incorporent à leurs produits des probiotiques (généralement désactivés), des prébiotiques (qui nourrissent sélectivement les bonnes bactéries présentes sur notre peau) ou encore des postbiotiques (qui influencent l’environnement bactérien de la peau tel l’acide lactique). Majoritairement, des marques anglo-saxonnes et américaines telles Aurelia Probiotic Skincare ou encore Mother Dirt (son spray emblématique visage et corps AO+ Mist contient des bactéries vivantes, une proposition rare sur le marché). « Il y a plusieurs marques en pharmacie qui intègrent déjà ces technologies dans leurs crèmes, mais sans revendications fortes ou visibles, s’attachant davantage aux résultats obtenus. Elles surfent sur la vague très porteuse de l’hydratation et de la réparation et ne veulent pas forcément insister sur ce nouveau discours. En termes de communication, parler de microbiote n’est pas toujours évident pour ces marques très “pharma” », remarque le porte-parole de la marque suisse Rivoli. Même si l’argument pourrait vite se transformer en une formule marketing alléchante, à prendre avec circonspection, estime Alexandra Schwoob, directrice marketing, en charge de la marque La Roche-Posay : « Très peu de laboratoires sont capables de supporter de vrais bactériogrammes. Ce sont des démarches lourdes et compliquées. Derrière l’appellation des produits, il faut vérifier le sérieux des tests mis en place par les marques ».

COSMÉTIQUE d’un nouveau genre

Sur le marché français, La Roche-Posay fait figure de pionnier. En effet, le lancement du Baume Lipikar AP+, intégrant dans sa formule le postbiotique Aqua Posae Filiformis (qui provient d’une bactérie cultivée dans l’eau thermale), pour traiter les peaux à tendance à l’eczéma atopique, remonte à 2013. Une formulation, étayée par 30 études cliniques, déclinée à l’huile lavante Lipikar, en janvier 2019. Son rôle : améliorer la diversité et l’équilibre du microbiome et rétablir la fonction barrière de la peau. Quant au soin Effaclar Duo (+), il a été reformulé, en 2016, avec le même postbiotique. En réduisant la présence de Staphylocoques epidermidis, surreprésenté dans le microbiome des patients acnéiques, il réduit l’inflammation à l’origine des récidives de l’acné. Au gré des avancées scientifiques, le champ des applications s’élargit : inflammations mais aussi peaux sèches, sensibles, grasses, vieillissement cutané. Par exemple, le soin Visage Emulsion Ré-équilibrante de la marque Rivoli (vendue en pharmacie, en Suisse) apporte une solution aux problèmes liés au stress cutané (peau réactive, teint terne, rougeurs). Sa formule est, notamment, composée d’un complexe de pré et probiotiques (Lactobacillus Acidophilus), grâce auquel le microbiome cutané est renforcé pour une meilleure protection de l’épiderme. Une association qui rééquilibre la peau : « les pro et prébiotiques permettent de renforcer le système immunitaire de la peau en maintenant son PH acide, mais aussi en permettant aux bonnes bactéries de se développer », explique le porte-parole de la marque. A venir, un démaquillant, combinant démaquillant et nettoyage tout en préservant la flore cutanée.

UN MARCHÉ d’avenir

Encore relativement restreint, le marché devrait connaître une explosion dans un avenir proche. « C’est un nouveau champ des possibles qui s’ouvre ; à terme tout le monde devrait s’engouffrer. Ces nouvelles solutions thérapeutiques s’inscrivent dans une logique d’accompagnement et de préservation du capital santé », explique Alexandra Schwoob. « Dans deux ou trois ans, tous les produits seront testés pour leur impact sur le microbiome. La compréhension du microbiote cutané nous force à revoir entièrement la façon de concevoir et de formuler les produits de soin. Cela va obliger les marques à repenser sérieusement à ce qu’elles incluent dans leurs produits, en particulier les conservateurs, émulsifiants et SPF », ajoute Marie Drago. Novatrice en ce domaine, la marque Novexpert, implantée en officine depuis un an, utilise dans les formulations de ses produits, dont son Sérum booster à l’acide hyaluronique, à la fois des prébiotiques et des peptides anti-microbiens en lieu et place de conservateurs à large spectre. « Les cosmétiques qui incluent des bactéricides tuent les bactéries de l’épiderme, sans faire le tri entre les différentes familles présentes sur la peau. Or, l’application parfois excessive de conservateurs, due au layering, fragilise le microbiote cutané. Nos produits contiennent des peptides issus de probiotiques, qui jouent le rôle de conservateurs intelligents en réagissant face à l’éventuelle attaque de bactéries pathogènes et en protégeant la peau », explique Cyrille Telinge, co-fondateur de Novexpert. Ces scénarios aux consonances futuristes n’ont jamais été aussi actuels. A suivre de près.

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*Le Human Microbiome Project a été lancé, aux USA, par les National Institutes of Health. L’objectif : identifier et caractériser l’ensemble des micro-organismes vivant sur les humains.

CHIFFRE

Jusqu’à 1 million de bactéries par cm2 de peau, mais cette quantité de micro-organismes varie en fonction de la zone étudiée.

RECHERCHE

Le premier congrès scientifique sur le microbiome (Skin microbiome congress) s’est tenu à Boston, en mai 2018. Trois autres éditions ont suivi : San Francisco, en septembre, Londres, en novembre, et Hong Kong, en décembre dernier.

POUR ALLER + LOIN

→ L’exposition “Microbiote”, qui se tient jusqu’au 4 août 2019 à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris, s’inspire du livre instructif, drôle et pratique des soeurs Giulia et Jill Enders, “Le charme discret de l’intestin : Tout sur un organe mal aimé”, paru en Allemagne en 2014 et traduit en 40 langues.

Gallinée

Une marque polyvalente

En voie d’implantation dans les pharmacies françaises et anglaises, la marque Gallinée, distribuée par le grossiste BioExpress, a été créée, en 2016, par Marie Drago, Docteur en pharmacie. L’histoire de ce lancement est liée à son parcours personnel. Atteinte d’une maladie rare, issue du microbiome de la peau, elle s’étonne de ne pas trouver d’articles scientifiques sur la question et retourne, forte d’une expérience de quinze ans dans l’univers de la beauté, sur les bancs de la faculté pour écrire une thèse sur les bienfaits des bonnes bactéries sur le microbiome cutané. Celle-ci sert de base à la mise au point des formules des produits de la marque Gallinée. Soit huit références visage et corps, conçues et fabriquées en France, qui assemblent pré, pro et postbiotiques. Sa spécificité : son large spectre d’action en proposant des solutions aux peaux sensibles comme aux peaux à problèmes.