Le tiers payant, c’est mon affaire !

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Le tiers payant, c’est mon affaire !

Publié le 5 novembre 2024
Par Florence Dijon-Leandro
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Facilitateur pour les patients, mais casse-tête pour les officinaux ! Alors que son rôle est crucial pour la trésorerie des pharmacies, les lourdeurs administratives peuvent en décourager plus d’un… car la gestion du tiers payant impose rigueur et précision. Faisons le point sur une compétence clé dont vous pouvez devenir un expert !

Votre quotidien est rythmé par les cartes Vitale à mettre à jour, les mutuelles à scanner, les règles de prescription à vérifier, les dossiers à recycler… Derrière chaque acte, une mécanique bien huilée permet aux patients de ne pas avancer de frais sur les parts remboursables. Pourtant, si le tiers payant est un acquis de longue date pour les patients, il peut parfois être parsemé d’embûches pour les officinaux. Chaque étape du processus, depuis la vérification des droits jusqu’à la facturation, doit être réalisée avec une rigueur sans faille. La moindre erreur peut entraîner des rejets ou des indus, avec des conséquences financières directes sur la trésorerie de l’officine. Pour les préparateurs et les pharmaciens, cette tâche s’éloigne souvent de leur cœur de métier, le conseil et le soin, et peut vite devenir chronophage. Face à cette complexité, certaines pharmacies choisissent d’en externaliser la gestion, en confiant cette mission à des sociétés spécialisées. D’autres, en revanche, préfèrent internaliser ce processus et en faire une véritable spécialisation au sein de l’équipe officinale.

Un enjeu majeur

Ces dernières années, les rejets et les indus ont pris une place centrale dans la gestion des pharmacies. Ces dernières années, les rejets et les indus ont pris une place centrale dans la gestion des pharmacies. « Autrefois, les officines étaient plus rentables, les erreurs étaient moins pénalisantes, explique Valérian Ponsinet, pharmacien et président de la commission Convention et systèmes d’information de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Aujourd’hui, la rentabilité a baissé et, dans le même temps, les conditions de prescription se sont complexifiées, les prix ont augmenté, le coût pour l’Assurance maladie a explosé… Celle-ci est donc plus vigilante et adopte une vision purement comptable. »

Le rejet correspond à un refus de paiement de la part de l’Assurance maladie ou de la mutuelle complémentaire. Les raisons sont multiples, mais certaines reviennent plus souvent que d’autres. Heureusement, elles sont désormais bien codifiées et surtout identiques pour tous les acteurs, afin de rendre leur gestion, aussi communément appelée recyclage, plus facile.

L’indu, quant à lui, est une autre épine dans le pied des pharmacies. Contrairement au rejet, il survient après un paiement initial par l’Assurance maladie, qui, en s’apercevant d’une ou de plusieurs anomalies, réclame ultérieurement son dû. Ces indus peuvent être réclamés jusqu’à trois ans après le paiement. Et là, les sommes peuvent devenir « astronomiques », alerte Valérian Ponsinet. « Les sollicitations de notre syndicat à ce sujet ne cessent d’augmenter, signale-t-il. Nous avons l’habitude de travailler avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), les échanges sont cordiaux et on avance, mais la situation est bien plus complexe avec les Caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM), qui parfois interprètent les textes à leur manière et multiplient les contrôles. Notre travail est d’expliquer aux caisses qu’il ne faut pas “exagérer” ; c’est notre rôle en tant que fédération. » Autrement dit, il existe un certain nombre de rejets et d’indus qui ne sont pas du fait de l’équipe, mais relèvent d’une certaine forme d’abus de la part des caisses.

Bien que rares, les indus de la part des mutuelles complémentaires existent aussi. Il est à noter que c’est parfois la pharmacie elle-même qui demande l’indu pour refacturer correctement un dossier.

Valérian Ponsinet identifie principalement deux sources d’erreurs : la négligence au moment de la facturation, « du fait d’un surcroît de travail et d’une pressuration de l’équipe », et la mauvaise gestion du tiers payant et des rejets. Mais un autre fléau touche les pharmacies : l’augmentation des fausses ordonnances. « Dans ces cas-là, c’est la double peine pour le pharmacien, observe-t-il. Non seulement il doit rembourser l’Assurance maladie, mais en plus il a déjà payé le médicament à son grossiste. L’ordonnance numérique viendra tout résoudre, mais les hôpitaux ne sont pas encore prêts à franchir le pas. » Face à ce phénomène qui s’amplifie, le président de la commission Convention et systèmes d’information de la FSPF met en garde : « Si rien ne change, nous risquons d’aboutir à des refus de dispensation, ce qui compromettrait l’accès aux soins. »

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Mieux s’organiser pour réduire les erreurs

Face au manque à gagner que représentent les rejets et les indus, toute l’équipe doit s’impliquer pour trouver des solutions, y compris le titulaire. « C’est souvent un problème lié au management », pointe Valérian Ponsinet. Une coordination efficace pour transmettre les informations entre tous les membres de l’équipe peut donc faire toute la différence.

Parmi les solutions à mettre en place, l’élaboration de procédures et de fiches techniques s’avère être un outil précieux. Ces documents sont utiles tant pour les nouveaux arrivants que pour les collaborateurs plus anciens, comme autant de piqûres de rappel. Laurence F., pharmacienne adjointe à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), s’y est attelée dans l’officine où elle exerce : « J’ai réalisé près d’une dizaine de fiches pratiques pour apprendre à créer correctement un dossier patient ou médecin, remplir de manière exhaustive une ordonnance d’exception, etc. Cela permet d’éviter les erreurs au moment de la facturation et d’harmoniser les pratiques. »

Un autre outil essentiel pour limiter les erreurs est l’utilisation des logiciels de facturation pour contrôler les ordonnances. Ces logiciels de gestion d’officine (LGO) permettent de contrôler l’exactitude des molécules délivrées, des dosages, des posologies ainsi que d’autres aspects aussi bien pharmaceutiques qu’administratifs. Laurence F. propose d’exploiter davantage ces outils : « Pourquoi ne pas mettre en place ce contrôle pour améliorer la gestion du tiers payant et limiter le nombre de rejets et d’indus ? Contrôler toutes les facturations semble illusoire, mais on peut choisir de cibler des ordonnances sur une période précise ou sur un sujet particulier, et ensuite mettre en œuvre des actions correctives ! » Si l’ordonnance est contrôlée avant la télétransmission, il est alors possible de reprendre la facturation et de corriger les erreurs de saisie.

Éditer des statistiques par opérateur peut également être un moyen efficace pour sensibiliser l’équipe aux erreurs récurrentes, même si cette méthode peut parfois être mal perçue. Virginie Leroy, ancienne préparatrice aujourd’hui agent administratif au sein d’une société de gestion du tiers payant dans les Bouches-du-Rhône (13), témoigne : « Le titulaire nous demande parfois un tableau récapitulatif pour provoquer une prise de conscience et identifier les points à améliorer. »

L’utilisation optimale des LGO et plus généralement de l’informatique reste un atout de taille dans la lutte contre les rejets. « Nous avons aujourd’hui des outils très performants comme les bases Visiodroits, ADRi ou l’Annuaire Santé, et il est important de les exploiter au maximum », souligne Laurence, l’adjointe aixoise. Ces outils permettent, par exemple, de mettre en place des alertes sur un patient ou un médicament. « Le logiciel peut générer des alertes sous forme de pop-up, comme lorsque le coût du médicament dépasse 300 euros, pour nous rappeler d’inscrire “délivrance sécurisée” sur l’ordonnance », ajoute-t-elle.

Devenir un expert

Le tiers payant est l’affaire de tous les pharmaciens et préparateurs au comptoir, même si bien souvent, une seule personne à l’officine s’en occupe vraiment et maîtrise toutes les ficelles. Charge à elle d’aller ensuite former les autres membres de l’équipe, pour éviter de refaire encore et toujours les mêmes erreurs.

Or, le profil des officinaux impliqués dans le tiers payant est souvent le même. « On ne va pas se mentir, le tiers payant, ce n’est pas pour tout le monde, il faut aimer la paperasse ! », plaisante Valérian Ponsinet. Mais d’autres qualités sont indispensables. Si Monique Fetbal, préparatrice à Gardanne (Bouches-du-Rhône), souligne qu’il « vaut mieux être rigoureux et organisé », Laurence F. fait valoir quant à elle que la curiosité représente aussi un atout : « Il faut aimer mener l’enquête, se mettre dans la peau de Sherlock Holmes pour identifier les erreurs et recycler efficacement ! » Il faut également être en capacité de former le reste de l’équipe, en faisant preuve à la fois de patience et de pédagogie. Enfin, la communication est essentielle. « Pour communiquer, il est certain que c’est mieux quand on est sur place, car l’équipe va plus facilement nous solliciter, explique Virginie. Je viens souvent le même jour de la semaine, donc il y a des membres de l’officine que je ne vois jamais. Je propose alors un cahier de liaison ou bien j’écris dans la messagerie interne. »

L’acquisition des compétences spécifiques liées à la gestion du tiers payant se fait souvent sur le tas. Les LGO et leurs équipes commerciales sont une mine d’informations et d’astuces. Pour ceux qui cherchent à se former en bonne et due forme, l’organisme privé Doctrio propose une formation en e-learning intitulée « Améliorer la gestion du tiers payant et des rejets à l’officine », d’une durée de 6 heures. Elle est ouverte aux préparateurs comme aux pharmaciens et permet d’acquérir les bases théoriques et pratiques nécessaires pour devenir référent tiers payant dans sa pharmacie. À l’origine de cette formation, il y a Jérémie Py, pharmacien à Jarville-la-Malgrange (Meurthe-et-Moselle), qui a consacré sa thèse au tiers payant : « C’est en voyant un ami titulaire qui rencontrait des difficultés avec son tiers payant, et en remplaçant pendant mes études une préparatrice qui s’en occupait alors que moi-même je n’y connaissais rien du tout, que j’ai eu l’idée de faire ma thèse là-dessus. Par la suite, l’équipe de Doctrio est tombée sur ma thèse en ligne et m’a contacté pour que je monte cette formation », explique-t-il. Parmi ses recommandations pour optimiser la gestion du tiers payant à l’officine, Jérémie insiste sur la régularité : « II vaut mieux y passer 5 à 10 minutes chaque jour que 4 heures de temps en temps, toujours en privilégiant les rejets les plus faciles à recycler, d’une part, et les grosses sommes qui risquent de faire un trou dans la trésorerie, d’autre part. »

Dans de nombreuses pharmacies, comme celle de Valérian Ponsinet, la gestion du tiers payant est confiée à un préparateur. En l’occurrence, une préparatrice. « Nous communiquons beaucoup, c’est un vrai travail d’équipe. L’avantage pour elle, c’est qu’elle peut s’extraire du comptoir et travailler à tête reposée dans une pièce réservée à cette tâche, en dehors des horaires d’ouverture et souvent en heures supplémentaires », précise-t-il. Cette tâche peut ainsi s’apparenter à une forme d’évolution valorisante pour le préparateur (ou l’adjoint), avec une reconnaissance accrue au sein de l’équipe officinale, voire de la part des patients. « Je suis devenue la personne vers qui on se tourne, c’est très gratifiant », nous confie Laurence.

Bien que la gestion du tiers payant ne soit pas, à proprement parler, une spécialisation officielle, c’est donc un élément intéressant à valoriser sur un CV lors d’un entretien d’embauche, ou même à évoquer à l’occasion des entretiens annuels pour négocier une augmentation. Alors, à vos marques, prêts, recyclez !

En pratique

>> Causes de rejet les plus fréquentes

– Du côté de l’Assurance maladie obligatoire (AMO)

L’erreur typique : c’est le prescripteur qui pose problème car il est mal renseigné dans la facturation.

La solution : bien lire l’ordonnance et effectuer une recherche via l’Annuaire Santé.

> Attention aux cas particuliers, correspondant souvent aux nouvelles missions du pharmacien (vaccinations, Trod, délivrance de préservatifs, etc.).

– Du côté de l’Assurance maladie complémentaire (AMC)

L’erreur typique : la facturation concernant un enfant est effectuée sous le numéro d’un parent alors que la mutuelle reconnaît l’enfant sous le numéro de l’autre parent.

La solution : lire attentivement la carte de mutuelle et interroger la base Visiodroits.

> Dans tous les cas : scanner tous les justificatifs recto verso et vérifier les coordonnées des patients (adresse, numéro de téléphone).

>> La boîte à outils du tiers payant

– La carte de mutuelle complémentaire : elle donne de nombreuses informations, comme les dates de début et de fin de droits, les niveaux de prise en charge, etc. Attention, une carte de mutuelle est généralement éditée pour un an, or il peut y avoir des résiliations et des modifications au cours de l’année. Il est parfois possible de se connecter sur le site de la mutuelle ou de la joindre par téléphone, mais mieux vaut interroger le téléservice Visiodroits, sorte d’annuaire officiel qui est une norme d’échange, et qui est surtout opposable pour la plupart des complémentaires. Cela signifie que le paiement est garanti si les droits étaient valides sur cette plateforme au moment de la facturation.

– La carte Vitale : apparue en 1998, puis agrémentée de la photo de l’assuré en 2006, elle est en cours de dématérialisation et disponible sous forme d’application mobile dans 23 départements tests. Lorsqu’elle est à jour, la carte Vitale porte en elle les droits du patient. Lorsque le patient se présente sans celle-ci, il est vivement recommandé d’interroger le téléservice ADRi (Acquisition des droits intégrée), pour le moment non opposable mais fiable à plus de 90 %. Il est également possible de consulter le site Ameli Pro.

>> Témoignages

« Gérer le tiers payant casse la routine du comptoir », Monique Fetbal, préparatrice à Gardanne (Bouches-du-Rhône)

« Dès mon apprentissage, j’ai été en contact avec des préparatrices qui géraient le tiers payant, et cela m’a tout de suite intéressée. Je m’y suis mise petit à petit. Quand je suis arrivée dans ma pharmacie actuelle, cette mission était externalisée. Aujourd’hui, la gestion du tiers payant est à nouveau internalisée, et c’est une bonne chose d’avoir quelqu’un en permanence selon moi. Les patients me connaissent et l’équipe peut aussi venir me voir directement en cas de questions. La gestion du tiers payant m’occupe quelques heures par semaine, et c’est important pour moi. Cela casse la routine et me permet de m’extraire du comptoir de temps en temps. Après quarante ans de carrière, je pense que c’est le secret de ma longévité ! En plus, j’ai la satisfaction de ramener de l’argent à la pharmacie ; c’est de la marge en plus. Personnellement, gérer le tiers payant, “faire les papiers”, ça m’apaise. J’y mets du cœur. J’aurais peut-être dû devenir secrétaire ! »

« J’ai quitté l’officine pour mieux la retrouver », Virginie Leroy, agente administrative au sein d’une société de gestion du tiers payant dans les Bouches-du-Rhône

« Quand j’étais en officine, j’aimais mon métier, mais certains aspects, notamment le versant commercial, ne me plaisaient plus du tout. En revanche, j’appréciais tout ce qui touchait à la législation et à l’administratif. Après avoir démissionné, j’ai fait de l’intérim et j’ai constaté que la plupart des pharmacies où j’allais rencontraient des difficultés dans la gestion du tiers payant. Je les orientais vers l’entreprise qui s’occupait du tiers payant dans mon ancienne pharmacie, et c’est comme ça que j’ai intégré la boîte. Finalement, j’ai quitté l’officine pour mieux la retrouver, et je ne regrette absolument pas mon choix. Je change de pharmacie chaque jour, je rencontre une multitude de personnes, et je me sens utile. Aujourd’hui, je fais à la fois de la gestion du tiers payant et du secrétariat. Dans certaines pharmacies, je m’occupe aussi de la facturation des locations. Je gère mon emploi du temps en totale autonomie et je fais parfois du télétravail. D’ailleurs, certains ne font que ça, ce qui rend ce poste particulièrement adapté à des personnes en situation de handicap, par exemple. »