Droit du travail à la sauce officinale - Porphyre n° 517 du 31/10/2015 - Revues
 
Porphyre n° 517 du 31/10/2015
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Annabelle Alix

S’il est respecté dans ses grandes lignes, le droit du travail à l’officine est le plus souvent modulé par les titulaires, quand il n’est pas improvisé. Connaître ses droits et les faire respecter en toute clarté est possible. Nos conseils pour dialoguer sereinement et inverser la situation.

« Comment les congés payés sont-ils décomptés ? », « Je me marie, à combien de jours de repos ai-je droit ? », « Mon salaire est-il maintenu en cas d’arrêt de travail ? »… Les questions sur le droit du travail foisonnent sur les pages Facebook de préparateurs. Au point de se demander si la convention collective est accessible en pharmacie… Et si elle est appliquée. Si ses grandes lignes sont respectées, les subtilités du droit du travail cèdent en revanche la place au traditionnel « lien de confiance », fait d’arrangements réciproques et de compromis informels bien connus des entreprises familiales du XIXe siècle. Le Code du travail et la convention collective ont pourtant vocation à équilibrer les relations de travail, et leur application n’est pas facultative.

« Tant que le salaire est versé à l’heure, que le temps de travail est respecté et que les cinq semaines de congés payés sont accordées dans l’année », Calogero fait l’impasse sur les heures supplémentaires non majorées ou sur les deux jours de repos normalement prévus lorsqu’il prend ses congés en dehors de la période estivale. « On reste dans le non-dit pour ne pas détériorer les rapports, explique ce préparateur de 33 ans. Nous sommes déjà suffisamment sous pression et la bonne ambiance de travail n’est pas si évidente à obtenir, il faut savoir être conciliant ».

Un équilibre donnant-donnant

Il faudrait donc comprendre qu’à l’officine, dans la mesure du « raisonnable » – chacun appréciera –, certains droits doivent être sacrifiés en échange de rapports cordiaux et de certains arrangements informels. « Mon titulaire a déjà décalé mes horaires pour que je puisse assister à une réunion parents-professeurs, témoigne ainsi David Coudert, pharmacien remplaçant de 47 ans. La relation entre employeur et salarié, c’est du donnant-donnant, il faut l’envisager dans son ensemble ! » Et de comparer le travail en officine à la vie privée : « Dans un couple, ce n’est pas un détail qui nous fait partir, c’est la situation globale et son équilibre qui ne nous conviennent plus. C’est la même chose à la pharmacie. Pour s’en aller, il faut que l’effort se fasse toujours dans le même sens, qu’on ait la sensation d’être finalement pris pour un imbécile. »

Une application du droit du travail à géométrie variable en fonction de l’ambiance et des facilités quotidiennes, telle serait donc la règle. Et le titulaire tiendrait fermement les rênes de ce fragile équilibre. La demande de trop, aussi légitime soit-elle au regard du droit, pourrait tout faire basculer. Le salarié devrait alors renoncer aux facilités les plus élémentaires.

Attention aux abus

« Si vous souhaitez chercher la petite bête, nous allons faire le point sur tous vos avantages, il y a des choses qui vont sauter ! », s’est vue répondre un jour Marie(1), adjointe, alors qu’elle questionnait son titulaire sur les deux jours de repos supplémentaires auxquels son ancienneté lui donnait droit. Quant à Virginie, adjointe dans le Nord, elle avait pris soin de programmer son opération du canal carpien durant la période initialement prévue pour ses vacances, afin d’arranger le titulaire. « J’ai bien failli ne pas récupérer mes congés, confie l’adjointe, et le titulaire m’a même convoquée pendant mon arrêt pour me demander implicitement de venir travailler ! »

Mettre le doigt dans l’engrenage des compromis informels est dangereux. Car, au final, « le titulaire, en position de force, tire toujours la couverture à lui », conclut Sylvain Bertrand, adjoint à Lyon (voir interview en page suivante). Comme l’explique Thomas Morgenroth, professeur de droit et d’économie à l’université de Lille, « le droit du travail, obligatoire, a justement vocation à protéger la partie la plus faible dans les rapports de subordination, il rétablit l’équilibre ». Les représentants des salariés de la branche se sont battus pour obtenir des avantages, qui visent à compenser les facettes difficiles du métier en officine. Ceux-ci sont le fruit de longues négociations avec les syndicats patronaux et ils doivent être appliqués (voir encadré convention collective en page précédente).

La méconnaissance prime sur la malveillance

Une éventuelle « malveillance » des titulaires est toutefois à nuancer. « Il y a une part de méconnaissance du droit chez les pharmaciens », observe Thomas Morgenroth. Directeur d’un diplôme universitaire (DU) en gestion de l’officine à Lille, le professeur dresse un constat révélateur : « Les titulaires en formation sont souvent très surpris du fossé entre le droit tel qu’il est prévu et sa pratique en pharmacie. Ils ont d’ailleurs créé de toutes pièces le “contrat étudiant”, dans lequel ils mettent ce qu’ils veulent ! » Les titulaires ne mesurent pas véritablement l’importance et l’autorité du droit du travail. Certains considèrent même que le faire appliquer n’est qu’un aspect anecdotique de leur fonction… Et s’en tiennent donc à une application approximative.

Le manque de formation contribue largement à ce résultat. « À Lille, par exemple, seules 15 à 20 heures de droit du travail sont enseignées en cursus pharmacie, pointe Thomas Morgenroth. Et il y a quatre ans, ce cours était encore couplé à la législation pharmaceutique dans les programmes ». Seuls les plus jeunes en ont donc bénéficié. Et une fois diplômés, certains oublient. D’autres sont accaparés par autre chose… De son côté, le droit du travail évolue à vitesse grand V.

Quand le comptable s’improvise juriste…

Tandis que l’employeur d’une grande entreprise se tourne vers son directeur des ressources humaines pour faire appliquer le droit du travail, le titulaire, lui, se réfère à… son comptable. « Beaucoup de pharmaciens pensent que les comptables sont compétents en droit, note Thomas Morgenroth. Ils imaginent même que le conseil juridique fait partie de leurs attributions ». Alors les experts-comptables se plient à cette vision. « Pour ne pas se faire mal voir, ils s’attribuent des compétences juridiques et engagent parfois leur responsabilité sur des sujets graves », développe le professeur. Dans les cabinets d’expertise-comptable, « ce sont en général les gestionnaires de paie qui assurent le conseil en droit social inclus dans le contrat », corrige Anne-Laure Savelli, gestionnaire de paie à Paris.

Une nouvelle toutefois guère sécurisante puisqu’« aucune formation juridique n’est requise pour exercer ce métier, ajoute-t-elle. Les gestionnaires de paie se forment sur le tas. Dans notre cabinet, de nombreux documents et sources d’information nous permettent de conseiller au mieux le client et nous échangeons aussi beaucoup entre nous. Si un doute persiste, nous appelons une société spécialisée ». Vigilance et professionnalisme semblent donc être de mise. Mais, selon le cabinet, « la qualité du conseil varie et lorsque le comptable s’en charge, c’est plus aléatoire », met en garde Anne-Laure Savelli.

C’est le titulaire qui tranche

Si le comptable apporte un conseil, c’est le titulaire qui prend la décision finale. Comme l’explique Anne-Laure Savelli, « le cabinet fournit une réponse objective, et si plusieurs solutions sont possibles, il les présente toutes. L’employeur tranche, et parfois, il décide d’aller à l’encontre du conseil donné et d’opérer à sa manière… » Sylvain Bertrand, pharmacien, le confirme : « Quand j’étais titulaire, j’ai bien vu que si le conseil n’allait pas dans mon sens, rien ne m’empêchait de m’arranger autrement ».

Pour un patron, les façons de contourner la loi plus ou moins légalement sont nombreuses. Sous couvert d’anonymat, le directeur des ressources humaines d’une entreprise en témoigne : « Au lieu de payer des heures complémentaires et supplémentaires, nous signons systématiquement des avenants avec nos salariés pour modifier la durée hebdomadaire de travail inscrite au contrat. Ainsi, les heures en plus sont payées comme des heures normales, sans majoration ». Autre exemple ? « Nous ne délivrons jamais le solde de tout compte aux salariés qui partent sans le réclamer. Nous invitons ceux qui nous rappellent à venir le récupérer sur place mais certains ont déjà déménagé… Ces méthodes nous font gagner beaucoup d’argent ». L’officine comporte aussi son lot d’arrangements. De son côté, le salarié n’a généralement pas la possibilité d’entrer directement en contact avec le cabinet d’expertise-comptable, pour des raisons éthiques… et financières car le conseil n’est fourni qu’au payeur.

Se renseigner est un devoir

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Pour tenter de rétablir la situation, le préparateur doit commencer par s’informer sur ses droits… en frappant à la bonne porte. Au CFA, l’accent n’a pas été mis sur le droit du travail. À Paris, « nous nous limitons aux notions de base, car seule une vingtaine d’heures y est consacrée durant la formation », explique Christophe Magnoux, qui enseigne notamment la législation du travail. Pas facile, non plus, de faire le lien entre un cours théorique et la situation vécue à l’officine. Aussi, « en début d’année je fournis à mes étudiants une liste de sites fiables, explique l’enseignant. Du côté des forums, pharmechange.com est intéressant car des liens vers les sources officielles sont souvent postés à l’appui des réponses. Les revues professionnelles, comme la rubrique Vos droits de Porphyre, fournissent aussi des explications utiles ». Pour les questions ciblées, la convention collective et les sites officiels sont les références à privilégier (voir encadré). Par ailleurs, le numéro 3939 (Allô service public) et l’inspection du travail sont à disposition du public, notamment pour les questions plus complexes ou qui doivent être personnalisées, même si le délai de réponse est moins immédiat. Les forums et pages Facebook peuvent également servir au partage d’expériences mais les réponses apportées ne doivent pas être prises pour des vérités sauf lien vers des divs ou des sites officiels qui confirment la réponse. Enfin, les salariés syndiqués bénéficient généralement de permanences pour poser leurs questions en droit du travail.

Rompre un tabou en douceur

Une fois l’information obtenue, encore faut-il la faire appliquer. Certains droits sont plus aisés à revendiquer. « La prime de blouse, par exemple, concerne tous les salariés, pour la même somme, ce qui crée un effet de groupe. Elle est donc plus facile à réclamer, note Marie. Pour les droits individuels, en revanche, c’est plus compliqué car nous n’avons pas de délégués syndicaux dans notre officine et l’équipe n’est pas très solidaire. Il faut donc monter seul au créneau ». Une action difficile, parfois vécue par le titulaire comme une déclaration de guerre.

« Revendiquer son droit en brandissant un div de loi sous le nez du patron formalise d’un seul coup une relation habituellement informelle », explique en effet Florent Moyne, titulaire à Reignac (33). « C’est une action anxiogène pour le titulaire car elle remet en cause les fondements historiques du relationnel en officine, qui s’appuient sur le paternalisme, le compromis, l’autorégulation… », complète Thomas Morgenroth. Le salarié passe alors pour celui qui trahit la relation de confiance en instaurant une distance, en basculant vers un lien plus froid. Pour Marie, « on sort alors du cadre du bon ouvrier ». Le tact est bien sûr de mise. « Parler avec arrogance, le menton haut, est à proscrire, confirme Pierre Agnese, consultant chez Kahler Communication France (conseil et formation en ressources humaines). Il faut rester dans la retenue, bien choisir ses mots, privilégier le “je” centré sur l’objectif, avec “Je souhaiterais si possible discuter de cette possibilité dont il est question dans la convention…”, au “vous” perçu comme une attaque, tel “Vous avez encore négligé mon droit”… »

Déjouer la manipulation

Le tact ne suffit pas. Marie a été classée « procédurière » par sa titulaire alors qu’elle s’interrogeait sur ses jours de repos. L’image de procédurière, « c’est exactement celle qu’on craint en tant que salarié de l’officine », confie-t-elle. À la moindre occasion, l’adjointe entendait sa titulaire lâcher : « Va demander à Marie, elle connaît la convention par cœur ! » Une formule prononcée avec ironie à l’attention des autres membres de l’équipe.

Pour Pierre Agnese, consultant et co-div du livre Déjouer les pièges de la mauvaise foi et de la manipulation (Interéditions, 2014), « il faut prendre une distance face à l’agression pour ne pas se laisser entraîner dans un jeu psychologique qui nous conduirait à nous emporter » ou à renoncer à toute demande à l’avenir. Pour le consultant, trois attitudes sont à acquérir : exprimer de la puissance sans violence, ne pas afficher de vulnérabilité et ne demander à l’autre que l’aide qui est en son pouvoir.

Dans l’exemple évoqué, « l’employeur utilise la compétence de Marie, la connaissance de la convention collective, pour la retourner contre elle », explique Jérôme Lefeuvre, également consultant chez Kahler Communication et co-div du même livre. L’employeur cherche à la déstabiliser. Marie doit apprendre à retourner la question contre son agresseur en restant terre-à-terre : « Est-ce que tu as besoin de mon soutien concernant le droit du travail, je peux te donner un conseil en tant que collègue ? » Elle garde ainsi ce qu’il y a de bon dans le message, tout en éliminant le piège. Marie peut aussi jouer franc-jeu : « Quand tu me dis que j’ai ce talent, j’entends de l’ironie. Je ne suis pas experte, mais je peux te donner un conseil en tant que collègue ». Nul n’est censé ignorer ses droits, encore faut-il les faire connaître justement. Avec un brin de psychologie, qui est parfois la clé d’un respect mutuel.

(1) Le prénom a été changé à la demande de l’intéressée qui souhaite conserver l’anonymat.

La convention collective en deux questions

• Qu’est-ce que c’est ?

C’est un div qui adapte le Code du travail aux spécificités d’un secteur. La convention collective traite notamment des conditions de travail et d’accès à la formation professionnelle. Elle est négociée entre partenaires sociaux, représentants syndicaux d’employeurs et de salariés, puis étendue, par arrêté, à tous les salariés de la branche. Elle peut prévoir des avantages non prévus par la loi. Elle est en général plus favorable aux salariés que le Code du travail.

• Et à l’officine ?

La convention collective nationale de la pharmacie d’officine a été signée le 3 décembre 1997, puis étendue par arrêté du 13 août 1998. Elle est complétée d’avenants, d’accords et d’annexes au rythme des négociations qui ont eu lieu depuis. Elle prévoit notamment une grille des salaires minimum applicables en officine, alors que le Code du travail ne le fait pas. Celle-ci a donc été négociée par les partenaires sociaux, au même titre que d’autres avantages.

témoignage Sylvain Bertrand, pharmacien adjoint à Lyon (69) et ancien titulaire

La motivation passe par le respect des droits

« Lorsque j’étais installé, jamais un de mes salariés n’a posé un arrêt maladie ! Tous les membres de mon équipe étaient disponibles, investis, et faisaient le maximum pour l’entreprise. La clé de ce succès, c’est le respect des droits de chacun. Lorsque l’on respecte le droit du travail, qu’on est “réglo”, les salariés nous le rendent bien car ils se sentent considérés. La relation de travail repose alors sur un équilibre sain et fructueux. »

Sources d’information à privilégier

→ Le site Légifrance http://bit.ly/1LvHxpD

La convention collective actualisée y est disponible. Le sommaire, affiché sur la droite, facilite la recherche de l’information. Le div est jugé plutôt clair par les officinaux, qui parviennent en général à trouver leurs réponses.

→ Les sites officiels

www.service-public.fr et http://travail-emploi.gouv.fr Ils répondent de façon très claire à des questions de droit plus générales lorsque la convention est muette sur le sujet.

→ Les forums ou pages Facebook Porphyre, Pharmechange.com, Le moniteur des pharmacies

Ils peuvent servir à prendre la température, à trouver un soutien ou un témoignage intéressant lorsqu’un collègue s’est retrouvé confronté au même problème. Mais attention à ne pas prendre les réponses apportées pour des vérités (voir interview Christophe Magnoux). Rien n’empêche de sonder les autres membres du groupe ou du forum, de recueillir un avis, mais il est impératif de solliciter le lien vers un site officiel ou un div de loi, plutôt qu’une réponse toute faite.

→ La permanence téléphonique Allô service public au 3939.

→ L’inspection du travail

www.direccte.gouv.fr Elle est joignable par téléphone ou disponible sur place.

→ Des permanences juridiques Elles sont généralement proposées aux salariés syndiqués, qui doivent se renseigner auprès des délégations régionales.

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