Le savon de Marseille - Porphyre n° 538 du 29/11/2017 - Revues
 
Porphyre n° 538 du 29/11/2017
 

Savoir

Le point sur…

Auteur(s) : Florence Leandro

Produit d’hygiène incontournable, le savon de Marseille est victime de nombreuses idées reçues. Mieux connaître son histoire et sa composition permet d’en apprécier les vertus.

Un peu d’histoire

• L’ancêtre du savon de Marseille est le savon d’Alep, mis au point vers 300 avant Jésus-Christ au Moyen-Orient. Les Marseillais l’importent et le commercialisent avant de créer leur savon, sans doute autour du XIIe siècle.

• La composition de ces deux savons est proche, mais celui d’Alep contient en plus de l’huile de baies de laurier noble (Laurus nobilis). En forte proportion – 30 % et plus –, cette huile aux propriétés anti-infectieuses s’avère intéressante dans l’acné et dans le psoriasis grâce à la présence également de glycérine.

• Le premier maître savonnier connu est Crescas Davin, à la fin du XIVe siècle. La première savonnerie qui industrialise son procédé naît deux cents ans plus tard.

• En 1688, le ministre Colbert, souhaitant protéger le savon de Marseille, propose à la signature de Louis XIV un édit royal qui définit ce qu’est un « vrai » savon de Marseille. Au-delà du lieu, ce sont le procédé et la recette qui comptent, c’està-dire un savon à base d’huile végétale uniquement, dans laquelle est mélangé un « alcali » ou « sel » en arabe, qui est de la soude ou de la potasse, et que l’on cuit au chaudron. Le savon de Marseille ne doit comporter aucun additif.

Un peu de chimie

• Pour nettoyer la peau ou un tissu, il faut décoller les impuretés, les émulsionner, puis rincer afin d’éliminer l’émulsion salissures-eau formée. Ce mécanisme s’appelle la détergence.

• Un détergent est constitué de molécules de tensio-actifs permettant d’assurer ce nettoyage grâce à quatre propriétés ou pouvoirs : mouillant, émulsifiant (ou émulsionnant), dispersant et moussant. Les savons sont des détergents particuliers.

• La molécule de savon est un tensio-actif anionique composé d’une tête hydrophile et d’un corps hydrophobe correspondant à la chaîne carbonée de l’acide gras. Les impuretés se retrouvent piégées dans des micelles (voir Dico+), puis sont dispersées et éliminées par l’eau. L’efficacité d’un savon est renforcée par une action mécanique et le fait de « frotter » pour décoller les impuretés.

• Les savons sont des sels d’acide gras obtenus par saponification de corps gras naturels (voir ci-dessous).

• La saponification, du latin « sapo », qui signifie savon, est une réaction chimique d’hydrolyse alcaline, lente mais totale, entre une graisse, ici des triglycérides, c’est-à-dire des triesters d’acides gras contenus dans l’huile végétale, et une base, essentiellement la soude caustique depuis la fin du XVIIIe siècle, ou la potasse. Les produits formés sont un alcool, le glycérol – ou glycérine –, et la molécule de savon sous forme de sels de sodium si la base est de la soude.

Deux types selon l’huile

Il existe deux sortes de savon de Marseille sur le marché selon l’huile végétale majoritaire utilisée lors de la saponification.

→ Le savon de Marseille « originel » est vert, à base d’huile d’olive.

→ La variante élaborée à la fin du XVIe siècle est blanche ou beige, à base d’huile de coprah (coco) et d’huile de palme.

Dans tous les cas, le taux d’acides gras dans le produit fini est fixé à 72 % suite aux travaux du chimiste Merklen en 1906. À mesure que le savon sèche, cette teneur en huile augmente. Seule une partie de la glycérine formée est conservée afin de profiter de ses propriétés humectantes (absorbe et retient l’eau) car, en quantité trop importante, elle tend à assécher la peau. Ainsi, le savon de Marseille est un savon solide particulièrement économique, très stable dans le temps et fortement concentré en molécules de savon responsables du pouvoir nettoyant.

Propriétés des savons

• Plus l’acide gras est long, c’est-à-dire plus le nombre d’atomes de carbone est grand, et moins le savon est moussant et irritant. De même, la présence de doubles liaisons – acides gras insaturés – diminue le pouvoir de détergence.

→ Le savon de Marseille de couleur verte est naturellement doux, très crémeux et mousse assez peu du fait de la présence d’huile d’olive, source d’acide oléique, un acide gras insaturé à 18 atomes de carbone.

→ Le savon de Marseille de couleur blanche ou beige est bien plus moussant et détergent car les huiles de coprah et de palme sont riches en acides gras saturés à chaînes plus courtes, tels les acides laurique (12 atomes), myristique (14 atomes) ou palmitique (16 atomes).

• L’alcalinité de tout savon fait monter le pH cutané à 9 ou 10, le retour à la normale (pH acide autour de 5,5) s’effectuant entre 30 minutes et 3 heures. Le savon élimine le film hydrolipidique durant trois heures, d’où un effet desséchant. Pour remédier à l’action desséchante, il faut incorporer en fin de fabrication un corps gras supplémentaire tel que l’huile d’amande douce, du beurre de karité… et des humectants, telle la glycérine. Le savon obtenu n’est plus un savon de Marseille mais un savon surgras, recommandé dans certaines pathologies cutanées comme la dermatite atopique (voir la « Patho », Porphyre n° 517, novembre 2015).

• Au contact d’une eau « dure », calcaire, riche en cations calcium et magnésium, les savons donnent des sels quasi insolubles qui retardent l’effet moussant et provoquent des sensations de tiraillement. L’ajout de complexant (EDTA…) peut contrer cet effet. Mais, là encore, ce n’est plus du savon de Marseille…

Usages quotidiens

Le savon de Marseille est parfois accusé de « décaper » la peau, mais il n’est pas plus décapant qu’un autre. Il peut s’utiliser quotidiennement pour nettoyer une peau non pathologique et présente l’avantage d’être hypoallergénique, car sans additif. Les propriétés et les usages diffèrent selon l’huile végétale.

• Le savon de Marseille vert est utilisé pour la toilette du corps, du visage et des cheveux.

• Le savon de Marseille blanc ou beige est surtout employé pour le linge et la maison.

Usages santé

• Se laver les mains régulièrement à l’eau et au savon, de Marseille ou non, permet de lutter contre la propagation des infections comme la grippe ou la gastro-entérite.

• « L’eau du robinet et le savon ne sont jamais contre-indiqués sur une plaie », rappelle la Société française de médecine d’urgence (SFMU)(1). L’action mécanique du savonnage en frottant aide à la détersion de la cicatrisation. Le savon de Marseille, sans colorant, conservateur ou parfum, est bien adapté pour nettoyer les plaies, tatouages et piercings compris, et les débarrasser d’éventuels débris organiques. Dans certaines dermatoses bactériennes, comme l’impétigo, les soins d’hygiène quotidiens à l’eau et au savon(2) sont recommandés.

• Les autres vertus santé de ce savon sont plus surprenantes, voire magiques. Il soulagerait des crampes nocturnes, en friction ou mis sous le lit (!), et apaiserait les piqûres de moustique en les frottant avec un morceau de savon sec ou à peine humide, pour un effet antiprurigineux.

Distinguer le vrai du faux

• Seule une poignée de savonneries fabrique le « vrai » savon de Marseille selon les critères de l’édit royal de 1688 et dont la teneur en huile est de 72 %. Cependant, la mention « savon de Marseille » est largement utilisée car aucune véritable appellation n’a été mise en place.

• Depuis les normes réglementaires Reach (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques) au niveau européen, le savon est un produit cosmétique. Chaque formule est déclarée au centre anti-poison et sa fiche technique est consultable dans tout point de vente, ce qui est très utile car l’étiquetage est souvent absent du savon en cube ou en barre.

• Le consommateur doit donc être attentif à la composition. Un « vrai » savon de Marseille contient uniquement de l’huile végétale (sodium olivate, sodium palmate, sodium cocoate selon le cas), de l’eau (aqua), de la glycérine (glycerin ou glycerol) issue de la réaction de saponification et du sel (sodium chloride) car de l’eau salée est utilisée en fin de processus pour laver le savon et le purifier de son excès de soude.

• Les lessives estampillées « savon de Marseille » n’en contiennent pas ou alors en infime quantité ne permettant pas d’affirmer que la lessive est naturelle ou hypoallergénique. Par contre, certaines personnes utilisent directement le savon de Marseille en copeaux pour laver le linge.

• Parmi les nombreux « faux » savons de Marseille, pas forcément de mauvaise qualité, il y a les savons liquides fabriqués selon un procédé différent et à forte teneur en eau, les parfumés et ceux à base de graisse animale (sodium tallowate), en grande distribution, sur les marchés, dans les magasins de souvenirs et dans de nombreuses pharmacies…

Avec la participation de Sylvain Dijon, maître savonnier, et du Dr Hugues Lefort, médecin chef du service d’accueil des urgences de l’hôpital d’instruction des armées Legouest (Metz) et membre de la commission des référentiels de la SFMU.

(1) Référentiel de bonne pratique : plaies aiguës en structure d’urgence, Société française de médecine d’urgence, septembre 2017. Sur www.sfmu.org

(2) Prescription des antibiotiques par voie locale dans les infections cutanées bactériennes primitives ou secondaires , ANSM (ex-Afssaps), juillet 2004. Sur www.infectiologie.com

Dico+

→ Une micelle est une structure plus ou moins sphérique regroupant les corps hydrophobes des tensio-actifs à l’intérieur, au contact des saletés, et les têtes hydrophiles à l’extérieur, au contact du milieu aqueux. Sur le même principe, une bulle de savon n’est rien d’autre qu’une fine pellicule d’eau emprisonnée entre deux couches de molécules de savon.

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