Vaccins contre le Covid-19 : la justice européenne condamne l’opacité de la Commission

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Vaccins contre le Covid-19 : la justice européenne condamne l’opacité de la Commission

Publié le 14 mai 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Le Tribunal de l’Union européenne somme Bruxelles de livrer les SMS entre Ursula von der Leyen et le P-dg de Pfizer, révélés en pleine crise sanitaire. Une décision inédite sur la transparence des négociations vaccinales.

C’est un revers judiciaire cinglant pour la Commission européenne, et un signal fort sur les exigences de transparence dans la gestion des politiques sanitaires. Ce mercredi 14 mai, le Tribunal de l’Union européenne (UE), juridiction basée à Luxembourg, a annulé la décision de la Commission refusant de divulguer les SMS échangés entre sa présidente, Ursula von der Leyen, et Albert Bourla, P-dg de Pfizer, au plus fort de la pandémie.

Saisi par une journaliste du New York Times, Matina Stevis, le Tribunal a estimé que Bruxelles n’avait pas fourni de justification « satisfaisante et plausible » pour refuser la communication de ces messages, au motif qu’ils ne seraient pas « des documents publics » au sens du droit européen.

Des messages au cœur des négociations vaccinales

Révélée en avril 2021 par le New York Times, l’existence de ces échanges privés entre la présidente de la Commission et le patron du laboratoire Pfizer avait suscité des interrogations dès les premières livraisons de doses à l’Union européenne. Pfizer/BioNTech était alors le principal fournisseur de vaccins de l’UE, dans le cadre d’accords représentant plusieurs milliards d’euros, négociés directement par la Commission pour le compte des Vingt-Sept.

En 2022, la médiatrice européenne avait déjà dénoncé un « manquement à la transparence administrative » dans cette affaire, connue sous le nom de « Pfizergate ». Le contenu des SMS, jamais rendu public, reste à ce jour inconnu. Dans une réaction publiée ce mercredi, la Commission indique « prendre acte de la décision » et annonce « étudier attentivement les suites à donner ».

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Un refus balayé par la justice

Pour justifier sa rétention des messages, la Commission avait avancé l’absence d’archivage des textos, qui n’auraient pas été considérés comme des documents formels, car « dépourvus de contenu substantiel ». « Les SMS ne sont pas systématiquement reconnus comme documents publics », affirmait encore récemment un représentant bruxellois.

Le tribunal a rejeté cette argumentation, en rappelant que la nature d’un document ne dépend pas de son format mais de son contenu. L’instance judiciaire a ainsi reconnu à la journaliste le droit d’accès aux documents, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2 001 sur la transparence des institutions européennes.

Des implications politiques et juridiques

Si cette décision ne statue pas sur la licéité des contrats conclus, elle renforce les exigences de traçabilité dans les relations entre institutions publiques et industriels de la santé. Elle s’inscrit aussi dans un contexte où la question de l’éthique des négociations vaccinales reste vive.

Des plaintes pénales ont été déposées dans plusieurs États membres, dont la Belgique, la Pologne et la Hongrie, visant notamment Ursula von der Leyen pour « destruction de documents publics » ou « corruption ». La plainte belge a été jugée  irrecevable en janvier 2025 par la cour d’appel de Liège, mais d’autres volets restent ouverts.

Un précédent sur la nature juridique des SMS

Au-delà de l’affaire elle-même, le jugement pourrait faire date. C’est la première fois que le tribunal de l’UE se prononce sur le statut juridique de messages textuels dans le cadre de l’accès aux documents européens. Il reconnaît implicitement que des contenus échangés via SMS peuvent relever de la catégorie des documents administratifs soumis à publicité.

Bruxelles peut encore former un pourvoi devant la Cour de Justice, mais uniquement « sur des questions de droit », a précisé le tribunal. Une procédure qui n’empêchera pas les débats, déjà relancés, sur la gouvernance pharmaceutique européenne, la gestion des crises et la responsabilité des institutions.