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Comptabilité des officines : un suivi minutieux de sa trésorerie s’impose
Les chiffres parlent-ils vraiment d’eux-mêmes ? Alors que le chiffre d’affaires des pharmacies ne cesse d’augmenter, atteignant 2 511 100 € en 2024 (chiffre d’affaires hors taxes moyen des officines, source Conseil Gestion Pharmacie, CGP), parallèlement, la marge s’effrite d’année en année. La raison ? La montée en puissance des médicaments chers qui cache une dégradation de la rémunération officinale. L’inflation, l’explosion des charges professionnelles et salariales, la revalorisation insuffisante des honoraires tirent en effet la marge vers le bas.
De fait, la référence au chiffre d’affaires n’a plus vraiment lieu d’être. « L’excédent brut d’exploitation (EBE) est devenu l’indicateur de gestion le plus important et le plus significatif pour mesurer la rentabilité nette d’une officine. Il prend en compte quasiment toutes les charges inhérentes à l’activité proprement dite. Son montant constitue donc la ressource d’exploitation qui doit permettre de rémunérer le titulaire, de rembourser les emprunts engagés, et d’améliorer, le cas échéant, le niveau de trésorerie », précise Bastien Legrand, président du groupement d’experts-comptables CGP. « L’analyse de la marge brute doit également entrer en compte puisqu’elle permet de savoir si l’on achète bien et si l’on vend bien – même si la pharmacie présente cette particularité d’avoir environ 75 % de produits dont le prix est fixé réglementairement », ajoute Bertrand Cadillon, responsable du marché de la pharmacie chez Fiducial.
Hausse des charges
EBE comme marge brute sont donc devenus, en quelques années, les indicateurs clés de la bonne santé des officines. Or, l’EBE qui s’établissait à 264 400 € en 2023 a chuté en moyenne de 10 000 € en 2024. La marge brute globale est quant à elle en légère augmentation (+ 1,17 %, soit 8 200 €) portée par une hausse des ventes. C’est peu face aux charges qui pèsent de plus en plus lourd sur les comptes des officines.
Les charges externes ont fait un bond de près de 6 % l’an passé, progressant en moyenne de 7 000 € par officine. Parmi les principaux contributeurs à cette hausse, le loyer moyen qui s’établit à 33 300 € et pèse pour plus d’un quart dans le montant total des frais généraux. S’ajoutent les contrats de leasing conclus en 2022 et 2023, quand les trésoreries étaient plus florissantes, pour l’achat de robots, de matériel informatique, la création de sites internet. Enfin, l’inflation énergétique continue de peser dans les charges, bien que dans une moindre mesure par rapport à l’an passé.
Les charges de personnel viennent, elles aussi, grignoter la marge brute globale. Elles représentent 11 % du chiffre d’affaires, soit une augmentation de 14 000 €. « Ces charges ne cessent d’augmenter. Sur trois ans, on enregistre une hausse de 57 000 € sur ce poste, soit l’équivalent de 32 heures hebdomadaires d’un adjoint ! », continue Bastien Legrand. À cela, plusieurs raisons, dont la pénurie de main-d’œuvre, les prétentions salariales plus élevées des jeunes fraîchement diplômés et bien sûr, l’inflation. « Les frais de personnel sont véritablement l’enjeu des mois à venir : ils vont continuer à augmenter alors que les marges continuent à baisser. Il est donc important de réfléchir à l’organisation, la planification et à une meilleure utilisation des ressources humaines », conseille Bertrand Cadillon.
Baisse des honoraires
Autre inquiétude pour les pharmaciens : des honoraires qui, face à la baisse des prix, ne jouent plus tout à fait leur rôle d’amortisseur. Ils représentent pourtant une part essentielle de l’économie officinale, totalisant près de 10 % du chiffre d’affaires global et 54 % de la marge sur les médicaments. « Pour la première fois, les honoraires de dispensation ont enregistré une baisse de 1,85 % sur notre panel de pharmaciens. En 2023, ils avaient augmenté de 1,82 %. Il y a donc eu un véritable coup de frein en 2024, que nous expliquons par la baisse des consultations de ville et du nombre de boîtes délivrées », détaille Bastien Legrand.
Les petites officines de moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires sont bien évidemment les plus touchées par cette évolution à la baisse, avec une chute de 4,11 %. Mais dans l’ensemble, quasiment toutes les pharmacies ont enregistré une baisse, hormis celles de plus de 2,5 millions d’euros : « Ces dernières ont une évolution d’à peine 1 %. Une revalorisation des honoraires semble nécessaire », continue le responsable. Entrées en vigueur au 1er janvier 2025, les revalorisations liées à l’avenant 1 à la Convention pharmaceutique seront-elles suffisantes ? Elles prévoient une hausse de 20 % sur l’honoraire à l’ordonnance.
« Cette augmentation est loin d’être à la hauteur », regrette Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « L’augmentation de 0,1 € par ordonnance en 2025, soit environ 3 145 € par an et par pharmacie, ne représente qu’une hausse de 0,9 % de la marge brute (62 M€), loin de couvrir l’augmentation continue des charges subies depuis trois ans. » Un constat partagé par Frédéric Bizard, économiste de la santé : « La baisse de la part des honoraires est le résultat direct de la baisse des prix des médicaments (voir tableau, NDLR). Sur dix ans, ils ont baissé de 3 % par an en moyenne. C’est la seule régulation que les pouvoirs publics connaissent pour faire face à la hausse des volumes et à celle des maladies chroniques. Mais cela entraîne une perte de compétitivité de la France par rapport à d’autres pays, d’où des pénuries, ainsi qu’une perte de compétitivité des pharmaciens, même si leurs revenus ont été décorrélés des prix avec la mise en place d’un revenu forfaitaire de dispensation, mais tout indique que cela ne suffit pas. » Sa proposition ? « Repenser entièrement le système de santé et ne plus laisser les décisions à des bureaucrates déconnectés des réalités du terrain. »
Les leviers à activer
En attendant une possible refonte du système de santé, que faire dans le contexte actuel pour optimiser les marges et répondre au mieux aux attentes des patients ? « On ne peut plus attendre les résultats des bilans annuels. La mise en place d’un tableau de bord mensuel de suivi de marge devient primordiale », conseille Bastien Legrand. « Les étiquettes électroniques ont là toute leur utilité puisqu’elles permettent de réagir au plus vite si les premiers résultats ne sont pas à la hauteur. Plus que jamais, les trésoreries sont à surveiller comme le lait sur le feu. » David Syr, directeur de Cegedim Pharma, va même plus loin : « Les pharmaciens ont souvent tendance à comparer leur activité aux chiffres nationaux et à leur zone de chalandise, mais ce n’est plus suffisant. Il devient impératif de mesurer et piloter son activité par rapport à des pharmacies de même taille, clientèle, lieu, etc. Il existe des outils pour cela, qui permettent de comprendre l’impact de tel référencement, de tel prix, de trouver les segments clés et d’orienter finement son activité. »
Analysées en profondeur, les ventes 2024 ont permis de dévoiler une hausse de + 7,78 % sur les médicaments remboursables malgré une baisse des volumes des prescriptions de ville de 2 %. « Sans surprise, les ventes de médicaments chers progressent de 13,83 %, représentant près de la moitié de ce segment. Le hors-vignetté enregistre également une croissance de + 3,42 % avec des disparités suivant les secteurs d’activité de l’officine : + 2,40 % pour la TVA à 5,5 %, + 6,25 % pour la TVA à 20 % », résume Bastien Legrand. Du côté des segments, la santé familiale, la beauté, la diététique et l’orthopédie ont tiré les ventes vers le haut.
Bien évidemment, les services et nouvelles missions doivent également être au cœur de la stratégie de l’officine. Vaccinations, tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), détection du cancer colorectal, téléconsultations et entretiens pharmaceutiques poursuivent leur développement, attirant d’ailleurs de plus en plus de jeunes pharmaciens. La proportion de titulaires de moins de 40 ans continue en effet sa progression.
Les fermetures s’accélèrent
- L’an passé, 290 pharmacies ont fermé, une hausse de 17 % par rapport à 2023 et de 35 % par rapport à 2022.
- Le seuil des 15 000 officines semble être la trajectoire empruntée, selon les experts-comptables CGP.
- 60 % des fermetures sont non indemnisées – le titulaire décidant de cesser son activité faute de repreneur. Un phénomène préoccupant, qui ne cesse d’augmenter ces dernières années.
- Les petites officines sont majoritairement concernées : 44 % des fermetures touchent des pharmacies dont le chiffre d’affaires était inférieur à 500 000 €, 21 % entre 500 000 et 1 million d’euros et 25 % entre 1 million et 2 millions d’euros. Signe d’une menace pour l’accès aux soins en milieu rural.
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