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Médicaments critiques, pharmacies en ligne, écocontribution européenne… l’actu internationale du mois

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Médicaments critiques, pharmacies en ligne, écocontribution européenne… l’actu internationale du mois

Publié le 15 avril 2025
Par Christelle Pangrazzi et Hakim Saleck
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Crise des génériques, relocalisation des médicaments critiques, pharmacies en ligne en difficulté au Royaume-Uni... Tour d’horizon des grands enjeux pharmaceutiques internationaux du mois.

L’actualité pharmaceutique internationale s’accélère. Entre la mise en place prochaine d’une écocontribution européenne qui inquiète les fabricants de génériques, les appels pressants à une souveraineté sanitaire renforcée, et les défis de rentabilité des pharmacies en ligne au Royaume-Uni, le secteur est en pleine mutation. Alors que le marché mondial rebondit, les lignes bougent aussi du côté des stratégies industrielles, des alliances politiques et des modèles économiques. Décryptage des tendances marquantes de ce mois.

Génériques : l’écocontribution européenne fera-t-elle flamber les prix ?

La récente révision de la directive européenne sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (Deru) impose une écocontribution aux industries pharmaceutique et cosmétique pour financer l’élimination des micropolluants dans les eaux usées. Cette mesure suscite de vives inquiétudes parmi les fabricants de médicaments génériques notamment, qui redoutent une hausse significative des coûts, menaçant la viabilité économique de leurs produits et l’accès des patients aux traitements essentiels.

Les médicaments génériques représentent 70 % des prescriptions en Europe, tout en ne constituant que 19 % de la valeur totale du marché pharmaceutique. Leur modèle économique reposant sur des prix bas et des volumes élevés. L’introduction de l’écocontribution pourrait entraîner une augmentation des coûts de production, compromettant la rentabilité de ces médicaments. Steffen Saltofte, président-directeur général de Zentiva, a exprimé ses préoccupations : « Les taxes supplémentaires pourraient représenter une charge si lourde pour les fabricants de génériques qu’ils ne seraient pas en mesure de poursuivre leurs activités à plein régime et seraient contraints d’arrêter la production de certains médicaments.»

Les autorités européennes, de leur côté, estiment que l’impact financier de cette écocontribution sera marginal. Selon la Commission européenne, l’augmentation moyenne maximale du coût des produits pharmaceutiques serait de 1,9 à 2,4 € par an et par personne d’ici 2040, soit une hausse de 0,6 à 0,7 %. La Commission souligne que cette mesure est conforme au principe du pollueur-payeur et vise à encourager le développement de produits moins polluants.

Les fabricants de génériques, à l’échelle européenne, regroupés au sein de l’association Medicines for Europe, ont exprimé leurs craintes quant à l’impact de cette directive sur l’accès aux médicaments. Ils estiment que l’écocontribution pourrait entraîner des pénuries massives de médicaments, affectant des millions de patients en Europe. Ils appellent à une révision de la directive pour trouver un équilibre entre les objectifs environnementaux et la durabilité des systèmes de santé. Contactés par Pharmacien Business, les acteurs économiques et syndicaux des génériques n’ont pas souhaité commenter la situation dans l’immédiat.   

La mise en œuvre de cette écocontribution est prévue pour 2029. D’ici là, les discussions entre les autorités européennes et l’industrie pharmaceutique se poursuivront pour tenter de concilier les impératifs environnementaux et la nécessité de garantir un accès équitable aux médicaments pour tous les citoyens européens. 

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L’Europe dit stop à sa dépendance asiatique 

Face à une industrie pharmaceutique trop dépendante de l’Asie, dix États européens exigent de Bruxelles un plan de relocalisation massif et un cadre de régulation capable de garantir la souveraineté sanitaire du continent. Actuellement, jusqu’à 80 % des principes actifs des médicaments critiques proviennent d’Asie, un monopole qui expose le marché européen à des pénuries en cascade. La crise du Covid-19 a révélé l’extrême fragilité de ces chaînes d’approvisionnement, aggravée par des restrictions à l’exportation et une flambée des coûts logistiques.

Dans un manifeste commun, les dix pays européens, menés par la France, réclament une riposte forte : un Critical Medicines Act qui imposerait une relocalisation stratégique de la production et une réduction drastique de la dépendance asiatique.

Ce plaidoyer s’appuie sur une urgence économique : sans soutien public massif, l’industrie pharmaceutique européenne ne peut rivaliser avec les coûts de production asiatiques. Or, cette logique purement financière met en péril la sécurité d’approvisionnement du continent.

Les États signataires plaident pour : une liste européenne des médicaments critiques nécessitant une production locale prioritaire ; un plan d’investissement structurant pour accroître les capacités industrielles en Europe ; des règles d’achats publics intégrant la résilience et la souveraineté sanitaire ; une lutte contre le dumping international qui pénalise les producteurs européens.

La Commission européenne a fait de la souveraineté industrielle un axe stratégique. Mais sera-t-elle capable d’aller au-delà des déclarations d’intention ? Si l’Europe veut éviter une nouvelle crise d’approvisionnement, elle devra sans doute faire un choix politique clair : assumer le coût de son indépendance pharmaceutique ou rester sous perfusion asiatique. 

Médicaments critiques : 11 ministres européens réclament un accès aux fonds de défense…

Dans une tribune publiée par Euronews, 11 ministres européens de la Santé appellent la Commission européenne à intégrer la future loi sur les médicaments critiques dans la stratégie de défense de l’Union européenne. Leur objectif : permettre aux industries pharmaceutiques d’accéder aux financements du plan Rearm Europe, un dispositif destiné à renforcer l’autonomie stratégique du continent en mobilisant 800 milliards d’euros sur quatre ans.

Les signataires – issus de Belgique, République tchèque, Chypre, Estonie, Allemagne, Grèce, Lettonie, Lituanie, Portugal, Slovénie et Espagne – estiment que l’approvisionnement en médicaments essentiels est une question de sécurité aussi cruciale que la défense militaire. « Sans eux, nos capacités de défense sont compromises », écrivent-ils.

Cette approche s’inspire du Defense Production Act américain, qui considère les chaînes pharmaceutiques comme un enjeu de sécurité nationale. Aux États-Unis, ce dispositif permet de cartographier les chaînes d’approvisionnement critiques, d’identifier les vulnérabilités et d’orienter les investissements vers la production locale. Il impose aussi des contrats prioritaires aux fournisseurs, qui doivent répondre en priorité aux commandes publiques.

Alors que la Commission prépare encore ce « pack » de défense, cette demande illustre une volonté croissante de réduire la dépendance européenne aux importations, notamment en provenance d’Asie. La crise du Covid-19 et les tensions géopolitiques actuelles ont mis en évidence la fragilité des chaînes d’approvisionnement, rendant cette initiative d’autant plus urgente aux yeux des ministres. « L’Europe ne peut plus traiter la sécurité des médicaments comme une question secondaire », préviennent-ils, appelant à une réponse politique forte pour éviter que cette dépendance ne devienne un « talon d’Achille » de la sécurité européenne. 

Royaume-Uni : Pharmacies en ligne, un succès en trompe-l’œil

Malgré un essor spectaculaire, les pharmacies en ligne britanniques peinent à atteindre la rentabilité. En forte croissance depuis près de 20 ans, elles séduisent par leur accessibilité et leur flexibilité, mais leur modèle économique reste fragile. « Au Royaume-Uni, ces entreprises perdent des millions de livres chaque année», explique Olivier Picard, pharmacien d’officine et vice-président de l’Association nationale des pharmacies (du Royaume-Uni). Et d’ajouter : « Il n’y a eu qu’une seule année où Pharmacy2U n’était pas déficitaire.» La première année du Covid-19.

Le Royaume-Uni compte désormais 409 pharmacies en ligne, contre seulement 1 en 2005 et 56 en 2008. Leur développement s’appuie notamment sur un environnement administratif favorable : une seule caisse de paiement, le National Health Service (NHS), qui simplifie les démarches administratives. À l’inverse, en France, la pluralité des régimes d’assurance maladie – Cnam, MSA, SSI et autres régimes spéciaux – freine l’émergence d’un modèle équivalent.

Au sein de ces pharmacies en ligne, les médicaments sur ordonnance et les services de télémédecine se sont imposés comme les piliers du modèle, tandis que d’autres services, comme la vente de médicaments en libre accès ou le conseil pharmaceutique, restent marginaux. Réglementées par le General Pharmaceutical Council (GPhC) et la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA), ces plateformes doivent répondre à des critères stricts de sécurité et de traçabilité.

Pharmacy2U, leader du marché, gère désormais plus d’un million d’ordonnances par mois, un chiffre qui a triplé entre 2020 et 2024. Un développement qui s’inscrit dans un contexte plus large de numérisation des services de santé. Malgré leur expansion, ces plateformes sont confrontées à de lourds défis logistiques. Garantir la réception des médicaments s’avère en effet compliqué : « Certains colis sont simplement déposés devant la porte», souligne notre interlocuteur. La livraison de médicaments, notamment ceux nécessitant une réfrigération, représente un coût élevé et une contrainte technique majeure.

Faute de rentabilité, la plupart des officines opèrent à perte, et « de nombreuses pharmacies en ligne ferment régulièrement», souligne Olivier Picard. Ainsi, bien que le modèle séduise, aucun acteur n’a encore trouvé la recette pour pérenniser l’activité de manière rentable. Le gouvernement britannique envisage d’ailleurs une révision de la réglementation face à l’essor de nouveaux modèles hybrides, mêlant pharmacies en ligne et physique, qui interrogent sur l’avenir du secteur.

Marché pharmaceutique : croissance mondiale et mutations stratégiques

Après une période contrastée, le marché pharmaceutique mondial a rebondi en 2023, atteignant 1 607 milliards de dollars (+ 8,2 %), selon le Leem (Les Entreprises du médicament). Il devrait dépasser 2 200 milliards d’ici 2028, porté par les ventes de médicaments existants, malgré le frein de l’expiration de nombreux brevets.

Les États-Unis dominent (44,4 %), suivis par la Chine (7 %), le Japon et l’Allemagne (4 % chacun). La France, cinquième marché (2,9 %), devance l’Italie (2,5 %), le Royaume-Uni (2,4 %) et l’Espagne (2 %). Le Brésil, avec un marché en croissance et un accès élargi aux traitements, illustre le potentiel des pays émergents, qui devraient capter 30 % de la croissance mondiale d’ici 2028.

La croissance repose sur l’augmentation du volume et de la valeur des médicaments. Dans les marchés matures (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord), elle est tirée par des innovations coûteuses, tandis que les pays émergents bénéficient d’un accès élargi aux traitements. L’oncologie connaîtra la plus forte croissance (+ 14 à 17 % d’ici 2028), suivie par l’immunologie et le diabète (+ 3 à 6 %), dopé par la hausse des cas. Quant aux traitements contre l’obésité, leurs chiffres explosent (+ 24 à 27 %).

Merck & Co domine le marché mondial avec Keytruda (25 milliards de dollars de ventes en 2023), en tête des médicaments les plus vendus. Johnson & Johnson, avec Stelara, reste un acteur clé, mais son chiffre d’affaires est menacé par l’arrivée de biosimilaires.

Le marché reste fragmenté : les cinq premiers laboratoires ne totalisent que 20 % des ventes. Les fusions-acquisitions (116 milliards de dollars en 2023) sont un levier clé pour sécuriser brevets et technologies dans un secteur en perpétuelle évolution.