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Groupements et enseignes : contrainte ou aubaine ?
À l’heure où les fermetures d’officines se multiplient et où les marges s’érodent, rejoindre un groupement semble être devenu un véritable levier financier pour les pharmacies. « On estime que 3 000 à 4 000 petites et moyennes pharmacies auraient fermé ces dernières années si les groupements n’étaient pas là pour les soutenir », souligne Alain Grollaud, président de Federgy, chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies. 90 % des officines sont en effet adhérentes à un groupement, selon l’étude publiée par la société d’intelligence stratégique Xerfi, en septembre dernier. Une adhésion majoritairement motivée par les conditions d’approvisionnement privilégiées dont bénéficient les groupements auprès des laboratoires, mais pas seulement : au-delà de la centralisation des achats, l’offre des groupements s’est peu à peu élargie pour englober de nombreux pans du marketing et de la gestion : proposition d’animations, mise en réseau, formation, conseils en modernisation de l’officine… À cela s’ajoutent des marques propres et le développement constant des enseignes. « 72 % des plus grands groupements ont développé une enseigne. Certains d’entre eux, à l’image de Leadersanté, Apothera et Objectif Pharma, ont même créé deux ou trois enseignes, sur des positionnements différents. On compte ainsi, aujourd’hui, 49 enseignes actives en France », détaille Hélène Sagnes, directrice du pôle pharmacie-santé des Échos Études.
Passage à l’enseigne
Pour les groupements, l’objectif est simple : « L’enseigne renforce le sentiment d’appartenance au groupement. Les pharmaciens sont ainsi plus engagés dans les services que nous leur proposons », explique Gilles Unglik, directeur général de Giropharm. Afin d’encourager ce passage sous enseigne, les groupements sont nombreux à avoir développé des offres « all inclusive » comprenant l’ensemble de leurs services. « Nous accompagnons financièrement la mise en place de l’enseigne, et nous proposons par exemple des communications personnalisables pour valoriser les expertises prioritaires dans le développement de la pharmacie. Bien sûr, nous disposons également d’un coaching sur mesure pour aider chaque équipe à se familiariser avec les nouvelles missions du pharmacien, et à optimiser l’expérience patient au quotidien », explique Gaëlle Madoux, directrice du pôle retail chez Astera. Même son de cloche du côté de Pharmacie Lafayette qui met sur pied « une véritable “task force” au service de l’adhérent afin de l’aider à s’arrimer au réseau. On compte 15 semaines durant lesquelles une équipe spécialisée de cinq personnes travaille sur l’agencement, le merchandising, les achats… On fait du “all inclusive”, mais sur mesure, car chaque pharmacie est unique », précise Stéphane Solinski, directeur général de Pharmacie Lafayette.
Une perte d’indépendance ?
Pourtant, malgré les efforts des groupements, seul un tiers des officines françaises ont déjà basculé sous enseigne, même si les arguments financiers sont là : « Lorsqu’on intègre, dans notre groupement, une pharmacie dont le chiffre d’affaires se situe entre 2 millions et 2,5 millions d’euros, on l’amène en trois ans à évoluer autour de 4,5 millions voire 5 millions d’euros », souligne Hervé Jouves, président d’Hygie31.
Mais les pharmaciens sont très attachés à leur indépendance. Certains voient même le passage sous enseigne d’un mauvais œil : « Pour accéder aux avantages mis en avant par certaines enseignes, il faut payer une cotisation souvent exorbitante. Ensuite, il s’agit d’investir dans des stocks très importants, dans du personnel supplémentaire pour gérer la multitude de promotions, et on nous demande de fournir aux laboratoires les reportings incessants des photos d’expositions et des ventes, sous peine de ne jamais voir le remboursement des promotions affichées et payées aux clients. Cela peut facilement déboucher sur des difficultés de trésorerie », détaille Thomas Pentel, pharmacien dans les Côtes-d’Armor. Selon lui, « passer sous enseigne est sans doute une première étape vers la perte d’indépendance… » Un point de vue qui n’est pas partagé par tout le monde, mais Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) l’accorde : « En adhérant à un groupement, que ce soit sous enseigne ou non, il est évident qu’il y a des concessions à faire. Pour autant, le groupement permet de libérer énormément de temps aux pharmaciens qui peuvent mieux s’occuper des patients. C’est un atout indéniable puisque le groupement prend en charge de nombreux soucis administratifs. Cependant, je conseille toujours aux pharmaciens de bien vérifier les contrats avant de s’engager et de se sentir en accord avec les valeurs prônées par le groupement qu’ils rejoignent. »
Les implications d’une transaction
Concrètement, qu’est-ce qu’implique une transaction d’officine entre un acquéreur et un vendeur appartenant à un groupement ? « L’acquéreur n’est pas tenu de reprendre le groupement du vendeur, sauf clause le précisant dans le contrat, mais une telle clause est réputée léonine et inapplicable. Cela étant, il est possible que les clauses de sortie d’un groupement comportent des conditions particulières, qui doivent, dans ce cas, être assumées par le vendeur », explique Matthieu Riberry, cogérant du cabinet Riberry Conseil. Pour ce qui est d’une pharmacie sous enseigne : « Si des travaux importants ont été réalisés pour être aux couleurs de l’enseigne, il faut bien sûr en tenir compte dans la négociation globale selon que l’acquéreur conserve ou pas ledit groupement. » Il est donc courant qu’un acheteur reprenne l’enseigne de son prédécesseur, afin d’éviter des dépenses supplémentaires.
Faire le tri
Face à des propositions de plus en plus abondantes – on compte actuellement plus de 150 groupements, toutes tailles confondues – et toujours plus complètes, difficile, pour les pharmaciens, de s’y retrouver et d’être certains, au moment de signer, qu’ils garderont suffisamment de marge de manœuvre au sein de leur officine. « Il est impératif de se renseigner au préalable sur l’ensemble des conditions existantes, car adhérer à un groupement de pharmacies procure aux pharmaciens adhérents de nombreux avantages, mais implique également un certain nombre d’engagements à respecter », explique Matthieu Riberry, cogérant du cabinet Riberry Conseil. Et de poursuivre : « Les contrats de groupement sont des contrats d’adhésion pour lesquels les clauses d’engagement, déjà fixées et non négociables, doivent être respectées dans leur intégralité par le pharmacien qui y souscrit. Chaque groupement définit librement les obligations à respecter pour pouvoir continuer à être adhérent. »
Il s’agit donc d’être perspicace et de saisir toute la portée de l’engagement pour une offre ou une autre : « Certains groupements mettent en place des contrats très restrictifs, sans possibilité de résiliation ou avec des pénalités élevées. Cela empêche un pharmacien mécontent de quitter le réseau, même s’il n’y trouve plus son compte. Retenir un pharmacien contre sa volonté, en le piégeant dans un contrat trop contraignant, est une pratique abusive qui nuit à la dynamique et à la confiance au sein du secteur », regrette Christophe Hirth, cofondateur du site internet Choisir mon Groupement. Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), pointe quant à lui les problématiques de cession : « Il y a quelque temps, un pharmacien proche d’Angoulême voulait vendre sa pharmacie à son adjoint. Le groupement s’y est opposé et a fait venir un autre pharmacien adhérent qui a pu racheter l’officine. Cela me gêne beaucoup, même si le pharmacien avait signé un contrat. Adhérer à un groupement est fondamental, mais il faut que ce soit fait sainement et en toute transparence. » Un argument partagé par Gilles Unglik de Giropharm : « Certains groupements sont très structurés – je dirais une quinzaine – et disposent des ressources humaines nécessaires, des valeurs, d’une vision, etc., pour accompagner les pharmaciens. Mais d’autres ne regardent que les conditions d’achat et se nourrissent sur le dos de la bête. Il faudrait faire le tri », tranche-t-il.
Bouche-à-oreille
Le paysage contrasté des groupements et des offres nécessite donc une vigilance toute particulière des pharmaciens. « Le bouche-à-oreille est le meilleur des conseils à suivre », souligne Philippe Besset de la FSPF. Avec les défis que posent leurs nouvelles missions, les pharmaciens ont un réel besoin de ces services rendus par les groupements. Encore faut-il pouvoir changer d’offre quand l’officine le souhaite. Une fois le passage sous enseigne acté, les choses deviennent forcément plus compliquées : les groupements investissent des moyens financiers et humains qu’ils souhaitent voir fructifier. Une logique implacable à laquelle il faut réfléchir avant de se lancer. « L’indépendance du pharmacien est somme toute virtuelle : économiquement, il est lié à sa banque ; pour son approvisionnement, il est lié aux grossistes ; pour sa marge, il dépend du gouvernement. Il est indispensable d’éviter que le pharmacien ne devienne qu’un simple propriétaire d’un fonds de commerce dans lequel tout pourrait lui être imposé. L’interdépendance des pharmaciens dans un groupement permet, en fin de compte, de préserver l’indépendance de la profession. Il faut que cela soit fait en toute transparence », conclut Alexandre Le Carpentier, auteur d’une thèse sur les groupements de pharmacies d’officine.
Les contrats d’adhésion
Il existe plusieurs types d’obligations liées à l’adhésion à un groupement :
- Chiffre d’affaires minimum
- Cotisation annuelle
- Engagement exclusif ou, au contraire, possibilité d’adhérer à un autre groupement
- Obligation de choisir le grossiste des pharmaciens du réseau
- Obligation de faire appel au laboratoire de parapharmacie du groupement
- Utilisation du système informatique commun
- Temps minimum d’adhésion
- Clauses de sortie du groupement
Des clauses qui engagent le signataire du contrat, et qu’il faudra respecter jusqu’au bout.
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