Pharmaciens et médecins : il y a de l'orage dans l'air ! - 09/03/2023 - Actu - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
09/03/2023 | Le Moniteur des pharmacies.fr ..

Pharmaciens et médecins : il y a de l'orage dans l'air !

Alors que les pharmaciens transforment leurs officines en hub de santé, la relation entre les officinaux et les médecins devient parfois orageuse. Ça et là, des éclaircies percent les nuages, surtout quand les deux professions prennent le temps de réfléchir ensemble. Le climat reste toutefois instable. A quoi faut-il s'attendre dans les années à venir ?
Getty Images/iStockphoto

« Je fais partie d’une génération à qui on a martelé qu’on allait travailler en collaboration avec les médecins, faire de la pharmacie clinique », explique d’emblée Audrey Gautier, jeune quadragénaire cotitulaire de la pharmacie Ligier Gautier à Saint-Domineuc (Ille-et-Vilaine) et présidente de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Bretagne Romantique Pays de Dol Baie du Mont Saint-Michel. « Lors de mon stage de sixième année, j’ai réalisé que les médecins n’étaient pas ouverts au partage de connaissances. Toutefois, j’ai l’impression que les choses évoluent. Des médecins sont conscients de l'intérêt de l’interpro, mais pour l’instant il n’y a pas de mise en pratique. J’ai encore régulièrement des échanges houleux avec certains d'entre eux », poursuit la pharmacienne engagée dans le suivi des patients de son officine.

Des nuages de longue date

Au quotidien, les turbulences demeurent nombreuses. « Une patiente qui s’était vu prescrire un lecteur de glycémie associé à un passage infirmier pour la mise en place d’une nouvelle insuline, était très perturbée par la soudaineté de ce chamboulement. Alors, j’ai préféré temporiser la dispensation du lecteur en organisant un rendez-vous la semaine suivante pour expliquer ce dernier dans le local de confidentialité et travailler sur l’acceptation. Le médecin m’est tombée dessus disant que j’avais refusé la délivrance », se souvient Audrey Gautier. Au point qu’elle a conservé le texto du médecin expliquant qu’en tant que pharmacienne, elle avait juste à donner ce qui était prescrit et s’abstenir de commentaire. Le tout sans même un coup de fil. Cela dit, tout n’est pas noir. « Mes échanges avec les pharmaciens, principalement avec quatre officines alentours, sont quasi quotidiens, surtout par téléphone. Il m’arrive régulièrement de  leur poser des questions », confie Elise Fraih, présidente du syndicat Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir), qui dit volontiers avoir besoin de l’éclairage de ces autres blouses blanches.

Un climat déréglé par les nouvelles missions

« La désertification s’étend de façon exponentielle, mais les médecins sont arcboutés sur un mode de fonctionnement qu’ils ne peuvent plus assumer. […] Le pharmacien pourrait agir dans certains cas comme les cystites avec des protocoles faits par la Haute Autorité de santé (HAS) », estime Laurent Filoche, titulaire, président du réseau Pharmacorp (Hygie 31) et de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) qui voit dans cette attitude « un blocage purement corporatiste ». « Je remercie toujours un pharmacien qui m’appelle car je n’ai pas envie qu’il craigne de le faire. Plusieurs fois, ils m’ont alerté sur des erreurs. Le pharmacien de proximité est une sécurité sanitaire », explique Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la Fédération des médecins de France, qui se souvient avoir défilé avec les officinaux quand Emmanuel Macron, alors ministre délégué au Budget, voulait vendre les médicaments en grande surface. Le temps serait-il à l’éclaircie ? Presque. « Je trouve dommage que leurs syndicats veuillent faire changer le métier des pharmaciens. Les tentatives comme les tests angine ou le traitement des cystites m’ont bien énervé : quand je vois une angine, j’écoute le cœur, je vérifie l’absence d’éruption, et en cas de fièvre l’absence de syndrome méningé », détaille le médecin installé à Clamart (Hauts-de-Seine). Pour lui, l’élargissement des missions ne vont pas arranger la coopération interprofessionnelle : « Cette dérive finira, à terme, par crisper les relations. », estime-t-il. Les prévisions dialogiques entre médecins et pharmaciens restent donc instables. La jeune Elise Fraih se montre toutefois plus nuancée. Elle estime, par exemple, que la cystite peut être prise en charge par le pharmacien, à condition qu’elle le soit dans un protocole bien balisé. Celle qui, à sa propre initiative, avait, durant sa scolarité, passé deux journées en officine considère qu’il est « toujours bon, quand on a un projet de santé à l’échelle d’un territoire, de se parler régulièrement et de voir comment mieux faire ». Ses confrères adhérents à Reagjir abondent dans ce sens. Ils apprécient que les pharmacies vaccinent, s’impliquent dans l’éducation thérapeutique, rejoignent un groupe WhatsApp à propos des ruptures, etc. Et la présidente d’ajouter : « Quand nous sommes en difficulté avec des ordonnances très longues, que nous aimerions raccourcir, il serait bon de pouvoir avoir l'avis d'un pharmacien, mais sans que cela ne soit imposé. », modère la médecin.

L’interpro : une éclaircie ?

L’encouragement au travail interprofessionnel suffit-il à apporter une accalmie dans cette météo orageuse ? Cela n’est pas aussi évident. « Au sein des CPTS, il est compliqué de recruter des médecins pour participer aux groupes de travail. C'est toute l’incohérence du système. […] J’ai entendu une médecin, en réunion de CPTS, dire et répéter qu’elle était contre la nouvelle possibilité du pharmacien de vacciner, et contre celles de demain, de dispenser un antibiotique à la suite d’un Trod (test rapide d’orientation diagnostique) angine, d’être référent etc », s’inquiète Audrey Gautier qui n’en revient toujours pas. En face, le discours se place ailleurs. « On ne devrait pas valoriser les CPTS, mais faire en sorte que les plus de 60 ans et toute personne en affection de longue durée (ALD) aient un pharmacien référent, un infirmier référent et un médecin traitant, et que ces derniers soient valorisés pour leur travail de proximité. », estime de son côté Jean-Paul Hamon. Pourtant, certains de ses confrères trouvent déjà leur compte à un meilleur partage des tâches. « Antoine Delaborde, vice-président de notre CPTS, a bien compris son intérêt de déléguer certaines pratiques. Et il se donne les moyens de changer les choses : il a recruté une assistante médicale et participe à la CPTS. Il prend du temps pour assiter aux réunions et accepte de modifier ses pratiques », souligne, tel un rayon de soleil qui perce les nuages, Audrey Gautier.

Qui fait la pluie et le beau temps ?

Aujourd’hui, les ruptures de stock à répétition sur les médicaments sont source de nouvelles tensions entre médecins et pharmaciens : « Comme nous n’avons pas accès au diagnostic du médecin, on ne peut pas proposer d’alternative au patient. On doit appeler le prescripteur. On remarque d'ailleurs beaucoup de prescriptions de confort, mais il est difficile d’expliquer qu’on manque de tel antibiotique et de demander si ce dernier est bien nécessaire. », explique Audrey Gautier. Elle comprend aussi qu'à force d’être sollicités au téléphone à ce sujet, les médecins puissent avoir l'impression d'être harcelés : « Si nous avions accès au diagnostic, nous trouverions des alternatives sans avoir besoin de les solliciter ». Pour apaiser les relations, elle pense « qu’il faudrait donner à chaque profession sa responsabilité : au médecin le diagnostic, au pharmacien le traitement. » Et s’il suffisait de commencer par apprendre à se connaître ? « Pendant mon stage, je tremblais presque devant le téléphone avant de contacter un médecin, me demandant comment il allait prendre mon appel », se souvient Guillaume Racle, adjoint à la Pharmacie des 4 couleurs à Bohain-En-Vermandois (Aisne), cofondateur et secrétaire général de la CPTS Nord-Aisne (qui regroupe les 12 médecins et les 11 pharmaciens du territoire). Quelques années plus tard, la tempête a cessé : « Nous n’avions pas créé de relations humaines avec le médecin. Nous l'appelions seulement pour un problème ». Entre temps, le Covid-19 est passé par là. Tous les acteurs de la santé de proximité se sont mis à coopérer pour faire face et, ensemble, ils ont depuis constitué une CPTS pour formaliser ce qu’ils avaient mis en place en temps de crise. « Aujourd’hui, quand j’appelle un médecin, cela n’a rien à voir : nous sommes désormais dans la discussion et plus dans le conflit », se félicite Guillaume Racle. Et la conversation commence souvent par « Comment ça va ?» ». Soudain, les relations sont au beau fixe.



Par Fabienne Colin

Les dernières réactions

  • 09/03/2023 à 22:26
    Colline55
    alerter
    C est vrai qu il y’a une meilleure communication médecin pharmacien mais ce qui est inquiétant c est le désert médical et le fait qu il y ait de moins en moins de médecin pouvant prescrire des ordonnances devons nous prendre leur place ? Quelle sera la rémunération des pharmaciens adjoint qui en font de plus en plus pour le même salaire et des préparateurs qui se voient avec de nouvelles responsabilités ?

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