Ciel de la cortisone ! - Porphyre n° 523 du 27/05/2016 - Revues
 
Porphyre n° 523 du 27/05/2016
 

Exercer

les mots pour…

Auteur(s) : Florence Leandro

Lutter contre la corticophobie. La peur des dermocorticoïdes peut nuire à l’observance. La repérer, rationaliser les craintes et (ré) apprivoiser sereinement un traitement sont indispensables.

La corticophobie, késaco ?

La corticophobie, ou corticoréticence, est la crainte, la peur, voire le refus d’utiliser des dermocorticoïdes (DC). Elle se voit aussi avec les corticoïdes inhalés.

• Chez les parents. Elle s’observe surtout dans la dermatite atopique de l’enfant, avec des parents réticents à utiliser les DC indispensables lors des poussées (voir Porphyre n° 517). Selon une étude française, en 2011(1), 80 % des parents d’enfants atopiques ou des adultes atteints se déclaraient corticophobes.

• Chez les soignants. La formation sur les corticoïdes est axée sur les voies systémiques et les effets indésirables en cas d’utilisation au long cours. Nombre de soignants restent plus ou moins corticophobes, disant aux patients « C’est mieux d’employer le produit le moins longtemps possible » ou « Appliquez de très petites quantités »… Et « la corticophobie existe aussi chez de nombreux médecins », précise le Dr Mallet, dermatologue à l’hôpital de la Timone de Marseille (13).

Pourquoi tant de haine ?

• Méconnaissance. Infections cutanées, anomalies pigmentaires, acné, retard de cicatrisation… la peur des effets indésirables locaux est entretenue par des notices anxiogènes, où figurent aussi les effets les plus graves, exceptionnels, voire inexistants si l’utilisation est conforme. Citons aussi la peur de la dépendance, de la perte d’efficacité au long cours, de la survenue plus fréquente d’asthme…

• Amalgame avec la voie orale : peur du passage dans le sang des principes actifs, en réalité infinitésimal, et de l’atteinte systémique avec retard de croissance, prise de poids… par analogie avec les corticoïdes oraux.

• Poids de l’histoire : différentes doctrines historiques(2) jadis associées à la dermatite atopique persistent parfois dans l’imaginaire collectif, comme la doctrine des « humeurs » qui suppose que la peau est un émonctoire – une voie d’élimination des déchets – et que la dermatite est un moyen de rétablir l’équilibre interne.

• Discours discordants : le manque d’homogénéité des discours des différents professionnels de santé renforce la peur.

• Désinformation : « Il ne faut pas non plus négliger le rôle délétère de l’entourage, des médias et des forums de discussion sur Internet », souligne le Dr Mallet.

Des conséquences négatives

• Échecs thérapeutiques. « Les parents corticophobes utilisent les DC à doses homéopathiques, démarrent le traitement trop tard ou l’arrêtent trop tôt, explique le Dr Mallet. Cela conduit à des échecs thérapeutiques et à un “corticoscepticisme” qui renforce la corticophobie »

• Complications. En poussée d’eczéma, sans soulagement par un anti-inflammatoire adapté, l’inconfort et le prurit s’aggravent, les lésions de grattage sont plus nombreuses, la peau se « lichénifie » et le risque de surinfection augmente.

• Nomadisme médical. Tant que le traitement n’est pas compris ni appliqué correctement, que la dermatite atopique n’est pas perçue comme une dermatose chronique évoluant par poussées, « les familles continuent à consulter de nombreux médecins et peuvent même être tentées par des médecines parallèles », affirme le Dr Mallet.

S’auto-évaluer

Faire le point

Suis-je un peu corticophobe ? N’ai-je pas tendance à mettre en garde exagérément contre les corticoïdes locaux au comptoir ? Évaluer sa représentation des corticoïdes en utilisant le questionnaire Topicop (voir encadré) permet d’établir un score de corticophobie, ou du moins de révéler les méfiances de chaque membre de l’équipe.

Se (re) former

C’est la clé pour nettoyer ses idées préconçues et délivrer un message exact. Insister sur le mode d’action, la pharmacocinétique et rassurer quant à l’apparition d’effets indésirables. Établir une fiche explicative simple pour discuter au comptoir.

Accorder les violons

Rien de pire pour entretenir les craintes des patients qu’un discours divergent. Confronter les résultats du Topicop et élaborer un discours commun pour l’équipe.

Agir au comptoir

Repérer la corticophobie

• Des indices : lors d’une primo-délivrance, « Cette crème, ne me la mettez pas maintenant », « Je vais essayer de m’en passer », ou d’un renouvellement : « Je ne veux pas la cortisone, j’en ai encore ».

• Une question ouverte : « Que savez-vous de ce produit ? », « Comment se passe le traitement avec cette crème ? »

Explorer les représentations

• Le questionnaire Topicop : à proposer au patient ou à utiliser comme base de discussion. « Seriez-vous d’accord pour tester votre ressenti sur les médicaments afin de vous donner des informations ciblées sur votre traitement ? »

• Une question ouverte : « Que savez-vous de la cortisone quand elle est utilisée sur la peau/dans l’asthme ? »

Entendre la peur

La corticophobie est une peur qu’il faut entendre sans juger. Les parents d’enfants atopiques, souvent perdus, « sont à rassurer », souligne le Dr Mallet. « Il ne faut pas rompre avec leur vision, mais écouter leurs angoisses », conseille Aurore Lamouroux, psychologue sociale de la santé à Marseille (13) et coordinatrice de « l’école de l’asthme ».

• Éviter de minimiser, juger ou culpabiliser : « Ce n’est rien, si vous saviez ce que d’autres ont », « Ce n’est pas un peu de cortisone qui va vous faire du mal », « Les autres parents sont moins frileux », « Si vous n’en mettez pas, votre enfant va souffrir… »

• Écouter. Laisser le patient s’exprimer avant de montrer que son appréhension est prise en compte : « J’entends vos craintes mais si vous voulez bien, nous allons prendre quelques minutes pour en discuter ».

• Collaborer. L’acceptation du traitement demande des efforts réciproques : « Les parents doivent rationaliser leurs peurs et le soignant accepter sans juger les moments de mise entre parenthèses du traitement, en respectant le temps dont ils ont besoin pour l’intégrer dans la vie de leur enfant », rappelle Aurore Lamouroux.

Expliquer pour rationaliser

• Décrire l’action locale. Avec un schéma de la peau, plus parlant, dites : « L’épiderme, où se situent les lésions d’eczéma, ne comprend pas de vaisseaux sanguins. Le risque que la cortisone passe dans le sang est donc très faible, voire inexistant ». Rebondir sur Topicop pour placer les connaissances validées : « Cette crème ne favorise pas les infections, au contraire… »

• Rappeler les enjeux. La cortisone est un médicament. Focaliser sur ses intérêts en termes de bien-être : « C’est le moyen le plus efficace de soulager rapidement votre enfant », « Soigner au plus vite les lésions évite qu’elles se surinfectent »

• Donner des conseils pratiques sans les parasiter par des notions de durée maximale ou de décroissance progressive : « Appliquez sur les lésions dès qu’elles apparaissent et jusqu’à leur disparition ». Intégrer au sein d’un rituel quotidien : « Le soir après la douche ». Remettre la brochure « L’eczéma atopique et les dermocorticoïdes » disponible sur le site www.fondation-dermatite-atopique.org/fr.

Concrétiser

« La démonstration de soin est un excellent moyen de vérifier une sous-utilisation des produits », explique le Dr Mallet. À l’officine, mettez les parents en situation concrète en leur demandant : « Comment allez-vous faire si une plaque d’eczéma apparaît ce soir ? »

Assurer le suivi

Le renouvellement est un moment privilégié pour faire le point et repérer les difficultés : « Je vois que vous ne souhaitez pas prendre les tubes de dermocorticoïdes aujourd’hui, comment s’est passé le traitement pendant cette période ? » Enfin, rendre le patient acteur de sa prise en charge : « Savez-vous combien de tubes ont été consommés le mois dernier ? Cela permettrait au médecin de mieux suivre le traitement entre deux consultations ».

Orienter

Le patient et sa famille peuvent être dirigés vers un programme d’éducation thérapeutique en milieu hospitalier. Selon le Dr Mallet, « les ateliers collectifs avec d’autres familles sont l’occasion d’échanger sur les traitements à base de cortisone, mais aussi de lutter contre la corticophobie au moyen d’outils pédagogiques variés ». La liste des « écoles de l’atopie » est disponible sur www.fondation-dermatite-atopique.org/fr.

Avec l’aimable relecture du Dr Stéphanie Mallet, dermatologue, praticien hospitalier à l’hôpital de la Timone, Marseille (13).

(1) Aubert-Wastiaux H., Moret L., Le Rhun A., Fontenoy A.-M., Nguyen J.-M., Leux C., et al., Topical corticosteroid phobia in atopic dermatitis : a study of its nature, origins and frequency, Br J Dermatol, 2011.

(2) Wallach D., Taieb A., Tilles G., Histoire de la dermatite atopique, Masson, 2005.

Questionnaire Topicop*

Croyances

1. Les corticoïdes (CC) passent dans le sang.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

2. Les CC favorisent les infections.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

3. Les CC font grossir.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

4. Les CC abîment la peau.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

5. Les CC ont des effets sur ma santé future.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

6. Les CC favorisent l’asthme.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

Comportements

7. Je n’en connais pas les effets secondaires mais j’ai peur des CC.

Pas du tout d’accord

Pas vraiment d’accord

Presque d’accord

Tout à fait d’accord

8. J’ai peur d’utiliser une dose de crème trop importante.

Jamais

Parfois

Souvent

Toujours

9. J’ai peur d’en mettre sur certaines zones où la peau est plus fine comme les paupières.

Jamais

Parfois

Souvent

Toujours

10. Je me traite le plus tard possible.

Jamais

Parfois

Souvent

Toujours

11. Je me traite le moins longtemps possible.

Jamais

Parfois

Souvent

Toujours

12. J’ai besoin d’être rassuré vis-à-vis du traitement par CC.

Jamais

Parfois

Souvent

Toujours

(*) Disponible sur http://bit.ly/1Ta997p

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !