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« Notre retour sur le marché prendra du temps, mais notre détermination est intacte »

Publié le 11 octobre 2018
Par Anne-Hélène Collin
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Le 2 décembre 2017, des laits des marques Picot, Milumel et Pepti Junior, fabriqués par Lactalis, sont retirés du marché. Ce retrait sera suivi peu après d’un rappel de tous les laits infantiles fabriqués sur la tour 1 du site de Craon (Mayenne). Contamination par salmonelle, couacs dans les procédures de retrait de lot : c’est le début de l’affaire Lactalis. Aujourd’hui, où en est le groupe ?

Lactalis est autorisé depuis le 18 septembre à reprendre la commercialisation des poudres de lait infantile produites sur le site de Craon, en Mayenne. Quand les laits infantiles seront-ils à nouveau disponibles en pharmacie ?

Arnaud Boinard : Nous reviendrons courant novembre 2018, le temps de constituer nos stocks et de disposer de l’ensemble de nos références. En officine, le retour se fera avec la marque Picot, depuis toujours exclusivement commercialisée en canal pharmacies, avec une gamme la plus large possible. Nous repartirons avec des laits standards 0-6 mois, 6-12 mois et des laits de croissance. Nous proposerons également des poudres infantiles bio sur l’ensemble des segments d’âge et des formules médicalisées pour répondre à des troubles bénins. Nous ne reprenons pas la commercialisation de la marque Pepti Junior qui était fabriquée sur la tour 1 de Craon, définitivement fermée depuis l’accident sanitaire. Nous ne reprenons pas non plus la commercialisation de la marque Milumel, qui sera remplacée par Celia, relancée uniquement en grande surface en octobre 2018.

Les laits garderont donc le même nom ?

Oui. Nous avons largement travaillé cette question avec nos équipes pour interroger les pharmaciens et les jeunes parents. Nous gardons le nom de marque Picot, une relation de confiance étant établie depuis très longtemps avec les équipes officinales.

Cette absence de 10 mois sur le marché a-t-elle été préjudiciable ?

Notre retour sur le marché prendra du temps, mais la détermination du groupe et des équipes est intacte. Bien évidemment, il faut accompagner ce retour pour regagner la confiance des parents et cela passe par un plan de soutien autour de la marque Picot : information médicale auprès des prescripteurs, relais d’aide au conseil pour le pharmacien et communication auprès des parents.

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Comment allez-vous communiquer sur la reprise ?

Le plus important est de regagner la confiance à la fois des professionnels de santé et des parents. Nous avons prévu d’être extrêmement transparents dans notre communication, sur nos engagements en matière de sécurisation et de qualité. Sur le plan de la traçabilité, les jeunes parents pourront ainsi avoir accès aux résultats des contrôles qualité menés jusqu’à la mise sur le marché à l’aide d’un QR code présent sur les boîtes Picot. Enfin, et comme nous l’avons toujours fait, nous serons aux côtés des pharmaciens et de leurs équipes pour les accompagner dans le conseil et leur permettre de fidéliser les jeunes parents.

Combien ont coûté les efforts pour une remise à niveau de la sécurité ?

Pour fermer définitivement la tour 1, réaliser des travaux d’amélioration autour de notre tour 2 et de nos ateliers de conditionnement, nous investissons plus de 10 millions d’euros sur ce site. Nous avons renforcé les normes d’hygiène qui existaient en augmentant le contrôle des flux (d’air, humains), en recréant des sas où le personnel effectue les changements complets de tenue, en renforçant davantage le zoning (zones de très haute sensibilité en contact direct avec le produit et qui nécessitent des pratiques totalement encadrées en matière de flux et d’hygiène). Par ailleurs, nous avons significativement renforcé nos plans de prélèvement et de contrôle, et ce à chacun des stades de la fabrication. Ce qui signifie faire appel non plus à un seul laboratoire, mais à plusieurs, privés et publics. Cela implique aussi de recourir à différentes méthodes d’analyses : la norme ISO applicable réglementairement, mais également des méthodes complémentaires pour être absolument sûrs de pouvoir identifier tout résultat microbiologique qui serait non conforme. Aujourd’hui, notre site de fabrication est sans nul doute le plus contrôlé de France, voire d’Europe.

Quelle était l’origine de la contamination ?

Il s’agit d’un accident sanitaire dû à des travaux d’amélioration qui ont été menés au premier quadrimestre 2017 au pied de la tour 1. C’est à ce moment-là, et malgré toutes les précautions prises pour confiner l’espace et isoler totalement les zones de travaux, que nous avons libéré la souche de salmonelle, qui s’est propagée au pied de la tour 1 puis dans les étages. Voilà pourquoi nous avons décidé de fermer définitivement la tour 1.

Ce n’était pas le premier épisode : en 2005, 141 nourrissons ont été contaminés par cette souche de salmonelle et 25 cas sporadiques ont été recensés entre 2006 et 2016. Comment être sûr que cette fois, c’est bel et bien fini ?

Je précise que nous n’avions absolument pas connaissance des cas sporadiques que vous évoquez au moment de la crise de décembre 2017. C’est une information que nous avons reçue fin janvier 2018, donc après le déclenchement de la crise. Si nous avions eu un seul résultat positif sur nos produits finis ou si nous avait été rapporté un cas d’enfant tombé malade en consommant nos produits, des mesures auraient été immédiatement prises avant et cette crise n’aurait jamais eu lieu. Quid de l’avenir ? Je rappelle deux choses : l’ensemble des produits qui ont rendu des enfants malades étaient fabriqués sur la tour 1 et nous avons pris la décision ferme d’arrêter définitivement sa production. Ensuite, avec le plan d’investissement industriel, le renforcement de notre plan de contrôle et les exigences sur nos normes d’hygiène accrues, je peux aujourd’hui affirmer que nous sommes à un niveau de sécurisation maximale. Je n’ai pas connaissance d’autres sites qui appliquent un plan de prélèvement et de contrôle aussi strict à chacune des étapes de fabrication des produits commercialisés en France.

Avant la crise de décembre, il y a eu quelques alertes : des autocontrôles positifs en août et novembre 2017, mais uniquement dans l’environnement. Qu’avez-vous fait en interne ?

Un autocontrôle positif dans l’environnement pour une usine agroalimentaire n’est ni banal ni exceptionnel. Nous avons strictement suivi le dispositif intégré dans notre plan de maîtrise sanitaire, partagé et validé par les autorités : arrêt des lignes de fabrication pour un nettoyage complet, désinfection, nouveaux prélèvements de manière renforcée sur la zone concernée. Dès que tous les résultats se sont révélés conformes, l’installation a redémarré.

38 enfants ont été contaminés en France, plusieurs plaintes ont été déposées, une enquête judiciaire est en cours. Que compte faire le laboratoire ?

Nous réitérons toutes nos excuses à tous les parents concernés. Notre mission est de mettre chaque jour des produits sûrs et sains sur le marché, et c’est un choc terrible que d’avoir à affronter ce type de contamination. Nous avons fait en sorte de répondre à l’inquiétude des parents et à leurs questions dès les premières heures de la crise grâce l’activation d’un numéro vert. Ce même dispositif existait pour les professionnels de santé. Nous avons également mis en place une procédure de remboursement des produits qui a donné lieu à plus de 25 000 remboursements auprès des parents. Pour les malades dont le lien avec nos produits est établi, un processus d’indemnisation est mené avec nos experts pour évaluer le pretium doloris et l’impact sur les enfants, mais aussi sur les parents qui ont dû prendre des jours de congé pour accompagner leur enfant.

12 millions de boîtes retirées à travers 83 pays…Quel a été le coût pour l’entreprise ? Comment se remet-on d’une crise comme celle-là ?

Cette crise aura coûté plusieurs centaines de millions d’euros. Cependant l’heure n’est pas encore au bilan économique. Après un tel choc, la reprise n’est aujourd’hui possible que grâce à la détermination du groupe et à l’engagement total de l’ensemble de nos collaborateurs. Chacun dans leur fonction, ils ont traversé cette crise avec beaucoup de dignité et en faisant preuve d’une solidarité exemplaire. Nos équipes industrielles et qualité sont aujourd’hui pleinement mobilisées pour assurer le strict respect des normes d’hygiène accrues et garantir une sécurisation maximale de nos produits. Nos équipes ressources humaines se sont pleinement investies pour protéger le capital humain de l’entreprise. Enfin, nos équipes R & D, marketing, médicales et commerciales ont profité de ce temps d’arrêt pour développer des formules innovantes et des outils répondant toujours mieux aux besoins de nos partenaires professionnels de santé.

Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Les enseignements sont multiples et se traduisent avant tout par le renforcement du niveau d’exigence en matière de qualité et de sécurité, la mise en place d’un plan de contrôle encore plus strict au sein du site de Craon, le recours à plusieurs laboratoires et méthodes d’analyse, la fermeture de la tour 1 et des investissements pour continuer à améliorer nos installations. Sur un plan plus large, nous nous inscrivons dans une démarche d’ouverture de la communication du groupe. 



BIO EXPRESS

1993 : Arnaud Boinard est diplômé de l’École supérieure de commerce de Dijon (Côte-d’Or).
2002 : Après un début de carrière dans différents groupes industriels, il entre chez Lactalis comme directeur commercial et marketing Nutrition France.
2008 : Il prend la direction du développement Nutrition International.
2010 : Il est nommé directeur général de Lactalis Nutrition Europe.

Arnaud Boinard , directeur général de Lactalis Nutrition Europe
lactalis