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Une clause pour sortir sans heurts

Publié le 1 mai 2022
Par Francois Pouzaud
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En affaire comme en amour, un bon divorce se prépare avant le mariage. À défaut d’être évité, le désastre financier d’une mauvaise rupture entre associés peut être du moins atténué par la qualité des actes qui régissent leur association. Et si la clause “Shotgun” était la solution ?

LES DIVORCES POUR MÉSENTENTES FONT PARTIE DE LA VIE DES AFFAIRES. Les officinaux exercent souvent en association et, comme pour un contrat de mariage, les statuts de leurs sociétés, ainsi que les pactes d’associés ou autres règlements intérieurs, visent à anticiper les réponses à tous les problèmes qui pourraient survenir. « En pratique, ce n’est pas toujours possible ! Avec les années, la discorde peut s’amplifier pour de multiples raisons : usure des associés, vision différente de la profession, problèmes financiers ou d’ego…) », constate Philippe Jaudon-Champrenault, avocat spécialisé en conseil en droit commercial et des sociétés.

Il est impératif de trouver une solution.

Pour régler le divorce, la solution radicale est de convenir que tous les associés doivent céder en même temps leurs titres à des tiers. Mais, « il est plus courant que la fin de l’association s’opère au travers du départ de l’un d’eux, remarque cet avocat. À défaut d’accord sur le prix des titres de l’associé partant, les parties peuvent s’en remettre à la sentence d’un arbitre ou collège d’arbitres pour “coller” au plus près de la réalité et du contexte au moment de la tractation ». Souvent, des formules de calculs d’évaluation des titres sont prévues dans les statuts ou pactes d’associés mais elles ne résistent quasiment jamais à l’usure du temps. Puis, il est des situations courantes où des associés coexploitant, à égalité de travail, à égalité au capital, à égalité de moyens, ne souhaitent ni les uns ni les autres (pour des raisons familiales et/ou professionnelles) quitter l’entreprise. « Il n’est pas possible de forcer un associé à céder ses titres, sauf naturellement en cas de décès, incapacité ou radiation », souligne cet avocat. Pourtant, ils doivent absolument trouver le chemin de la séparation, au risque de s’épuiser à l’ombre de l’entreprise qui périclitera. L’un d’eux doit partir !

Acheter ou vendre ?

« La clause “shotgun” ou “buy or sell” est une sorte d’enchère qui permet au mieux disant de racheter les intérêts financiers de son (ou ses) associé(s) », explique Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. La clause “shotgun” stipule que chacun des associés peut faire une offre de rachat à un certain prix. « Seule l’offre la plus élevée sera retenue », ajoute Philippe Jaudon-Champrenault. L’associé, bénéficiaire de l’offre, est alors obligé de céder ses titres, quel que soit le prix offert. À défaut, il se trouve contraint d’acquérir lui-même les titres de l’autre, au même prix. « Mais il peut aussi, de son côté, avoir formulé une offre de rachat supérieure qui sera alors retenue avec les conséquences réciproques », complète-t-il. La mise en œuvre d’une clause “shotgun” suit un processus économique et juridique préalable, détaillé et cadré. « Dans un premier temps, l’expert-comptable va fixer une valeur estimative de l’entreprise (elle peut aussi concerner l’immeuble attaché à la pharmacie), qui sera la jauge à partir de laquelle les associés vont se positionner pour formuler leur offre, reprend Olivier Delétoille. Dans un second temps, les conditions matérielles de la mise en place des offres d’achat dans le cadre de la clause “shotgun” sont détaillées dans un protocole préalable rédigé par un avocat spécialisé ». Cet indispensable protocole précisera le processus des offres, le calendrier de réalisation, les modalités de cession, les garanties, le travail et la rémunération du ou des associés sortants, la prise en charge des frais, les pénalités en cas de non-respect des engagements… Tous les aspects juridiques et fiscaux devront aussi avoir été réglés en amont. « Le succès de la clause est à ce prix, insiste cet expert-comptable. Mais sa mise en œuvre aura pu mettre fin à une situation conflictuelle non moins coûteuse en termes financiers, moraux et humains et qui n’a parfois que trop duré ».

Le pacte d’associés ne suffit pas.

L’exercice à plusieurs permet de gagner en résultat, comme en qualité de travail. Mais attention, l’association ne peut renforcer l’exercice officinal que si les qualités complémentaires des associés s’expriment sur le terrain, que s’il existe une communauté d’esprit et d’objectifs, que s’il y a un partage des compétences et des savoirs. Les pharmaciens qui s’associent ne peuvent pas faire l’économie, avant de passer à l’acte, d’une réflexion approfondie, menée avec l’aide de spécialistes (juriste, expert-comptable…), sur l’organisation de leur vie commune, leurs relations, la prévention des conflits, les cessions de parts, etc., afin de personnaliser les documents clés que sont les statuts, le règlement intérieur et le pacte d’associés qui doit prévoir les conditions de sortie des associés et le règlement des conflits. « La reprise d’un fonds d’officine en association est souvent un moment d’enthousiasme, voire d’euphorie, où les associés sont heureux d’avoir trouvé le fonds tant convoité, et peuvent penser que l’exploitation sera pérenne et sans entrave, c’est utopiste ! », met en garde François Gillot, expert-comptable du cabinet CAAG. « Dès la reprise, il faut discuter et envisager les conditions de la sortie, les diverses éventualités et les situations qui pourraient être conflictuelles. Le pacte d’associés sera un élément très important sur lequel les associés auront réfléchi, se seront mis d’accord et auront consigné par écrit des éléments liés à la sortie (modalités de valorisation du fonds, montages de cession…) ». Cependant, les écrits ne sont pas la panacée universelle. Le juridique ne peut pas tout envisager et tout régler ! « Si les hypothèses de sortie et le pacte d’associés peuvent être ensuite contestés devant le juge en cas de conflit, il aura le mérite d’exister et de consigner des points d’accord entre associés à un moment d’objectivité, facilitant ensuite le dénouement de certaines opérations », souligne François Gillot.

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Une association, ça se prépare !

Les bonnes relations entre associés sont essentiellement en fonction des qualités humaines que chacun mettra en œuvre dans le cadre de cette collaboration. Tant au début de la vie commune qu’à la fin. Alexandre Hevin, consultant en management des organisations de Gédéa expertises, a identifié des points de blocage entre associés. « 9 fois sur 10, une association non préparée est un échec. Elle achoppe au départ parce que les associés n’ont pas échangé sur la vision de leur projet, les objectifs de chacun, les souhaits familiaux de chacun. Très vite, ils découvrent les compétences et les limites de l’autre, son manque d’expérience. Mais, la fin d’une association peut être sifflée pour bien d’autres raisons. La lassitude de l’autre, un contexte familial qui a évolué, le constat que beaucoup d’énergie a été dépensée pour peu de retours financiers, des caractères qui se sont révélés dans la difficulté ou un associé qui n’est plus en phase avec le marché ».

LES CHOSES À FAIRE POUR BIEN S’ENTENDRE

– Discuter de vos souhaits et de vos objectifs de vie.

– Réfléchir au cap que va prendre l’officine. Deux ambitions différentes entraîneront rapidement de belles difficultés.

– Bien définir les rôles et le profil des titulaires.

– Réaliser un pacte d’associés. Envisager la possibilité d’un échec, c’est se prémunir contre celui-ci !