Vous en êtes où avec la clope ? - Porphyre n° 526 du 27/09/2016 - Revues
 
Porphyre n° 526 du 27/09/2016
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Christine Julien

Inciter les fumeurs à arrêter. Repérer et faire réfléchir les addicts au tabac qui songent ou non à l’arrêt est possible grâce à une intervention brève centrée sur les motivations.

Pourquoi intervenir

Le tabac tue et ruine

Le tabac tue, et beaucoup. 78 000(1) personnes meurent chaque année en France d’un cancer du poumon (lire la patho p. 27), de maladies cardio-vasculaires et respiratoires et autres joyeusetés, cancer de la vessie, etc. Le tabac est source de misère sociale, voire d’exclusion, car il passera avant d’autres besoins de base(2). Un paquet par jour à 7 € en moyenne dans un ménage où rentre un Smic ou un coefficient 230, c’est un peu plus de deux mois de salaire partis en fumée chaque année.

Vous avez des atouts

C’est votre job. Selon la Haute Autorité de santé(3), « tous les professionnels de santé en contact avec la population devraient s’impliquer dans l’aide à l’arrêt du tabac ». Et l’article L-4331-1 du code de la santé publique indique que « l’ordre national des pharmaciens a pour objet de […] contribuer à promouvoir la santé publique… »

→ C’est efficace. Le nombre de fumeurs qui arrêtent augmente s’ils bénéficient d’une intervention minimale d’un professionnel de la santé consistant à aborder le tabagisme durant trois à cinq minutes.(4)

→ C’est dans vos cordes. Les officinaux sont accessibles, ont la confiance du public, sont experts en pharmacologie et substituts nicotiniques, sont disponibles sans rendez-vous à une grande amplitude horaire. Ils sont une alternative entre l’arrêt « seul » et le sevrage médicalisé qui ne convient pas à tous.

Entrer dans le processus

Niveaux d’intervention

Selon votre implication, la réceptivité et les besoins du fumeur, vous pouvez(5) :

→ sensibiliser aux risques du tabac mais surtout aux bienfaits de l’arrêt ;

→ assister le fumeur à se positionner sur sa consommation, sa dépendance et sa motivation à l’arrêt ;

→ proposer de l’aide pour réduire ou arrêter sa consommation ;

→ accompagner le sevrage mis en place à l’officine ou avec d’autres ;

→ orienter si besoin vers le médecin traitant ou des structures spécialisées : Tabac-Info-Service, tabacologues des équipes de liaison et de soins en addictologie…

Occasions d’en parler

→ En délivrant des médicaments : pour des maladies liées au tabac ou pour lesquelles il est facteur de risque (BPCO, HTA, contraception, psoriasis…) ; pour des enfants asthmatiques ou souvent malades (antibiotiques, antitussifs…) ; sensibles au pouvoir inducteur de la fumée (clozapine, olanzapine, halopéridol, flécaïnide, antidépresseurs tricycliques, fluvoxamine, héparines)…

→ Dans certains états. Femmes enceintes ou souhaitant l’être et leur conjoint, femmes allaitantes, adolescents, avant ou après une opération chirurgicale…

→ Lors de la vente de produits cosmétiques, anti-âge, de dentifrices blanchissants, de laits maternisés…

Signifier votre place

Donnez un signe clair au patient que vous pouvez l’aider dans sa démarche.

→ Diffuser de l’info via des affiches, des brochures en accès libre… toute l’année et pas que le 31 mai, Journée mondiale sans tabac ! Les changer régulièrement.

→ Exposer les substituts nicotiniques avec des infos claires et lisibles sur les prix.

En savoir un minimum

Sur les traitements de substitution

Formes, dosages, équivalences, changement de marque en cas d’allergie à un adhésif de patch… Sur les traitements de substitution nicotinique, « il faut aussi avoir les bonnes infos sur le remboursement de l’Assurance maladie (voir encadré p. 54). Quand on maîtrise les connaissances basiques, on peut donner le bon conseil », affirme Olivier Smadja, tabacologue et responsable de Tabac-Info-Service.

Sur la dépendance

Sans être un spécialiste, notez que fumer du tabac rend dépendant sur les plans physique, psychologique et comportemental. Avant l’héroïne, la cocaïne ou l’alcool, « le tabac est la drogue la plus addictogène », pointe Olivier Smadja. Jean-Pol Tassin, directeur de recherche au Collège de France, explique(6) que « 90 % des fumeurs réguliers sont dépendants, mais 22 % de la population, c’est-à-dire des personnes qui ont essayé de fumer une fois dans leur vie, sont devenus dépendants. C’est considérable. Pour l’alcool, suivant les études, c’est entre 2 et 8 % ». À noter : l’addiction serait liée à des dérégulations des systèmes adrénergiques et sérotoninergiques, produites par la présence simultanée de nicotine et d’inhibiteurs de la monoamine-oxydase (Imao) dans la fumée(6).

Sur l’intention

« Derrière tout comportement, il y a une intention positive et chaque comportement a des conséquences, positives ou pas, explique Agnès Rettel, psychothérapeute, coach et formatrice en communication. Le comportement cherche à remplir quelque chose dont on a besoin, qui est important pour nous, mais qui n’est pas forcément conscient ». On fume pour se donner une contenance, déstresser, s’accorder un peu de temps,etc., même si son impact est délétère pour sa santé.

Contrer ses points faibles

Gérer vos freins

Manque de temps, de lieu confidentiel, d’implication de l’équipe, ne pas se sentir compétent, ne pas avoir d’intérêt au sevrage ou être soi-même fumeur… Les freins sont nombreux mais le succès des conseils aux fumeurs dépend surtout « de la disponibilité de l’interlocuteur et de son aptitude à créer une relation de confiance, de partenariat ».(3)

Oublier le mot « volonté »

Arrêter de fumer n’est pas une question de volonté. Elle ne fait pas le poids face aux dérèglements de l’addiction. En revanche, nul ne s’arrêtera de fumer s’il n’en a pas le désir.

Éviter de démontrer

→ Ni persuasion, ni confrontation agressive. Lors d’une vente conseil d’un antitussif chez un fumeur qui évoque une origine virale, éviter : « Ne me dites pas qu’avec le paquet de cigarettes que vous fumez par jour, cela n’irrite pas vos voies respiratoires. Si vous voulez moins tousser, arrêtez ». Préférez : « Vous pensez que la toux peut être provoquée par une infection virale, vous avez probablement raison. Toutefois, fumer irrite les voies respiratoires et les rend plus sensibles à ce type d’infection. En attendant, nous allons chercher une solution pour soulager cette toux ».

→ Supprimer le « oui mais » : démontrer, prouver, persuader renforcent la résistance. La personne risque de se désintéresser, de vous interrompre ou de nier le problème. Supprimer les « Il faudrait… », « Vous devriez… », etc. L’idée n’est pas de savoir si fumer est bien ou mal, mais de dépasser le jugement en restant impartial.

Le changement

Pour qu’une personne s’engage dans un processus de changement, il faut que ce soit important pour elle, qu’elle ait confiance en sa capacité personnelle à le réaliser et que ce soit le bon moment.

→ La technique de l’entretien motivationnel mise au point par les psychologues William Miller et Stephen Rollnick dans les années 1980 est une approche directive centrée sur la personne. Elle vise à amener un changement de comportement en aidant à explorer et résoudre son ambivalence, à sortir de son immobilisme afin que la motivation vienne d’elle-même.

→ L’ambivalence est le problème clé à solutionner pour que survienne le changement. Une personne veut évoluer et en même temps elle ne le souhaite pas. L’ambivalence résulte de tendances opposées qui entrent en conflit et bloquent le processus. Le fumeur qui lutte contre son addiction connaît les risques, le coût et les dommages de son comportement, mais pour différentes raisons, il est aussi attaché à ce comportement addictif et attiré par lui.

L’intervention brève

C’est quoi ?

→ Un entretien semi-structuré(7) qui évalue la volonté d’arrêter en quelques minutes. L’objectif n’est pas que le client cesser forcément de fumer, mais il permet de faire progresser un certain nombre de fumeurs dans les stades de la désaccoutumance et d’augmenter le nombre de tentatives d’arrêt. Plus de la moitié des fumeurs aimerait stopper (voir encadré), ce qui en fait un groupe particulièrement réceptif.

→ Il utilise quelques points de l’entretien motivationnel. Pour aider le fumeur à s’engager dans le changement de comportement, il faut l’encourager et le valoriser tout au long de sa démarche. Lui montrer de l’empathie en disant « Arrêter de fumer est difficile ».

Dans ce type d’entretien, l’expert est le fumeur car c’est lui qui connaît ses valeurs, ses objectifs, ses compétences et ses motivations. Vous allez juste l’aider à les mettre à jour.

Questionner : fumez-vous ?

Pour commencer, demandez au client « Fumez-vous ? ».

→ S’il répond « oui? », dites-lui : « Est-ce que vous permettez que nous discutions de votre consommation de tabac ? »

→ S’il vous dit « non », demandez s’il a déjà fumé ou arrêté et, dans ce cas, dites : « Vous avez pris une décision bénéfique pour votre santé. Sachez que je suis disponible pour vous aider si vous craignez de rechuter ».

Conseiller d’arrêter de fumer

Avant de savoir si le client est prêt à franchir le pas ou non, recommandez-lui brièvement d’arrêter de fumer en disant : « C’est la chose la plus importante que vous puissiez faire pour votre santé ».

En tant que professionnel de la santé, il est important de défendre une position claire et de donner des informations factuelles sur l’effet nocif du tabagisme. Ce message doit être très bref et neutre. À éviter : les termes « bien » ou « mal » qui se rapportent à ce qui peut être perçu comme un jugement moral. Pas de « Ce n’est pas bien de fumer », « Il ne faudrait pas fumer dans votre état »… parce que les fumeurs le savent. Bannir aussi les questions fermées : « Ne trouvez-vous pas qu’il serait important de diminuer votre consommation de cigarettes ? » ou « Avez-vous peur de prendre du poids en arrêtant ? ». « L’idée est de valoriser l’arrêt? », propose le responsable de Tabac-Info-Service. Préférer s’exprimer plutôt en termes de « Bon/mauvais pour la santé ».

Évaluer le degré de motivation

Posez la question suivante : « Sur une échelle de 1 à 10, à combien estimez-vous votre motivation réelle pour arrêter de fumer, 1 étant la motivation la plus basse et 10 la plus haute ? ».

→ Le client indique une valeur très basse entre 1 et 3 : c’est un fumeur sans intention d’arrêter. L’entretien peut être interrompu, en disant par exemple : « Vous ne semblez pas vraiment prêt à arrêter pour l’instant. Si vous deviez changer d’avis plus tard, je pourrais volontiers répondre à d’éventuelles questions et vous apporter mon soutien ». Proposez une brochure ou un document.(8)

→ Le client donne une valeur entre 4 et 7 : le fumeur réfléchit à un arrêt. Lui demander pourquoi il n’a pas donné une valeur plus basse : « Vous avez avancé le chiffre de?5, mais pourquoi pas 2 ? » Ceci le pousse à parler des motifs en faveur de l’arrêt. Exemples : « Parce que parfois en montant les escaliers, je suis très essoufflé. Dans ces moments, je pense alors à stopper », « Parce que les cigarettes coûtent de plus en plus cher » ou « J’ai des petits-enfants, cela m’embête quand je les garde ». Ces affirmations doivent ensuite être reformulées afin de les renforcer. Par exemple, dites : « Vous vous inquiétez donc de souffrir du manque d’oxygène causé par le fait de fumer ? » Ceci lui permet d’entendre encore une fois les motifs qu’il a lui-même énoncés et qui parlent en faveur d’un arrêt du tabagisme.

Ensuite, tout dépend du temps que vous avez à disposition, si le client est pressé, pas réceptif…

→ Vous avez du temps, questionnez son ambivalence. Essayez de sonder d’autres raisons et de discuter des obstacles qui empêchent le client de tenter un arrêt. La question suivante peut être posée : « Que devrait-il se passer pour que vous indiquiez une valeur plus élevée, du genre 9 ou 10 ? » La personne peut évoquer les raisons pour lesquelles l’arrêt n’est pas une priorité pour l’instant ou les craintes qui l’habitent. Il s’agit d’explorer son ambivalence, c’est-à-dire les avantages et les inconvénients des deux situations : fumer et arrêter. Vous pouvez l’aider en lui demandant : « Qu’est-ce que vous aimez dans le fait de fumer ? » et « Quels sont les inconvénients liés à la cigarette qui vous inquiètent ou vous gênent le plus ? » Puis, « Que retireriez-vous de l’arrêt ? » et « Quelles seraient vos craintes en arrêtant ? » À éviter : les questions fermées du type « Ne trouvez-vous pas qu’il serait très bien de diminuer ? », « Vous avez peur de grossir en cessant de fumer ? »

Des craintes pourront éventuellement être dissipées durant l’entretien. Il vous dit : « J’ai peur de grossir », répondez factuellement : « Il est possible d’arrêter sans prendre de poids en se faisant aider et en mangeant mieux ». À éviter : conseiller, fournir des solutions, lui dire ce qu’il doit faire, argumenter, rassurer, changer de sujet, critiquer, etc.

À ce stade, il est possible de donner directement des conseils en disant : « Savez-vous qu’il existe des aides pour cesser de fumer et que je suis là pour vous aider ? »

→ Vous n’avez pas le temps, interrompez l’entretien, tout en précisant : « Je me tiens volontiers à votre disposition le jour où vous vous déciderez vraiment à arrêter ».

→ Le client désigne une valeur entre 8 et 10 : motivation à l’arrêt très élevée. Le patient souhaite de toute évidence cesser de fumer. Vous pouvez donc discuter avec lui du soutien dont il souhaite disposer.

Consultation pour l’arrêt

Selon votre niveau de compétences et le temps dont vous disposez, vous enchaînerez ici avec une consultation à l’arrêt et pourrez accompagner le client dans sa démarche, idéalement dans un espace de confidentialité. En cas d’impossibilité, de résultat élevé au test de Fagerström et de situations particulières (autres dépendances, maladie chronique, dépendance gestuelle forte…), vous devriez adresser la personne à un centre de consultation approprié ou à la ligne Tabac-Info-Service au 39 89, du lundi au samedi de 8 à 20 heures.

Terminer l’intervention

Résumez brièvement ce qui vient d’être discuté et ce qui est convenu pour la suite. Suivant la situation, vous pouvez simplement vous tenir à disposition pour d’autres interrogations ou aborder des questions organisationnelles en communiquant par exemple les coordonnées de Tabac-Info-Service, d’un centre d’addictologie ou d’un service de tabacologie ou en fixant un nouveau rendez-vous.

Avec l’aimable participation d’Olivier Smadja, responsable de Tabac-Info-Service, d’Agnès Rettel, psychothérapeute, coach et formatrice en communication, et de Thomas Beutler, de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme.

(1) Observatoire français des drogues et des toxicomanies, www.ofdt.fr

(2) La Fume et Petit Manuel de la défume, Pr Robert Molimard.

(3) Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premiers recours, Haute Autorité de santé, octobre 2013.

(4) Arrêter de fumer, bonnes pratiques en officine, Centre de développement scientifique des pharmaciens et Fonds fédéral de lutte contre le tabagisme de Belgique.

(5) Guide de l’addictologie en officine, Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions, www.respadd.org

(6) Jean-Pol Tassin et Marc Kirsch, Entretien avec Jean-Pol Tassin, La lettre du Collège de France, hors-série 3, mis en ligne le 24 juin 2010, http://lettre-cdf.revues.org/283

(7) Méthode de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme.

(8) On a tous une bonne raison d’arrêter de fumer ; Pourquoi arrêter de fumer ; Grossesse sans tabac, etc. Brochures disponible sur le site de l’Inpes, http://inpes.santepubliquefrance.fr

Des chiffres

• Environ 3 jeunes de 17 ans sur 10 fument tous les jours (33 % des garçons et 31,9 % des filles). En 2014, plus de 4 jeunes de 17 ans sur 10 (43,8 %) ont consommé du tabac dans les 30 derniers jours.

• 32,8 % des hommes et 24,5 % des femmes de 18 à 75 ans fument tous les jours. La consommation quotidienne s’amenuise nettement avec l’âge.

Depuis 2007, l’Assurance maladie rembourse les substituts nicotiniques acquis sur prescription, à hdiv de 50 € par an pour tous et de 150 € pour les femmes enceintes, les 20-30 ans, les patients en ALD cancer et les bénéficiaires de la CMU. En 2015, 182 891 personnes en ont bénéficié (OFDT, 2016).

→ Environ 60 % des fumeurs ont envie d’arrêter. Pour la moitié d’entre eux, c’est un projet pour l’année à venir. Près de 30 % ont stoppé au moins une semaine dans les douze mois précédents (source : www.tabac-info-service).

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