L’article 7 du projet de loi sur l’immigration déposé au conseil d’État le 19 décembre dernier, bientôt en débat au parlement, ambitionne de simplifier les dispositions du passeport talent pour les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens, « dès lors qu’ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif ». Objectif : faciliter et accélérer le recrutement de praticiens étrangers qui, aujourd’hui, ne peuvent pas être embauchés faute de titre de séjour. À ce stade, les officines ne sont pas les premières concernées par cette mesure, même si elles aussi sont confrontées à un manque criant de personnel sur les postes d’adjoints et de préparateurs. Qu'en disent les représentants de la profession ? Souhaitent-ils voir cette disposition étendue au réseau officinal ? La question fait visiblement débat.
Des pour et des contre…S’il ne lui appartient pas de prendre position sur le projet du gouvernement, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens ne semble pas fermé à cette éventualité. Il rappelle d’ailleurs que « dans le cadre de sa mobilisation sur les enjeux d’attractivité et de démographie annoncée en décembre dernier, un groupe de travail visant à simplifier la reconnaissance et l’exercice de diplômés étrangers, tout en garantissant l’équivalence des compétences, a été mis en place. » À la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et à l’Union des syndicats de pharmacies d’officine (USPO), l’accueil est aussi plutôt favorable. « Il faut absolument que l’on trouve des solutions pour régler ce manque de bras, rappelle Pierre-Olivier Variot, le président de l’USPO. Or, je ne vois pas pourquoi les chirurgiens et/ou les dentistes roumains ont le droit d’exercer en France sans que cela ne pose problème, mais pas les pharmaciens ou les préparateurs en pharmacie. » Pour Alain Grollaud, le président de la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie, Federgy, « On marche vraiment sur la tête. Cela fait des années que nous tirons la sonnette d’alarme sur le fait que les réformes PASS (parcours accès santé spécifique, NdlR) et LAS (licence avec option Accès santé, NdlR) vont nous conduire droit dans le mur. Nous y sommes ! Aujourd’hui, on se demande s’il faut aller chercher des pharmaciens étrangers alors que nous ne sommes même plus capables de remplir les bancs de nos facultés de pharmacie en deuxième année. » Le président et fondateur de l’Association nationale des préparateurs en pharmacie d’officine (ANPPO), Patrick Béguin, a lui sondé sa base sur le projet du gouvernement. « Cette mesure suscite pas mal de craintes et de rejets, constate-t-il. Beaucoup considèrent qu’avant de faire venir des confrères de l’étranger, il faudrait déjà fournir des postes et des rémunérations convenables aux préparateurs en place. ll ne faudrait pas que les pharmaciens en profitent pour recruter des personnels étrangers payés avec un salaire de misère et qui seront corvéables à merci. » Pour Philippe Denry, ce risque n’existe pas. « Lorsqu’il embauche un pharmacien ou un préparateur, qu’il soit français ou étranger, un titulaire doit toujours respecter la convention collective et ses grilles de salaire minimum. Ceci étant dit, si nous parvenions, grâce à cette mesure, à atténuer les tensions sur le marché de l’emploi, cela permettrait peut-être de revenir à une situation plus normale sur les niveaux de coefficient négociés actuellement par les candidats », argumente le vice-président de la FSPF.
Des procédures complexesSi le gouvernement entend réformer les procédures d’autorisation actuelles pilotées par le Centre national de gestion (CNG), c’est aussi parce que, sur le terrain, elles sont jugées trop complexes. « Il y a trois ans, un pharmacien syrien qui avait quitté son pays à cause de la guerre a poussé la porte de ma pharmacie pour me demander si j’acceptais de le recruter en contrat de professionnalisation pour devenir… préparateur en pharmacie, raconte Thomas Avril, titulaire de la pharmacie qui porte son nom aux Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire). En effectuant les démarches auprès du CNG, il s’était heurté à un mur. La seule chose qu’on lui avait proposée, c’était de reprendre des études de pharmacie en deuxième année. Âgé d’une quarantaine d’années, il avait préféré se former pour devenir préparateur. Et après les deux ans de BP (brevet professionnel, NdlR) en alternance chez nous, il a été recruté dans une autre officine à Angers. » De son côté, la titulaire de la pharmacie Descartes à Cholet (Maine-et-Loire), Nethnary Quillet, aurait souhaité embaucher comme salarié polyvalent un pharmacien guinéen actuellement compagnon chez Emmaüs. « Cela fait deux ans que je n’ai plus d’adjoint. Je suis au comptoir six jours sur sept, et dois assurer toutes les gardes. Pour m’investir dans les nouvelles missions et pour mon bien-être personnel, j’adorerais pouvoir recruter ce pharmacien guinéen comme adjoint. Il colle parfaitement au profil que je recherche. Il parle très bien le français, est extrêmement motivé, et presque plus diplômé que moi puisqu’il a suivi une formation complémentaire à la faculté de pharmacie de Nantes qu’il n’a pas pu valider étant en situation irrégulière. Malheureusement, ce ne sera pas possible, même s’il arrive à obtenir sa carte de séjour, faute d'autorisation d'exercer. »
Pas à n’importe quelle condition« C’est vrai que les procédures actuelles sont lourdes, et elles pourraient être simplifiées et accélérées, reconnaît Philippe Touzy, chef du département Autorisation d’exercice, concours et coaching du CNG. Mais, nous sommes sur des professions réglementées. Vous ne pouvez pas mettre n’importe qui face à un patient ! » « Cette mesure ne doit pas se traduire par une dégradation de la qualité du service rendu aux patients, complète Laurent Filoche, le président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). Pour Philippe Denry, de la FSPF, la limite à ne pas franchir est claire. « Il serait inconcevable que les représentants de la profession ne soient plus consultés dans les procédures d’autorisation. Il faudra donc conserver le principe de commissions avec un fonctionnement collégial qui pourraient être pilotées par l’Ordre », estime-t-il. Or sur ce point, le projet de loi reste vague. Il stipule que la délivrance de ces cartes de séjour pluriannuelles devrait être conditionnée à une autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS). « Comment ces commissions régionales au sein des ARS seront-elles composées ? Est-ce que les ordres, le CNG ou la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ne seront plus consultés ? », s’interroge le docteur Slim Bramli, président de la Fédération des praticiens de santé (FPS), qui défend l’intégration par le mérite des praticiens à diplômes hors Union européenne (Padhue). « Je crains qu’avec ce dispositif, on reconstitue un nouveau stock de médecins et pharmaciens étrangers qui seront dans l’impossibilité d’exercer en cas d’échec au concours des EVC (épreuves de vérification des connaissances, NdlR) et/ou non retenus par la commission d’autorisation d’exercice (CAE). Or, il y en a déjà beaucoup actuellement sur le territoire français en attente de régularisation. Alors qu’en 2022, aucun EVC n’a été organisé. », ajoute-t-il.
Voir à plus long termePour tous ces professionnels, le recours à l’immigration ne sera qu’une solution temporaire, et elle ne permettra en aucun cas de régler les problèmes de fond. « La solution, tout le monde la connaît, note Alain Grollaud. Il faut augmenter le numerus clausus, jeter aux orties les filières PASS et LAS, et revenir à l’ancien dispositif Paces (première année commune aux études de santé, NdlR) afin de rendre les facultés de pharmacie à nouveau autonomes et visibles aux yeux des étudiants. » Il s'agira également de susciter l'envie et de réveiller les vocations, comme le suggère Pierre-Olivier Variot : « Il faudra aussi travailler sur l’attractivité de la filière officinale en allant expliquer aux collégiens et aux lycéens la réalité des métiers de l’officine qui a beaucoup changé ces dernières années… ».
Yves Rivoal
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