Trop d’écrans chez les petits enfants ! - Porphyre n° 534 du 28/06/2017 - Revues
 
Porphyre n° 534 du 28/06/2017
 

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Actus

Auteur(s) : Thierry Pennable

Un collectif de professionnels de santé alerte sur les risques graves d’une surexposition des jeunes enfants aux écrans. Ils demandent que des recherches cliniques soient menées et des recommandations diffusées dans l’ensemble des lieux de consultation de la petite enfance.

Smartphone, tablette, ordinateur, console, télé, la multiplication des supports entraîne un risque de surexposition aux écrans potentiellement délétère dès le premier âge. Alarmés par leurs constats sur le terrain, des médecins, pédiatres, psychologues et orthophonistes – réunis dans un collectif – ont signé une tribune dans Le Monde du 30 mai 2017(1). Ils y alertent parents, professionnels de santé et pouvoirs publics sur les conséquences graves que peuvent avoir les écrans sur le développement des jeunes enfants.

Une intelligence très artificielle

« Les écrans, qui sont des capteurs d’attention, présentent un risque addictif dommageable pour le premier développement, à un âge où la maturation cérébrale de l’enfant nécessite d’utiliser ses cinq sens pour apprendre à agir avec les objets de son environnement », constate Anne Lefebvre, psychologue clinicienne en pédopsychiatrie au CHI de Créteil (94), cosignataire de la tribune. Des doses trop importantes de stimulations visuelles amènent le jeune enfant à ne plus rechercher que cette source de stimulation, au détriment des autres activités d’éveil. « Or, ce n’est pas en voyant une image lumineuse du monde que le jeune enfant se développe, mais en interagissant sur celui-ci », ajoute la spécialiste. Si les écrans tactiles réagissent au toucher, cette utilisation du « sens du toucher » est en réalité très pauvre. Il lui manque le déplacement du corps dans l’espace, les expérimentations et les manipulations. Ces enfants développent une forme d’intelligence qui « trompe le parent » alors qu’il ne s’agit que d’« un automatisme cérébral pour répondre à un stimulus visuel », prévient le Dr Anne Lise Ducanda(2)(3). Ainsi, certains enfants sont capables de télécharger leur dessin animé préféré mais ne répondent pas à leur prénom ou sont indifférents au monde qui les entoure.

Un message brouillé

En 2013, l’Académie des sciences(4) a reconnu leurs avantages, relevant par exemple l’usage éducatif évident des logiciels pédagogiques conçus spécifiquement par les laboratoires de recherche en sciences cognitives afin d’aider les enfants à surmonter leurs difficultés en lecture ou en calcul… Et même si le rapport recommande une prudence lucide, « le message sur l’utilisation des écrans est brouillé, estime Anne Lefebvre, également présidente de l’association Alerte écrans. Ce discours rassurant a contribué à l’inefficacité des campagnes de prévention ultérieures ».

Des symptômes plus ou moins graves

« De très jeunes enfants ne nous regardent pas quand on s’adresse à eux, ne communiquent pas, ne recherchent pas les autres », relèvent les professionnels. Ces retards de langage et de développement s’expliquent par le seul fait que parents et bébés, captés par les écrans, ne peuvent plus suffisamment se regarder et construire leur relation. Dans d’autres cas, les symptômes sont plus sévères, « très proches des troubles du spectre autistique » et ont motivé l’alerte. Avec des enfants qui n’ont aucune maîtrise du langage à 4 ans ou sont incapables de maintenir leur regard orienté vers l’objet qu’on leur tend, hormis le portable. « La question du temps d’exposition aux écrans doit être systématiquement posée par les professionnels de première ligne devant chaque situation d’enfant présentant de tels troubles, avant de l’adresser à un service spécialisé pour un diagnostic formel d’autisme », préconise Anne Lefebvre.

Un diagnostic différentiel de l’autisme

Cette similitude avec l’autisme pose problème, notamment au moment où l’explosion des cas diagnostiqués est généralement expliquée par des dépistages plus précoces et une nouvelle classification des symptômes. Selon la psychologue, « les outils diagnostiques standardisés d’aujourd’hui n’intègrent pas la question des écrans. Ce qui aboutit probablement à des diagnostics d’autisme faussement positifs ». Ce que le Dr Ducanda décrit comme « un autisme d’origine environnementale, induit par un environnement pauvre et inadapté ».

Deux niveaux d’intervention

« L’objectif n’est pas de bannir totalement les écrans, qui peuvent être un formidable outil pour des enfants qui ont déjà acquis la capacité de penser, de raisonner et d’avoir un esprit critique, précise Anne Lefebvre. Mais un usage raisonné est recommandé pour prévenir les troubles ». Pas d’écran avant l’âge de 3 ans, puis de courtes durées et toujours avec un adulte jusqu’à 6 ans. Ensuite, un usage au service de la créativité, de la raison, de la connaissance et du savoir, et pas uniquement récréatif, lorsque les apprentissages fondamentaux sont construits. Dans de nombreux cas de surexposition, les familles arrivent à réguler elles-mêmes très rapidement le temps d’exposition aux écrans lorsqu’elles sont bien informées et accompagnées.

Les cas les plus sévères nécessiteront un suivi ambulatoire au long cours. Leur prise en charge consiste en l’arrêt complet de l’exposition aux écrans, avec une réversibilité spontanée et complète des troubles. Avec parfois des séances d’orthophonie et de psychomotricité pour soutenir la reprise du développement. « La réversibilité des troubles dépend de la durée de l’exposition massive aux écrans, et donc de la précocité de la prise en charge. Elle peut n’être que partielle. Certains enfants relèvent alors du champ du handicap par carences éducatives massives et sur-stimulation visuelle », alerte la spécialiste.

Une consultation spécialisée si besoin

Les parents inquiets par la consommation « visuelle » de leur enfant peuvent commencer par appliquer la règle des « 4 pas d’écran » : pas d’écran le matin avant l’école, le soir avant de dormir, durant les repas et dans la chambre (voir encadré ci-contre). En cas de difficultés, ils peuvent être orientés vers un professionnel connaissant bien cette problématique, un service de protection maternelle infantile (PMI, avant 6 ans) ou un centre médico-psychologique infantile (CMP enfant et ou adolescent). Idéalement pour les troubles sévères avant l’âge de 3 ans, vers une consultation « parents-bébés » en pédopsychiatrie lorsqu’elle existe. En lançant cette alerte, « nous demandons que des recherches cliniques et fondamentales soient menées par des équipes indépendantes sans conflits d’intérêt avec les développeurs du numérique, insiste Anne Lefebvre . Pour que des recommandations issues de ces travaux soient diffusées ».

(1) Disponible sur le site d’Alerte écrans, www.alertecran.org, ou sur la page Facebook, www.facebook.com/ alerte.reduction.temps.ecran

(2) Écrans et autisme : un médecin de PMI lance l’alerte , interview du Dr Ducanda sur www.gynger.fr

(3) Les docteurs Anne-Lise Ducanda et Isabelle Terrasse ont également mis en ligne une vidéo sur ce sujet sur www.alertecran.org

(4) L’enfant et les écrans , avis de l’Académie des sciences , Éditions Le Pommier, janvier 2013.

À télécharger

Le dépliant et l’affiche « 4 pas » sont disponibles sur www.alertecran.org et sont désormais transmis dans les livrets CAF à tous les jeunes parents au moment de la naissance.

« 4 temps sans écrans »*

1. Pas d’écrans le matin

L’enfant qui regarde un écran au réveil fatigue son système attentionnel avant d’arriver en classe. Résultat, en cours, il bouge, parle, fait tomber ses affaires… et ne parvient plus à se concentrer.

2. Pas d’écrans durant les repas

Un enfant qui grandit avec une télé allumée en permanence acquerra un vocabulaire plus pauvre. Entre 15 mois et 4 ans, deux heures de télé par jour multiplient par trois la probabilité de voir des retards de développement de langage.

3. Pas d’écrans avant de s’endormir

L’image animée, même adaptée à l’enfant, est trop stimulante émotionnellement. Le sommeil, qui se forme avec les dernières images perçues, est altéré.

4. Pas d’écrans dans la chambre

La présence d’un écran réduit le temps de sommeil. Sans écrans, l’enfant apprend à développer des compétences essentielles pour le développement de sa pensée et de son attention.

(*) D’après « 4 temps sans écrans = 4 pas pour mieux avancer », supports rédigés par Sabine Duflo, psychologue, qui reprend en partie les recommandations des pédiatres nord-américains.

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